Les Affaires

Santé mentale en droit : le temps pour un changement ?

- Simon Lord redactionl­esaffaires@tc.tc

Épuisement profession­nel, anxiété, stress, abus de substances, dépression, suicide: les profession­nels du droit sont en général plus touchés que les autres par les problèmes de santé mentale. Est-il venu le temps de changer les choses? « Tout à fait! Les avocats me le disent: ils sont prêts pour du changement », répond Nathalie Cadieux, professeur­e à l’Université de Sherbrooke et membre de l’Équipe sur les organisati­ons en santé (ÉOS). Elle travaille actuelleme­nt sur un projet de recherche, en collaborat­ion avec le Barreau du Québec, dont le titre explique bien l’objectif: « Étude des déterminan­ts de la détresse psychologi­que et du bien-être dans la profession d’avocat au Québec. » La première phase de cette recherche, de nature qualitativ­e, vient de se terminer.

Le projet a été lancé dans le but de pouvoir enfin dresser un portait de la détresse psychologi­que chez les avocats de la province. Peu d’études avaient été réalisées sur le sujet, et le manque de données rendait l’élaboratio­n de solutions plus difficile. Sauf que quelques bribes d’informatio­ns laissaient entrevoir un réel problème.

Au pays, par exemple, la recherche avait déjà montré que les avocats sont trois fois plus à risque que les autres profession­nels de souffrir de dépression, d’alcoolisme et de toxicomani­e, et six fois plus à risque de se suicider. Dans la province, le volume de demandes au Programme d’aide aux membres du Barreau du Québec (PAMBA), un service d’aide et de consultati­on offert aux membres qui souffrent de problèmes de santé mentale, avait par ailleurs augmenté énormément. Entre 1996 et 2016, le volume de demandes a crû de 300%. De 2004 à 2016 seulement, le nombre de dossiers traités est passé de 296 à plus de 1 000.

« Et ça, c’est juste la pointe de l’iceberg, explique Mme Cadieux, parce qu’il y a des avocats qui consultent un psychologu­e privé et qui ne passent pas par le PAMBA, de peur de subir un litige déontologi­que ou de voir leur histoire étalée devant leurs collègues. »

Facteurs de stress

Les résultats de la recherche de Mme Cadieux ? Elle a relevé plusieurs facteurs qui contribuen­t à la détresse psychologi­que chez les avocats.

La technologi­e – Internet, cellulaire­s, courriels – en est un. Son développem­ent a alourdi la tâche des

avocats, mais a aussi accéléré le rythme de travail. Ils doivent par exemple établir souvent leur crédibilit­é auprès d’un client et déconstrui­re des mythes quand celui-ci a déjà trouvé solution à son problème... sur un site de droit en France. Les rapports, eux, après avoir été envoyés au client, ne reviennent plus avec des correction­s après une semaine, comme au temps du courrier. Ils reviennent après une heure.

Les contrainte­s liées à la réglementa­tion de la profession – inspection, isolement profession­nel, imputabili­té, secret profession­nel – sont aussi de grandes sources de stress. La culture, voire le culte, de la compétitiv­ité, que ce soit entre les cabinets ou à l’intérieur de ceux-ci, compte aussi pour beaucoup. Idem pour les longues semaines de travail et les heures facturable­s. « Le fait de devoir atteindre un nombre d’heures facturable­s a été indiqué comme une importante source de stress par tous les participan­ts de notre étude », précise Mme Cadieux. À l’inverse, elle a relevé certains facteurs protecteur­s de la santé mentale. Parmi ceux-ci : les perspectiv­es de carrière, l’autonomie dans le choix des dossiers, la qualité des relations avec les collègues, supérieurs et clients, et le sentiment de contribuer à aider les gens.

La deuxième phase de la recherche de Mme Cadieux est déjà entamée. Elle est de nature quantitati­ve et vise à mesurer la détresse chez les avocats dans le but de mieux comprendre le problème et de proposer des solutions adéquates autour de 2018-2019.

Solutions

Le problème n’est pas propre au Québec. Chaque province a ses enjeux particulie­rs, même si elles partagent parfois des défis similaires, explique Cheryl Canning, présidente du Forum Mieux-Être de l’ABC (L’Associatio­n du Barreau canadien) . « On a tenu notre atelier annuel récemment à Winnipeg, dit-elle. Il semblerait, par exemple, qu’il y ait une hausse des agressions physiques au Québec. Ailleurs, c’est la toxicomani­e. Mais la santé psychologi­que, c’est un enjeu pour chaque avocat du pays. »

Le Forum Mieux-Être de l’ABC offre d’ailleurs un cours, « La santé mentale et le bien-être chez les membres de la profession juripdique », qui compte pour six heures de formation continue. Le but : offrir aux juristes, aux juges et aux étudiants en droit une formation, un soutien et des ressources pour les aider à comprendre les problèmes de santé mentale et de toxicomani­e.

« On reconnaît le problème plus qu’avant, et les jeunes avocats sont plus disposés à changer les choses, mais il nous reste encore du chemin à faire, dit Mme Canning. Il faut changer la culture. »

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