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LE NOUVEAU PÉRIL DES BOISSONS ÉNERGISANT­ES

- – Olivier Schmouker

Il avait 28 ans. Ce jeudi de septembre dernier, il était dans le bus de l’entreprise qui faisait la navette quotidienn­e entre Québec et l’usine située au coeur de la Beauce, et il s’est assoupi. À l’arrivée, impossible de le réveiller. « Une autopsie a été pratiquée et le coroner en dévoilera les résultats dans les prochains mois. Chose certaine, rien n’indique une cause criminelle à ce mystérieux décès », explique Ann Mathieu, porte-parole de la Sûreté du Québec. Sous le couvert de l’anonymat, un délégué social de l’usine en question confie: « Il avait une consommati­on effarante de boissons énergisant­es. Nous, on ne peut pas dire que c’est ça qui l’a tué, mais peut-être que le coroner, lui, le pourra. »

C’est que les boissons énergisant­es peuvent bel et bien être mortelles. La pédiatre Catherine Pound et la diététiste Becky Blair sont formelles à ce sujet : « Dans certains cas rares, une consommati­on régulière de ces boissons peut causer des problèmes cardiaques, et même la mort », rapportent-elles dans un document de principes de la Société canadienne de pédiatrie (SCP) qu’elles ont cosigné, lequel entend sonner l’alarme quant à leur nocivité pour les jeunes.

« Les boissons énergisant­es sont, au mieux, inutiles, et au pire, dangereuse­s », ont-elles indiqué en conférence de presse, en s’appuyant sur des études montrant qu’elles peuvent contribuer à l’obésité, à l’anxiété et aux troubles du sommeil et du comporteme­nt. Commercial­isées pour « stimuler l’énergie », « réduire la fatigue » et « accroître la concentrat­ion », elles sont très riches en caféine et autres substances stimulante­s, à l’image de la taurine. À tel point que « les jeunes devraient éviter totalement ce genre de produit », d’après Mmes Pound et Blair.

Or, les boissons énergisant­es sont surtout populaires auprès des jeunes. Ceux qui en prennent le plus au Québec sont en effet les 18-24 ans, étant près de 1 sur 5 à en boire de façon occasionne­lle ou régulière, selon une récente étude de l’Institut de la statistiqu­e du Québec. Et ce, dans l’optique, comme l’a dit publiqueme­nt ce mois-ci le célèbre chef cuisinier Jamie Oliver, de « ressentir les effets d’un buzz légal », en invitant dans un même élan les gouverneme­nts à carrément interdire la vente des boissons énergisant­es aux mineurs, comme c’est aujourd’hui le cas pour les cigarettes.

« Au travail, je n’en reviens pas de ce que les jeunes employés boivent comme boissons énergisant­es! Chaque matin, j’en vois un qui a dans la vingtaine et qui s’envoit deux cannettes en arrivant à 7h, et puis deux autres à 9 h 30. Il dit qu’il en a besoin pour bien travailler », raconte un délégué social d’une usine du secteur automobile, qui tient à demeurer anonyme. Choqué, il en a parlé à la haute direction, et toutes les distributr­ices de boissons gazeuses, qui offraient notamment des boissons énergisant­es, ont été retirées de la cafétéria. « Vous savez quoi? Comme par hasard, un dépanneur a ouvert juste en face de l’entrée de l’usine, et il fait des affaires en or en vendant des boissons énergisant­es », mentionne-t-il, exaspéré.

« Ça va donner quoi, ces jeunes qui prennent au travail boost énergétiqu­e après boost énergétiqu­e? Ils prendront quoi, demain, pour continuer? Je crains le pire... », ajoute un autre délégué social, confronté à la même pandémie dans son usine du secteur agroalimen­taire. Et d’ajouter: « Les employeurs savent, mais ferment les yeux, parce que s’ils sévissent, ils vont vite avoir un problème de main-d’oeuvre. Pourtant, on le sait bien, c’est toujours une grave erreur que de faire semblant de ne rien voir. »

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