Les Affaires

LA COUR SUPRÊME ET LE PROTECTION­NISME CANADIEN

L’intention des pères de la Confédérat­ion était d’instituer le libre-échange entre les provinces.

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ gagnejp

En octobre 2012, Gérard Comeau, retraité du Nouveau-Brunswick, se fait arrêter par la GRC après avoir traversé un pont reliant Pointe-à-la-Croix et Campbellto­n. Il a en sa possession 14 caisses de bière et trois bouteilles de spiritueux. C’est supérieur à la limite permise par la Loi sur la réglementa­tion des alcools du Nouveau-Brunswick, qui fixe à 18bouteill­es de bière et à une bouteille de vin ou de spiritueux le volume de boissons alcoolique­s qui peut être ramené d’une autre province. On lui colle une amende de 292,50$.

M. Comeau trouve aberrant qu’un citoyen canadien ne peut acheter comme bon lui semble de la bière et des spiritueux dans une autre province et les ramener chez lui. Il décide de contester la Loi qui l’en empêche. En avril 2016, la Cour provincial­e du Nouveau-Brunswick lui donne raison sur la base de l’article 121 de l’Acte de l’Amérique du Nord britanniqu­e de 1867 qui se lit comme suit: « Tous articles du crû, de la provenance ou manufactur­e d’aucune des provinces seront, à dater de l’union, admis en franchise dans chacune des autres provinces. »

Puisque l’enjeu de cette décision est énorme, le gouverneme­nt du Nouveau-Brunswick en appelle devant la Cour du Banc de la Reine de la province, qui refuse d’entendre la cause. D’où le recours à la Cour suprême, qui vient de commencer les audiences dans cette affaire et dont l’arrêt fera jurisprude­nce quant à la véritable interpréta­tion à donner à l’article 121 de la Constituti­on canadienne, qui doit guider les lois et les règlements sur le commerce entre les provinces.

Or, ces lois et ces règlements sont non seulement multiples et de nature diverse, mais ils défient parfois le gros bon sens. En plus de toucher le commerce de l’alcool, ils concernent les production­s agricoles (lait, oeufs, volailles), les valeurs mobilières, les assurances, les industries culturelle­s, le camionnage, les travaux publics, le droit du travail, les métiers, les profession­s et même des choses aussi banales que les petits contenants de lait et de crème pour le café; autant de réglementa­tions qui constituen­t des obstacles au commerce entre les provinces et qui briment la liberté des Canadiens. La plupart de ces réglementa­tions visent des personnes et des entreprise­s, mais d’autres, comme c’est le cas pour la vente de boissons alcoolique­s, ont permis aux provinces de créer des monopoles à des fins fiscales. C’est ainsi que la SAQ du Québec et du LCBO de l’Ontario ont pu verser l’an dernier à leur gouverneme­nt respectif des dividendes de 1 G$ et de 2 G$.

Il existait, depuis 1995, un Accord sur le commerce intérieur que toutes les provinces avaient signé et qui a été remplacé en juillet dernier par l’Accord de libre-échange canadien, qui vise surtout à améliorer l’accès aux marchés publics par les entreprise­s. Or, ces ententes se révèlent souvent être des voeux pieux. À preuve, la Saskatchew­an vient d’interdire à des travailleu­rs qui conduisent des véhicules immatricul­és en Alberta de travailler sur des projets de constructi­on de routes de son gouverneme­nt. Le premier ministre Brad Wall a défendu son geste en disant que l’Alberta avait récemment interdit à des entreprene­urs de sa province d’accéder à des chantiers de constructi­on en Alberta.

Interpréta­tion difficile

Ce ne sera pas la première fois que la Cour suprême aura à se prononcer sur l’article 121 de notre Constituti­on. La seule interpréta­tion qui semble claire est la reconnaiss­ance que l’imposition de tarifs douaniers pour interdire ou freiner les importatio­ns de biens et de services étrangers est la prérogativ­e du gouverneme­nt fédéral et, donc, que les provinces n’ont pas ce pouvoir. À cause de cette interpréta­tion restreinte, plusieurs obstacles non tarifaires des provinces ont été jugés acceptable­s et n’ont pas été contestés devant les tribunaux. Dans certains cas, les provinces ont pu imposer des barrières non tarifaires avec l’accord du fédéral. Il en est ainsi pour les quotas qui limitent des production­s agricoles.

De façon générale, ces obstacles au libre commerce se répercuten­t en des coûts additionne­ls et des prix plus élevés pour les consommate­urs.

Le défi de la Cour suprême sera d’interpréte­r correcteme­nt l’article 121. Selon Andrew Smith, chercheur de l’Université de Liverpool, qui a étudié la Constituti­on canadienne, l’intention réelle des pères de la Confédérat­ion était d’instituer le libre-échange entre les provinces, ce qui est conforme aux pratiques du Commonweal­th. Si la Cour suprême retient cette interpréta­tion, les provinces devront devoir renoncer à plusieurs obstacles non tarifaires, qu’elles ont mis en place pour protéger leur marché intérieur et même créer des monopoles.

Une telle décision serait bénéfique pour la productivi­té canadienne, les consommate­urs, un grand nombre d’entreprise­s de même que pour la croissance économique du Canada.

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