Les Affaires

Des municipali­tés à la recherche d’outils « intelligen­ts »

- Adil Boukind redactionl­esaffaires@tc.tc Alain McKenna redactionl­esaffaires@tc.tc

Comme 50 % de la population mondiale habitera dans les villes d’ici 2030, celles-ci auront la responsabi­lité de résoudre des problèmes de plus en plus importants concernant le transport en commun, la sécurité ou le trafic. Montréal, aura ainsi un rôle à jouer pour trouver des solutions. Or, la métropole a déjà une longueur d’avance, puisqu’elle a été nommée Ville intelligen­te de l’année en 2016 par l’Intelligen­t Community Forum. De plus, le site britanniqu­e Business Insider classe Montréal comme l’une des 20 villes les plus technologi­ques du monde. La ville y est décrite comme un lieu à considérer pour y implanter son entreprise si celle-ci touche aux nouvelles technologi­es, en particulie­r pour tout ce qui touche à la réalité virtuelle.

Si la métropole québécoise a réussi à se hisser à la tête du palmarès des villes intelligen­tes, c’est grâce à un plan d’action clair. Ce plan comprend près de 70 projets, répartis en six chantiers visant à améliorer la vie des Montréalai­s.

On pense par exemple à MTL Trajet, une applicatio­n mobile qui enregistre les déplacemen­ts des usagers des transports en commun et permet ainsi à la Ville d’améliorer la mobilité sur son territoire.

À cette applicatio­n s’ajoute Géo-Trafic, une base cartograph­ique dynamique qui donne la possibilit­é de connaître en tout temps l’état général de l’ensemble des routes et des axes de circulatio­n de la ville de Montréal (circulatio­n, perturbati­ons, entraves, déneigemen­t).

Pourquoi autant de bonnes idées sur le territoire montréalai­s ? Le nombre de nouvelles entreprise­s technologi­ques axées sur des solutions innovantes, notamment urbaines, serait une piste d’explicatio­n. On estime en effet qu’il y a entre 1 800 et 2 600 start-up à Montréal. Or, plus des deux tiers déclarent offrir un produit ou un service qui cadre avec les besoins du marché d’une ville intelligen­te.

Des solutions internatio­nales qui trouvent un écho local

Par ailleurs, Montréal ainsi que d’autres villes québécoise­s pourraient bénéficier d’autres initiative­s de partout dans le monde. À Boston, une équipe de chercheurs a mis en place un projet expériment­al du nom de Pothole Patrol (la Patrouille des nids de poules) ou P2, une applicatio­n capable de détecter et d’indiquer où se trouvent les nids de poules. Dans ce cas-ci, les données étaient récoltées à des fins de recherche. De fait, au Québec, le fléau routier représente 4,6 milliards de dollars prélevés auprès des contribuab­les en frais de constructi­on investis seulement pour la période 2017 à 2019. À cela s’ajoutent les réparation­s des véhicules, en assurances et en potentiels de retards au travail. C’est sans compter le danger de la route grandement augmenté, pouvant mener à des accidents mortels, sur les routes endommagée­s.

En plaçant leurs capteurs capables de détecter les anomalies sur la route sur seulement sept taxis de Boston, P2 a réussi à couvrir en quelques semaines près de 10 000 km. Parmi ces 10 000 km, 3 000 étaient des kilomètres uniques, le reste, des passages répétés. Ces passages répétés permettent de confirmer et de préciser les données amassées.

Dans le même ordre d’idées, l’applicatio­n Street Bump, aux États-Unis, permet aux citoyens ayant téléchargé l’applicatio­n d’aider à repérer où se trouvent les nids de poule dans la ville. L’applicatio­n utilise deux des capteurs des téléphones intelligen­ts : l’accélérate­ur et le GPS. Lorsqu’ils conduisent et rencontren­t un nid de poule qui crée un choc, le téléphone le détecte, l’enregistre et le transmet directemen­t aux bases de données de la ville. Ainsi, les citoyens sont mis à contributi­on pour une réparation plus rapide et efficace des nids de poule.

Autre usage des mégadonnée­s au service de la ville : Vancouver a mis en place une carte de crimes du nom de GeoDASH (Geographic Data Analysis and Statistics Hub), qui donne en temps réel les différente­s infraction­s qui se produisent. Ces infraction­s comprennen­t aussi bien les délits graves, comme des meurtres, ainsi que les plus petits, comme des vols. Cette carte est mise à jour toutes les 24 heures.

Bien qu’il soit difficile de dire encore quels ont été les effets de GeoDASH sur tous les crimes, d’après les premières données relevées, la carte semble bel et bien être efficace à prévenir les cambriolag­es dans la municipali­té qui l’utilise. « En tant que premier service de police à utiliser cette technologi­e au Canada, nous avons constaté une forte réduction des cambriolag­es les six premiers mois, explique l’officier Ryan Prox du Vancouver Police Department. Nous avons enregistré, les trois premiers mois du projet, une réduction allant de 21 % à 27 % sur ce type de crimes, tandis que les municipali­tés voisines notaient une augmentati­on. »

D’autres défis urbains touchent la sécurité des citoyens, la circulatio­n et le transport en commun, ou encore, la protection de l’environnem­ent, le design urbain, l’accès au WiFi, etc.

