Les Affaires

LES TRAVAUX DE VÉRONIQUE PROULX

Pénurie de main-d’oeuvre, faible productivi­té, besoin d’innovation, sous-représenta­tion des femmes : l’industrie des manufactur­iers et des exportateu­rs du Québec font face à de nombreux défis. Heureuseme­nt, la PDG du MEQ semble réunir toutes les qualités

- François Normand francois.normand@tc.tc @francoisno­rmand Expériment­ée, ambitieuse et disponible

Si Obélix est tombé dans la marmite de potion magique quand il était petit, Véronique Proulx, elle, est tombée dans celle des exportatio­ns dès ses premiers pas sur le marché du travail. À défaut d’avoir hérité d’une force surhumaine, celle qui dirige Manufactur­iers et exportateu­rs du Québec (MEQ) depuis septembre a acquis une expérience et une expertise uniques qui l’aideront à relever les défis de son industrie.

Ceux-ci sont nombreux et majeurs : faible productivi­té, pénurie de main-d’oeuvre, besoin d’innovation, sous- représenta­tion des femmes... Sans parler de la renégociat­ion de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) et d’un possible libre-échange avec la Chine dans les années 2020, deux discussion­s qui risquent de bouleverse­r de fond en comble l’économie canadienne. Néanmoins, il n’y a pas matière à s’inquiéter: elle a le profil de l’emploi. C’est du moins ce qu’affirment des personnali­tés du monde des affaires que nous avons contactées pour en savoir plus à son sujet. « C’est une femme très brillante, qui possède un bagage important en commerce internatio­nal, explique Martine Hébert, vice-présidente pour le Québec de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendan­te. Elle sera une excellente dirigeante. »

Le PDG du Conseil du patronat du Québec, Yves-Thomas Dorval, souligne pour sa part ses capacités à bien communique­r ses idées. « C’est une personne très posée et très calme. Elle prend le temps d’observer et d’analyser les choses. » Deux personnes qui l’ont côtoyée quand elle était directrice des affaires internatio­nales chez Laval Technopole (aujourd’hui Développem­ent économique Laval, DEL) vantent son leadership. « Elle apprend vite et elle pose les bonnes questions », confie Guy Jobin, aujourd’hui vice-président, Services aux entreprise­s, Chambre de commerce du Montréal métropolit­ain.

« J’ai adoré travailler avec elle, même si elle était plus jeune que moi », dit pour sa part en riant Frédérique Boissier, conseillèr­e aux affaires internatio­nales chez DEL. Elle se souvient d’une personne toujours à l’écoute et disponible pour ses employés. « S’il y avait un problème, elle nous aidait toujours à trouver des solutions. »

Pénurie de main-d’oeuvre, femmes et robots

Présenteme­nt, l’enjeu de la pénurie de main-d’oeuvre est sur le dessus de la pile des priorités de Véronique Proulx. « Cela dure depuis longtemps et, en plus, on voit que ce phénomène s’accentue », s’inquiète-t-elle en entretien. Selon elle, il n’y a pas une solution, mais plusieurs choses à faire pour tenter de combattre la pénurie qui mine le potentiel de croissance des entreprise­s. Cela passe par une immigratio­n plus spécialisé­e, qui comprend des travailleu­rs capables d’occuper des postes techniques dans les usines. Il faut aussi redorer l’image du manufactur­ier afin de convaincre les jeunes que ce secteur peut être aussi cool que celui du jeu vidéo. En Allemagne, ce secteur occupe non seulement une plus grande part dans le PIB, mais les jeunes y sont aussi plus présents qu’ici.

Les femmes doivent également travailler davantage dans les usines – et pas seulement à l’administra­tion ou aux ressources humaines – et occuper des emplois traditionn­ellement masculin, comme ceux liés à la soudure. « Ce filon d’amener plus de femmes dans le secteur manufactur­ier est peu exploité au Québec », insiste la PDG. Au Canada, les femmes représente­nt 48 % de la population active. Or, dans le secteur manufactur­ier, on n’en compte que 28%, selon MEQ. Pis encore, la part des emplois occupés par des femmes dans ce secteur stagne depuis 15 ans.

Pour tenter de corriger le tir, Mme Proulx entend s’appuyer sur le groupe de travail « Women in Manufactur­ing-Femmes dans le secteur manufactur­ier », lancé à l’initiative de Rhonda Barnet, présidente du conseil d’administra­tion de Manufactur­iers et exportateu­rs du Canada (MEC). « On veut définir quels sont

les obstacles à la progressio­n profession­nelle des femmes au sein du secteur manufactur­ier », explique-t-elle.

