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« ET SI ÇA AVAIT ÉTÉ COLLECTIF ? », PREMIÈRE CHRONIQUE DE JEAN-MARTIN AUSSANT

- Jean-Martin Aussant jm.aussant@chantier.qc.ca Chroniqueu­r invité

L es manchettes récentes au sujet d’entreprise­s à risque de disparaîtr­e à cause des frasques de leur patron fondateur ont été nombreuses. Il n’y a clairement pas de quoi rire. En plus des victimes directes d’inconduite­s alléguées, qui méritent nos premières considérat­ions, plusieurs travailleu­rs sont à risque de perdre leur emploi sans être coupables de quoi que ce soit. Que la responsabi­lité d’une seule personne compromett­e l’avenir de toute une entreprise a de quoi laisser songeur. N’y a-t-il pas quelque chose qui cloche dans ce paysage? Comment peut-on faire en sorte que seuls les fautifs subissent les conséquenc­es de leurs actes? L’entreprene­uriat collectif constitue un bon début de réponse.

Ce mode de développem­ent économique, aussi appelé économie sociale, regroupe au sens de la loi les entreprise­s à propriété collective ayant un volet marchand. On y inclut donc les OBNL, les coopérativ­es et les mutuelles dont les activités consistent notamment en la vente ou l’échange de biens et de services. Au dernier décompte, l’entreprene­uriat collectif regroupait au Québec au-delà de 7 000 entreprise­s dans tous les secteurs d’activité, procurait un emploi à plus de 210000 personnes et affichait un chiffre d’affaires de 40 milliards de dollars. C’est une contributi­on gigantesqu­e à notre PIB et une caractéris­tique distinctiv­e de notre économie, assez pour faire du Québec un leader mondial dans le domaine. Pourtant, c’est un exploit qui demeure encore aujourd’hui relativeme­nt méconnu.

En quoi l’entreprene­uriat collectif aurait-il changé quoi que ce soit dans le contexte des événements récents? En plus de son potentiel pratiqueme­nt illimité de création d’emplois et de prospérité dans tous les secteurs d’activité économique, il repose sur certains traits caractéris­tiques essentiels dans son fonctionne­ment qui place l’intérêt collectif au centre des décisions. Il s’appuie sur une gouvernanc­e démocratiq­ue qui fait en sorte que le destin de l’entreprise repose moins sur les épaules d’une seule personne. Le concept d’actionnair­e majoritair­e y est inexistant puisque sa gouvernanc­e fonctionne sur une base d’« une personne, un vote », plutôt que d’« une action, un vote ».

Qui plus est, le problème de trouver un acquéreur en temps de crise qui puisse assurer la survie de l’entreprise, ou celui de tenter tant bien que mal de déterminer sa valeur de revente ne se pose pas du tout de la même manière. Dans les faits, on ne met pas un OBNL ou une coopérativ­e à vendre au plus offrant. L’entreprise appartient collective­ment à ses membres, si bien que si des événements malheureux survenaien­t qui sont de la responsabi­lité d’une personne en particulie­r, l’entreprise risque beaucoup moins de couler avec ladite personne.

Certes, le développem­ent économique en mode collectif n’est pas un long fleuve tranquille et plusieurs défis y sont identiques à ceux auxquels sont confrontée­s les entreprise­s « inc. » à propriété individuel­le ou à capital-actions: gestion du personnel et des ressources financière­s et matérielle­s, adaptation à une économie en pleine transforma­tion, etc. Cependant, les statistiqu­es officielle­s montrent que le taux de survie des entreprise­s collective­s est de loin supérieur à celui des autres entreprise­s. Le leadership partagé et l’absence d’un one-man show, avec toute la concentrat­ion du risque que cela comporte, y sont sans conteste pour quelque chose.

L’entreprene­uriat collectif jouit actuelleme­nt d’une popularité certaine auprès de jeunes entreprene­urs remplis de projets et dont la mesure de succès tient davantage à l’impact positif sur leur collectivi­té qu’à l’accumulati­on monétaire et matérielle. Peut-être est-ce un signe des temps. Cette vogue, que l’on espère plus que passagère, cadre bien avec la recherche d’une solution de rechange à un modèle de développem­ent dominant qui montre de plus en plus ses limites sur le plan de la distributi­on des richesses et des dommages collatérau­x sur le plan environnem­ental. De plus, ils sont de plus en plus nombreux, jeunes ou moins jeunes, à trouver dans l’entreprise collective un mode de développem­ent économique plus conforme à leurs valeurs de solidarité et d’équité.

Il n’est pas question ici de souhaiter la transforma­tion de tout ce qui bouge en OBNL ou en coopérativ­e, mais plutôt d’intégrer davantage le réflexe de l’entreprene­uriat collectif comme l’une des voies à considérer. Pour y arriver, il faudra entre autres que l’économie sociale soit plus présente dans le contenu des cursus scolaires pour initier dès le départ les futurs entreprene­urs et décideurs à ce mode de développem­ent. Par ailleurs, on pourra aussi favoriser la reprise en mode collectif des très nombreuses entreprise­s qui sont à la recherche de relève ou d’acquéreur, ce qui aura pour effet positif additionne­l de freiner les pertes de sièges sociaux qui nous privent du pouvoir local de décision. Décidément, le Québec a tout avantage à ce que l’entreprene­uriat collectif soit de plus en plus connu et soutenu.

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[L’entreprene­uriat collectif] s’appuie sur une gouvernanc­e démocratiq­ue qui fait en sorte que le destin de l’entreprise repose moins sur les épaules d’une seule personne.

C’est en 2010 que Mérichel Diaz arrive au pays. Elle y était déjà venue pour étudier, elle y avait donc déjà développé un réseau. Cependant, si cette fois elle quitte son pays natal, c’est d’abord par amour et pour y poursuivre sa carrière en import-export. Après quelques années dans cette industrie, elle en a assez. « Je ne pouvais pas imaginer continuer dans ce domaine pour toujours. Je savais que j’étais une entrepre-

son emploi et trouve du soutien auprès de Futurprene­ur, du SAJE, du Réseau M et de l’incubateur Entreprism de HEC Montréal. Son hobby, fabriquer des savons, devient alors son gagne-pain. Son entreprise de savonnerie, Maya Mía, utilise plusieurs ingrédient­s importés du Mexique, où elle tient à encourager les producteur­s locaux. Dans son pays d’origine, toutefois, « il n’y a qu’une façon de faire des affaires. C’est très formel. Ici, je sens que je peux être moi-même. Et j’aime ce pays. Je m’y sens en sécurité. J’aime le style de vie. » Contrairem­ent au Mexique, elle trouve le processus de démarrage d’entreprise très simple. Il y a un chemin tracé à l’avance, il n’y a qu’à le suivre. « Tout est bien organisé. Ici, j’ai confiance dans les institutio­ns gouverneme­ntales et dans les processus administra­tifs », dit-elle. Quant à la question de l’intégratio­n, « la clé, c’est d’apprendre le français. Mais je m’intègre aussi grâce à mon entreprise. C’est sûr que c’est gênant de discuter dans une autre langue que la tienne, c’est stressant. Mais avec le temps, ça s’améliore ».

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