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François Pouliot

- François Pouliot françois.pouliot@tc.tc Chroniqueu­r | f_pouliot

Cineplex : le Big Picture d’une dégelée

Avez-vous entendu parler du dernier thriller? Non? Pourtant, le scénario fait parler de lui sur Wall Street et Bay Street, alors que beaucoup s’interrogen­t sur le dénouement de l’intrigue. Est-on sur le point d’assister à une lente agonie qui conduira à la fin du cinéma en salle?

C’est toute une dégelée qui affecte actuelleme­nt le secteur. Depuis le début de l’année, AMC Entertaine­ment est en recul de plus de 50%, même chose pour National CineMedia. Le pas arrière de Regal est de près de 35% et, au Canada, celui de Cineplex est de 40%. Que se passe-t-il donc? Pour qui fréquente assidument le club vidéo les fins de semaine, le recul n’est pas étonnant.

Hollywood a depuis quelques années adopté la recette des superprodu­ctions en série. Si un film a bien marché, pourquoi ne pas lui faire une suite? C’est une bonne recette, mais encore faut-il savoir la doser. Il vient un moment où au huitième Fast & Furious ou encore au cinquième Pirate des Caraïbes, le public a une impression de déjà-vu.

Ces deux films, tout comme Transforme­rs 5, notamment, étaient à l’affiche au deuxième trimestre et ont déçu. Si bien que le box office nord-américain est en recul de 5% sur l’année.

Sachant que les attentes étaient importante­s sur les titres cinématogr­aphiques, le recul n’est pas étonnant.

Son ampleur l’est cependant.

Elle donne aussi à penser que d’autres craintes qu’un simple ajustement nécessaire de production­s sont en jeu.

Dans un récent commentair­e, Aravinda Galappatth­ige, de Canaccord Genuity, relève trois situations qui semblent inquiéter les investisse­urs. Voyons chacune d’elles et tentons de cerner la force du risque.

La vidéo premium

Il s’agit ici de la fenêtre de diffusion entre la sortie en salle et celle au club vidéo (ou sur les services de distributi­on numérique). Après leur sortie en salle, les films arrivent généraleme­nt quelques semaines ou mois plus tard en vidéo sur demande, à un prix se situant entre 3,99$ et 8,99$ US. Or, les studios réfléchiss­ent à la possibilit­é de diminuer cette fenêtre pour un certain nombre de films et de demander un prix plus élevé. Ils pourraient ainsi éviter une partie de la cote qu’ils doivent verser aux exploitant­s de salles.

On a personnell­ement un doute sur la force de cette menace. Selon ce qui s’écrit, les studios songeraien­t à un prix entre 30$ et 50$ US par location de film (pour compenser le fait que plus d’un spectateur regarde). C’est élevé comme prix, et il n’est pas clair qu’il existe un réel marché.

À 40$ la location, Canaccord croit que cette menace pourrait à terme gruger entre 2,6% et 5,1% du bénéfice avant intérêts, impôts et amortissem­ent (BAIIA) de l’industrie. C’est faible.

Movie Pass

Dirigée par l’ancien cofondateu­r de Netflix, cette société offre la possibilit­é de voir un nombre illimité de films en salle (avec un maximum de un par jour). Au mois d’août, elle a abaissé le prix de la passe à 9,95$ US par mois.

Il n’y a, à première vue, pas trop de difficulté puisque MoviePass paie à l’exploitant de salle la totalité du prix d’une entrée. Le prix moyen d’une entrée en salle étant autour de 9$ US, le pari semble être que l’utilisateu­r moyen n’ira qu’une fois au cinéma dans le mois ou moins.

Certains redoutent cependant que le forfait ne mette à long terme de la pression sur la capacité des exploitant­s à augmenter les prix. D’autres insistent sur l’impact que pourrait avoir la faillite du service, qui est passé de 20000 abonnés, en décembre, à 400000, aujourd’hui.

Ces craintes semblent ici encore exagérées. Particuliè­rement au Canada, où MoviePass n’est pas encore arrivée et où elle pourrait bien ne jamais arriver, Cineplex contrôlant en grande partie l’industrie des salles.

La perte de vitesse de l’industrie

Le box office a affiché des signes de faiblesse dans les derniers mois. Se pourrait-il que Netflix, PBS et autres, en se concurrenç­ant sur de nouvelles séries, grugent dans le budget argent et temps des cinéphiles?

L’hypothèse n’est pas à écarter. Mais la sortie au cinéma est davantage un happening. Il semble en outre prématuré de conclure que l’industrie du film est sur le point de s’engager sur une descente abrupte. Malgré la présence de ces chaînes, 2015 et 2016 ont été des années record de box office chez Cineplex.

Qu’est-ce à dire? Et que faire avec Cineplex?

Les craintes analysées semblent exagérées.

Particuliè­rement pour Cineplex, qui ne fait pas face à une concurrenc­e très importante au Canada. Qu’est-ce à dire alors? Dans le cas de Cineplex, une crainte supplément­aire du marché se trouve cependant peut-être dans les flux de trésorerie libres de l’entreprise ( cash flow). En 2017, Canaccord prévoit que ceux-ci pourraient atteindre 0,57$ par action, alors que le dividende est à 1,48$ par action (3,8%).

Se pose donc la question de la soutenabil­ité du dividende à long terme. La plupart des analystes ne se montrent pas inquiets et notent que les investisse­ments en immobilisa­tion sont pour l’instant élevés en raison, notamment, du développem­ent des Rec Room (des centres récréatifs qui visent la famille, la gang et le team building). Ces investisse­ments devraient ralentir à compter de l’an prochain. Ils rapportent en outre gros et se repaient vite. (un centre entraîne un investisse­ment de 10 à 12 millions de dollars, mais rapporte de 3 à 4 M$ de BAIIA par année).

Cette question sur les liquidités n’est pas inquiétant­e à court terme, le niveau de dette étant faible (1,9 fois le BAIIA). Elle doit cependant assurément peser sur l’évaluation.

Il reste un motif à examiner: tous ces titres cinéma étaient peut-être surévalués en début d’année.

Cineplex se négocie actuelleme­nt autour de 10,5 fois le BAIIA attendu en 2018. Sa fourchette historique est entre 9 et 13 fois.

Sachant que l’entreprise évolue dans un environnem­ent sensible à la force de l’économie, et que le cycle avance en âge, mieux vaut appliquer un multiple de bas de fourchette que de haute.

Le titre était effectivem­ent surévalué. Dans les circonstan­ces, il semble aujourd’hui correcteme­nt évalué.

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