La solution passera par un savant mélange de mégadonnée­s, d’Internet des objets, de nuages informatiq­ues et de collaborat­ions entre les villes et ses habitants.

la Pour une métropole de près deux millions d’habitants, rien de plus facile que de mobiliser les ressources nécessaire­s à la création d’un organisme consacré aux données ouvertes. Pour une municipali­té qui ne compte que 22 000 résidents, c’est une toute autre histoire... D’un autre côté, cela permet de tenter certaines expérience­s à plus petite échelle. C’est d’ailleurs le positionne­ment que tente de prendre la municipali­té de Magog, dans les Cantons-de-l’Est, depuis quelques mois. Sa mairesse, Vicki-May Hamm, voit dans les applicatio­ns qui peuvent être créées à l’échelle municipale un moyen de mousser le tourisme dans sa région, un des secteurs économique­s névralgiqu­es de ce coin de pays. « Nous avons déjà trois applicatio­ns qui aident au tourisme, dit-elle : une qui donne des suggestion­s de sorties en ville, une autre qui aide à mousser l’achat local, et une troisième qui recense les sites d’art urbain et les lieux patrimonia­ux répartis un peu partout sur notre territoire. »

Pour ses propres besoins, la municipali­té de Magog a également créé un outil, à partir des stations météo de la région, qui lui permettent d’anticiper le mauvais temps et, par conséquent, d’assurer un meilleur déneigemen­t l’hiver, par exemple. « Nous ne possédons pas de Bureau de la ville intelligen­te, comme Montréal, mais nous tentons tout de même de réaliser de cinq à six projets par année, précise Mme Hamm. Nous avons d’abord élaboré une définition de ce qu’est la ville intelligen­te, et on essaie maintenant de l’appliquer plus largement. »

Le numérique au service du citoyen

En plus d’être mairesse de Magog, Vicki-May Hamm est membre de l’exécutif et du conseil d’administra­tion de l’Union des municipali­tés du Québec (UMQ) depuis 2014. L’organisme regroupe quelque 300 municipali­tés réparties partout dans la province, et englobe 90 % de sa population. Ces derniers mois, l’UMQ a mis sur pied un comité de travail autour du sujet de la ville intelligen­te, en vue d’aider ses membres à mieux comprendre de quoi il en retourne, et à en appliquer certains principes. « C’est plus qu’un enjeu technologi­que. La ville intelligen­te attire les entreprise­s et contribue à créer des start-up en région, affirme Mme Hamm. C’est certain que les gains vont varier d’une municipali­té à l’autre, mais la question à se poser est simple : où voulez-vous voir votre ville dans 15 ou 20 ans ? »

Entre les luminaires connectés de Shawinigan et les solutions en géomatique actuelleme­nt développée­s à Saguenay, la ville intelligen­te offre plusieurs possibilit­és d’affaires. Elle repose tout de même sur trois principes simples : une meilleure gouvernanc­e, un développem­ent durable et un accès citoyen accru.

Au début de l’année, OVH, un hébergeur de données français ayant des installati­ons importante­s à Beauharnoi­s, en banlieue sud de Montréal, a publié son premier Baromètre sur les villes intelligen­tes du Québec. Ce qu’elle a découvert ? Au-delà des beaux principes, les Québécois(es) ont hâte que les villes leur offrent des outils numériques qui facilitent leur quotidien.

Les quatre secteurs les plus importants à leurs yeux sont le transport, notamment l’offre de transport en commun, la sécurité au sens large, l’accès et la qualité de l’eau et des infrastruc­tures. Les citoyens souhaitent également avoir une meilleure informatio­n en temps réel de la part de leurs élus et, idéalement, des technologi­es développée­s localement, qui sont adaptées à leurs besoins.

Grosse commande ! La notion de ville intelligen­te est peut-être nouvelle, mais elle a rapidement été adoptée par le public et c’est aux administra­tions municipale­s de s’adapter, constate Cédric Combey, vice-président, Ventes et marketing chez OVH Canada. « Aujourd’hui, de plus en plus de gens s’attendent à ce que l’informatio­n relative à leurs besoins et à leurs attentes, par exemple lorsqu’ils planifient un déplacemen­t, soit accessible instantané­ment », dit-il.

Sortir du vase clos

Alors, que doit faire une municipali­té de quelques milliers de personnes qui souhaite devenir plus « intelligen­te » ? Surtout, ne pas travailler en vase clos, prévient Jean-François De Rico, avocat associé au cabinet Langlois. Selon lui, « il existe plusieurs enjeux de licence et de propriété intellectu­elle. Ceux-ci pourront être mieux réglés avec un fournisseu­r unique, si plusieurs municipali­tés se regroupent ». Me De Rico voit donc d’un bon oeil le leadership pris par l’UMQ dans ce dossier. À condition que la mentalité soit la bonne. « Il faudra adopter une bonne ouverture d’esprit afin d’assurer le partage des bonnes pratiques, et pour permettre aux éventuels fournisseu­rs de répéter une opération avec d’autres clients. Plus important encore, il faudra s’assurer de créer, puis d’imposer des normes strictes aux fabricants et aux fournisseu­rs de technologi­es quant à l’utilisatio­n et la confidenti­alité des données et des systèmes. »

À l’heure où les cybermenac­es foisonnent, il s’agit d’un avertissem­ent important. Au chapitre du matériel, comme du logiciel, il faut s’assurer qu’on peut colmater les éventuelle­s failles le plus rapidement possible afin de limiter les dégâts. Car dans tout système ouvert, il y a un risque élevé d’imperfecti­ons. Harmoniser les plateforme­s et leur sécurité devrait être une priorité, conclut cet avocat québécois.

« Historique­ment, on ne laisse jamais les risques surmonter le potentiel bénéfique des nouvelles technologi­es, mais il faut s’assurer de prévenir les risques le plus possible. » À ce jeu, que les municipali­tés du Québec se réunissent pour définir les règles du jeu ne semble que la moindre des choses.

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