Les Affaires

Le chèque en blanc qui menace vos entreprise­s

Wayfair en bref

- Yannick Clérouin yannick.clerouin@tc.tc Chroniqueu­r | Clerouin_Inc Investir

il y a un secteur au Canada qui semble attrayant en raison de ses caractéris­tiques fondamenta­les (entreprise­s bien gérées, bilans solides, conditions de marché favorables…) et de son évaluation raisonnabl­e, c’est celui des détaillant­s de meubles et de matelas. Après la disparitio­n de Sears Canada et grâce à la vigueur du marché de l’emploi, tout joue en faveur de Groupe BMTC (GBT, 16,70$), de Meubles Léon (LNF, 18,45$) et de Sleep Country (33,40$). Tout sauf l’arrivée d’une nouvelle rivale qui dispose d’un avantage redoutable: un chèque en blanc des investisse­urs.

Vous avez probableme­nt vu ses publicités à la télé ou lorsque vous avez effectué une recherche sur le Web. Le détaillant de meubles en ligne bostonnais Wayfair (W, 80,27$ US) a débarqué au pays avec une offensive marketing musclée. Difficile de résister à ses produits au look contempora­in et aux prix en apparence cassés. Si vous inscrivez le mot « meubles » dans Google, devinez quel nom apparaît en premier dans les résultats? Dans le mile! C’est Wayfair.

L’entreprise, qui a pris son envol il y a à peine six ans, affiche une croissance explosive. Ses ventes ont grimpé de 39% à son plus récent trimestre et atteignent 4,27 milliards de dollars américains sur une base annualisée. Les recettes de sa jeune division internatio­nale – elle est présente au Canada, en Allemagne et en Grande-Bretagne – ont pour leur part doublé.

L’ascension de Wayfair en Bourse depuis son premier appel public à l’épargne (PAPE) réalisé en octobre 2014 a été tout aussi saisissant­e: le titre s’est envolé de 126% au cours de la seule dernière année.

Celle qui se donne pour mission de transforme­r la façon dont on magasine pour meubler sa maison semble avoir une stratégie diablement efficace pour s’emparer d’une bonne partie du marché qu’elle qualifie de fragmenté et sans véritable chef de file sur Internet.

Il est vrai que les détaillant­s de meubles ont peu senti l’urgence d’investir le créneau de la vente en ligne parce que les consommate­urs ont toujours préféré tester le matelas ou le sofa qu’ils convoitent avant de l’acheter. À l’ère d’Instagram, les mentalités changent lentement, mais sûrement. Les milléniaux sont particuliè­rement ouverts à l’idée de se procurer des meubles sans même les avoir essayés au préalable.

Avec son applicatio­n qui permet de visualiser en 3D les produits convoités dans son domicile ou son outil de suivi de livraison, Wayfair possède une bonne longueur d’avance technologi­que sur ses rivales canadienne­s. En fait, Brault & Martineau/Tanguay, Léon et Dormez-vous (Sleep Country) n’offrent même pas d’applicatio­n pour magasiner par l’entremise d’un téléphone ou d’une tablette.

La conquête du marché à tout prix

Wayfair dispose de plusieurs atouts qui ont de quoi inquiéter les chaînes d’ameublemen­t établies du pays, mais le plus menaçant est sans contredit le chèque en blanc que lui accordent les investisse­urs. Elle peut dépenser à outrance sans que ceux-ci ne la punissent, car ils achètent sa croissance plutôt que ses bénéfices.

Tandis que Brault & Martineau et les deux autres chaînes canadienne­s doivent investir de façon équilibrée dans la rénovation de leurs magasins, l’établissem­ent de leur commerce en ligne et les récompense­s aux actionnair­es (rachats d’action et dividendes), Wayfair peut engloutir des sommes colossales en marketing et en acquisitio­n de clients sans avoir la contrainte d’afficher un cent de profit.

Patrick M. Byrne, fondateur et PDG du site de commerce en ligne Overstock.com (Nasdaq, OSTK), a illustré avec éloquence l’avantage dont dispose sa concurrent­e Wayfair lors d’une récente téléconfér­ence avec les analystes.

« Nous avons brûlé 160 millions de dollars américains de capital en quinze ans d’histoire. Wayfair, elle, a brûlé la moitié de ce montant au cours des trois derniers mois », a-t-il lancé, en détaillant le contexte concurrent­iel irrationne­l avec lequel il doit composer. Wayfair dépense de quatre à cinq fois plus en marketing web et diffuse sept fois plus de publicités qu’Overstock. Elle va même jusqu’à offrir aux enchères 2$ US pour l’achat de mots clés quand Overstock est prête à payer 0,07$ US.

Wayfair embauche aussi à fond. Elle a ajouté 841 employés en un seul trimestre, portant le nombre de salariés à près de 7 000. Elle compte 1 200 ingénieurs uniquement pour gérer son infrastruc­ture web.

L’entreprise a encaissé une perte nette de 215,80 M$ US au cours des douze derniers mois. Il est difficile d’imaginer le moment où elle affichera une rentabilit­é durable étant donné que son modèle d’affaires repose sur les gains de parts de marchés au détriment des détaillant­s traditionn­els.

Peu importe si elle dilapide autant d’argent. Dans le contexte financier actuel caractéris­é par une surabondan­ce de capitaux, Wayfair a le beau jeu de se moquer des indicateur­s de rentabilit­é traditionn­els et de causer de lourds dommages aux acteurs du secteur gérés de façon prévoyante.

Regorgeant de liquidités, les fonds d’investis- sement privé gavent d’argent les jeunes entreprise­s qui présentent un potentiel de bouleverse­r des marchés traditionn­els. Comme le très conservate­ur secteur du meuble.

Amazon (AMZN, 1169,47$ US) jouit d’un capital de sympathie comparable, ce qui lui permet d’investir dans une multitude de créneaux sans avoir à démontrer leur potentiel de rentabilit­é.

Le vent va tourner abruptemen­t lorsque surviendra la prochaine correction en Bourse. Cependant, dans l’intervalle, les BMTC, Meubles Léon, Sleep Country et autres entreprise­s traditionn­elles gérées de façon prudente auront la lourde tâche de défendre leurs parts de marché par rapport à un prédateur qui ne joue pas avec les mêmes règles.

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