Les Affaires

René Vézina

- René Vézina rene.vezina@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ vezinar

Faire obstacle à la faim en récupérant et en redistribu­ant des aliments

C’est la période de l’année où, traditionn­ellement, on se penche sur le travail des organismes caritatifs. Dans un monde idéal, le regard devrait s’étendre tout au long de l’année. Il y a toutefois tant d’enjeux et si peu d’espace pour en parler… Cette année, qu’on me le permette, j’ai choisi de présenter le travail accompli par Moisson Montréal. J’en profite pour saluer le travail de tous les organismes du genre qui s’activent sur le terrain, et pour encourager nos lecteurs à être toujours plus généreux à leur égard.

Pour les gérants des supermarch­és, c’est toujours une course contre la montre quant aux viandes offertes dans leurs comptoirs qu’il faut vendre rapidement avant qu’il ne soit trop tard. C’était avant que n’intervienn­e Moisson Montréal. Objectif: contrer l’insécurité alimentair­e.

Vous avez noté que les emballages de ces viandes présentent une date où les produits ont été mis en marché sur les tablettes. Le délai de grâce est exactement de trois jours. Après coup, bonnes ou pas bonnes, elles sont retirées pour être détruites ou enfouies dans des dépotoirs selon les normes en vigueur, réglementa­tion oblige. Trois jours est le maximum autorisé. Après, elles ne sont plus réputées saines pour les consommate­urs. « Mais si nous pouvons récupérer au moment précis de la fermeture des magasins les viandes autrement condamnées en les congelant quasiment sur-le-champ, nous prolongeon­s leur vie utile, pour ensuite les transforme­r, et ensuite les redistribu­er au organismes qui comptent sur nous. » Celui qui parle ainsi s’appelle Richard Blain. Dans la vie courante, il est maître d’enseigneme­nt et responsabl­e du programme de certificat en gestion des ressources humaines à HEC Montréal. Il a aussi été président du conseil de l’Ordre des conseiller­s en ressources humaines agréés du Québec. Les questions liées à la main-d’oeuvre, c’est son domaine.

Dans ses temps libres, manifestem­ent plutôt rares, il est de plus président du conseil de Moisson Montréal, la banque alimentair­e qui desservait, au dernier décompte, 247 organismes communauta­ires sur l’île de Montréal.

« Tout le monde est gagnant avec notre interventi­on, dit-il. Les supermarch­és n’ont pas le droit de simplement jeter ces viandes jugées périmées. Il leur faut payer pour s’en départir. Nous leur évitons ce coût, et nous pouvons en même temps prolonger la vie utile de ces protéines qui vont aider à améliorer la nutrition de bien des gens. »

Depuis octobre 2013, Moisson Montréal a ainsi récupéré 2 500 tonnes de viande, pour une valeur de 24 millions de dollars. Son initiative fait aussi tache d’huile. Toutes les autres « Moisson » québécoise­s s’en sont depuis inspirées.

Richard Blain n’est pas du genre à s’encombrer de grandes phrases creuses, mais il demeure fondamenta­lement expert en gestion à HEC, ce qui lui permet de dire: « Nous intégrons alors des efficacité­s dans le système là où sévissaien­t auparavant des inefficaci­tés. » La bonne gestion de Moisson Montréal vient d’ailleurs d’être reconnue à l’échelle canadienne. L’organisme Charity Intelligen­ce, qui s’intéresse à l’influence des interventi­ons des actions dans le milieu, vient de le classer au 10e rang canadien pour l’impact réel par dollar recueilli, ce qu’on appelle le retour social sur l’investisse­ment. Comme tout repose au départ sur les dons, c’est de nature à réconforte­r les donateurs, autant d’entreprise­s qu’individuel­s.

Moisson Montréal vient tout juste d’apprendre une bonne nouvelle qui va lui permettre d’étendre ses activités. Dans le cadre des activités liées au 375e anniversai­re de la fondation de Montréal, l’organisme vient de recevoir une subvention de 350000$ pour l’acquisitio­n d’équipement­s stratégiqu­es. Au programme, on note de quoi récupérer et revalorise­r plus de 1 000 kilos par jour de fruits et de légumes autrement périmés, ce qui permettra d’ajouter 2,3 millions de portions supplément­aires par année. S’ajoute, entre autres, l’achat d’un autre camion réfrigéré pour la collecte de 1,5 million de portions de viandes supplément­aires. Tant de nourriture autrement, et bêtement, perdue…

« Le visage de la faim a changé, dit Richard Blain. Avant, dans les organismes de soutien alimentair­e, on voyait des gens sans revenu, des itinérants ou autres. Aujourd’hui, on y trouve des travailleu­rs à faible revenu, des retraités démunis, des artistes entre deux contrats et plein de gens qui peinent à joindre les deux bouts. »

De là l’importance de récupérer et de valoriser des aliments toujours comestible­s, mais qui arrivent en fin de vie utile, et dont l’intérêt commercial s’est amenuisé. Les fruits et les légumes seront ainsi rapidement blanchis, puis surgelés et placés avant d’être redistribu­és aux organismes sur le terrain. C’est ce qui permet à Moisson Montréal de répondre à 60% des besoins exprimés sur son territoire, besoins qui ne diminuent pas, au contraire.

« Depuis des années, la société s’enrichit et le niveau de vie général augmente… mais les disparités augmentent elles aussi, dit Richard Blain. Quand on est pauvre, on est portés vers des aliments peu coûteux à forte concentrat­ion de gras, de sucre et de sel, et apparemmen­t nourrissan­ts. À la longue, ils hypothèque­nt toutefois leur santé. Un projet comme le nôtre travaille sur la quantité et la qualité des produits offerts. » En autant que le financemen­t et les dons suivent…

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« Les supermarch­és n’ont pas le droit de jeter ces viandes jugées périmées. Nous leur évitons ce coût, et nous pouvons en même temps prolonger la vie utile de ces protéines qui vont aider à améliorer la nutrition de bien des gens. » – Richard Blain, président du conseil de Moisson Montréal

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