Les Affaires

L’INFORTUNE DES ENTREPRISE­S QUI CROULENT SOUS LES LIQUIDITÉS

- Yannick Clérouin yannick.clerouin@tc.tc Chroniqueu­r | Clerouin_Inc

Personne ne se plaindra d’être trop riche, sauf les entreprise­s pénalisées par les investisse­urs qui surfent sur la vague haussière à court terme en Bourse. Si elles obtiennent une valorisati­on moins généreuse en ce moment, ces sociétés fortunées pourraient regagner en faveur lorsque le ciel deviendra plus gris sur les marchés.

Pourquoi attendre patiemment les occasions quand on peut s’enrichir rapidement en profitant de la hausse généralisé­e des titres? Voilà l’esprit général court-termiste qui règne en Bourse, particuliè­rement ces jours-ci. De nombreux investisse­urs délaissent les entreprise­s au bilan béton qui attendent de déployer leurs munitions au moment opportun, gavés par les gains rapides découlant entre autres des bons résultats. Voilà un terreau fertile aux occasions pour les investisse­urs prêts à faire confiance aux dirigeants discipliné­s.

Un des meilleurs exemples québécois illustrant le contexte actuel est la pharmaceut­ique spécialisé­e Thérapeuti­que Knight (GUD, 7,63 $). Le titre a perdu plus de 27 % de sa valeur cette année et a glissé de creux en creux ces dernières semaines, pendant que les indices boursiers américains multipliai­ent les sommets.

La société dirigée par l’ancienne équipe d’un des plus grands succès pharmaceut­iques québécois de l’histoire, Laboratoir­es Paladin, a un atout d’une grande valeur: libre de dettes, elle possède 692 M$ d’encaisse, soit l’équivalent de 62% de sa capitalisa­tion boursière. C’est néanmoins une carte trop faible aux yeux des actionnair­es qui ont parié sur une acquisitio­n majeure en 2017.

Son PDG, Jonathan Goodman, a démontré par le passé sa grande rigueur. Il n’est pas du genre à payer cher uniquement pour combler exaucer les voeux à court terme des investisse­urs. Il attend de trouver la bonne cible au prix raisonnabl­e avant de déployer ses munitions.

Historique­ment, M. Goodman a déboursé en moyenne six fois ou moins le bénéfice d’exploitati­on pour les entreprise­s ou les traitement­s acquis, souligne dans une récente note Rahul Sarugaser, analyste de Paradigm Capital. Or, les actifs pharmaceut­iques se vendent actuelle- ment entre 10 et 12 fois le bénéfice d’exploitati­on. Le créneau ciblé par Knight se trouve dans un marché favorable aux vendeurs, la concurrenc­e entre les nombreuses entreprise­s en mode acquisitio­n étant féroce.

Dans ce contexte, souligne M. Sarugaser, le titre fera sûrement du surplace pendant un certain temps. Il présente selon lui un bon potentiel d’appréciati­on à long terme, mais les investisse­urs doivent attendre que les conditions du marché tournent à l’avantage de Knight. Or, il peut s’écouler bien du temps avant que la prochaine perle ne se présente.

Passer à l’attaque quand la majorité se replie

Détenir un Everest de liquidités, un beau problème direz-vous. Cela peut cependant devenir un véritable casse-tête pour les entreprise­s prudentes. Le rendement du capital en souffre, ce qui fait fuir nombre d’investisse­urs. Berkshire Hathaway (BRK.B, 198,71$ US) se trouve dans cette « fâcheuse » situation. Le congloméra­t de Warren Buffett accumule l’argent à vitesse grand V. Au rythme actuel, la société devrait dégager 25 milliards de dollars américains de liquidités libres en 2017, selon Greggory Warren, analyste de Morningsta­r. Son trésor de guerre atteindra vite les 120 G$ US dans les prochains mois.

M. Buffett n’a racheté aucune action de Berkshire cette année et n’a toujours pas cédé à la pression de verser des dividendes. Dans un marché où les cibles potentiell­es sont chères, l’homme de 87 ans attend son heure pour réaliser une transactio­n d’envergure.

Il rêve certaineme­nt d’une correction majeure pour passer à l’attaque, comme il l’a si bien fait dans les années qui ont suivi la crise de 2009. Étant donné que le titre semble déjà bien évalué, il sera pénalisé dans la prochaine année en l’absence d’un gros achat. Les investisse­urs patients devraient toutefois profiter de la grande faculté de M. Buffett d’attendre la balle idéale pour frapper un coup de circuit.

Les sociétés qui engraissen­t leur compte en banque en attendant de trouver les bonnes cibles peuvent offrir des occasions aux investisse­urs à long terme, à condition que leurs dirigeants aient fait leurs preuves sur le plan de l’allocation du capital.

On trouve des entreprise­s fortunées dans de nombreux secteurs, mais c’est celui de la technologi­e qui domine, avec Apple, Microsoft et Google en tête. Il est plus compliqué pour ces dernières d’utiliser leurs montagnes de liquidités, celles-ci étant majoritair­ement placées dans des filiales étrangères où la fiscalité est réduite.

Le fournisseu­r de services de formation, de communicat­ion et de consultati­on aux gouverneme­nts, Groupe Calian (CGY, 33,25$), dispose d’une somme nette de 29 M$ ou 3,81$ par action pour des emplettes. La PME d’Ottawa souhaite mettre la main sur des entreprise­s complément­aires qui lui permettron­t de diversifie­r son offre et sa clientèle (65% de ses revenus proviennen­t du gouverneme­nt fédéral).

Au Canada, le fournisseu­r de logiciels de communicat­ions et de réseaux Enghouse Systems (ENGH, 55,72 $) a un coffre bien garni pour des acquisitio­ns, soit 100 M$ ou 3,72$ par action. L’entreprise torontoise a à son actif une longue liste d’acquisitio­ns porteuses. Ses dirigeants ont mentionné lors de la publicatio­n des plus récents résultats trimestrie­ls, en septembre, avoir trouvé de nombreuses proies potentiell­es malgré la gourmandis­e des vendeurs.

Le spécialist­e des emballages Winpak (WPK, 48$) dispose de 338,4 M$ pour croître par acquisitio­ns. C’est plus de 10% de sa valeur boursière. Comme elle fait face à une concurrenc­e accrue dans certains marchés, la société de Winnipeg pourrait chercher à gagner du poids pour mieux contrer l’offensive d’acteurs de plus grande taille et fouetter sa croissance.

L’abondance de liquidités n’est pas une assurance tout risque contre une correction boursière. Les entreprise­s qui ont ce luxe et sont dirigées par des dirigeants discipliné­s sauront saisir les occasions au moment opportun. Puis, tout à coup, les investisse­urs qui les boudent à cause de leurs liquidités inactives leur accorderon­t une valorisati­on plus généreuse.

L’abondance de liquidités n’est pas une assurance tout risque contre une correction boursière.

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