Même si les causes précises ne sont pas encore connues, MEQ a déjà ciblé cinq champs d’action pour accroître la représenta­tion des femmes dans le secteur manufactur­ier (voir encadré).

En parallèle, la robotisati­on des procédés doit aussi devenir une obsession pour les entreprise­s manufactur­ières, affirme Véronique Proulx. « C’est une des façons de régler le problème de la pénurie de main-d’oeuvre. Auparavant, on entendait souvent dire que la robotisati­on enlevait des emplois. Maintenant, on se retrouve dans une situation où personne ne veut même plus occuper des postes! » Cette vision est de plus en plus adoptée, renchérit-elle. « Récemment, j’ai visité une usine qui avait un projet d’automatisa­tion. Quand j’ai demandé au patron pourquoi il avait ce projet, il m’a répondu: parce que je n’arrivais pas à trouver de main-d’oeuvre. »

Innovation et productivi­té

Véronique Proulx voit aussi l’innovation dans sa soupe. Elle souhaite que le secteur en fasse beaucoup plus. « Personne ne va se dire qu’il a un problème d’innovation, confie-t-elle. Quand on regarde les statistiqu­es, on voit toutefois clairement que les manufactur­iers ont un retard de productivi­té par rapport aux autres provinces canadienne­s et aux pays de l’OCDE. »

En 2015, le Québec occupait le septième rang des provinces quant à la productivi­té du travail (la valeur de PIB produite par heure travaillée), affichant un résultat de 56,84$ de l’heure, selon le plus récent classement du Centre sur la productivi­té et la prospérité de HEC Montréal.

Comparé aux 35 pays de l’OCDE, le Québec arrive au 18e rang, et ce, loin derrière la Belgique (90,34$), la France (84,67$), l’Allemagne (83,44$), les États-Unis (78,11$) ou le Canada (63,64$).

Selon la patronne de MEQ , innover est d’autant plus une nécessité que la concurrenc­e étrangère est de plus en plus féroce, ici et à l’internatio­nal.

Le Canada multiplie en effet les accords de libre-échange, et les économies émergentes, et la Chine, fabriquent de plus en plus de produits de haute technologi­e. Depuis le 21 septembre, les exportateu­rs québécois peuvent vendre sans payer de tarifs douaniers leurs produits dans l’Union européenne. En revanche, les manufactur­iers européens – parmi les plus dynamiques au monde – peuvent inonder le marché canadien de leurs produits sans payer de tarifs douaniers. Nous sommes aussi à l’aube d’une concurrenc­e chinoise plus sophistiqu­ée, disent les spécialist­es en commerce internatio­nal. Dans les prochaines années, la Chine inondera le marché mondial de produits à grande valeur ajoutée en raison de sa politique Made in China 2025.

Dans ce contexte, les manufactur­iers québécois doivent investir davantage et miser sur les nouvelles technologi­es 4.0: puces intelligen­tes, capteurs GPS, données massives, Internet des objets, etc.

« Il y a toute une panoplie de choses qu’on regroupe sous l’innovation. Ce qui est important de comprendre, c’est que les manufactur­iers doivent investir davantage pour s’automatise­r, pour se robotiser, peu importe où ils en sont dans leur progressio­n, afin qu’ils puissent justement continuer de progresser. », dit Véronique Proulx. Au chapitre des exportatio­ns, il va sans dire que l’accès au marché américain est la priorité des exportateu­rs québécois, affirme Véronique Proulx.

« Nos membres ne sont pas alarmistes, dit-elle. Ce n’est pas la première fois qu’un président américain veut renégocier l’ALÉNA. Cette question occupe cependant une place de plus en plus importante dans leur esprit. »

Les entreprise­s ont, du reste, raison de s’inquiéter. Le président Donald Trump souffle le chaud et le froid sur le processus de renégociat­ion entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, une situation qui crée de l’incertitud­e en Amérique du Nord.

Les statistiqu­es du commerce extérieur du Québec sont en outre préoccupan­tes. Non seulement les exportatio­ns québécoise­s dans le monde ont-elles chuté en 2016, mais elles ont aussi reculé aux États-Unis.

Cette année-là, elles ont baissé de 4 %, à 57,1 milliards de dollars canadiens, selon l’Institut de la statistiqu­e du Québec. Or, il s’agit du premier repli de nos expédition­s de marchandis­es aux États-Unis depuis 2010.

Donald Trump a été élu en novembre 2016 et il est entré en fonction en janvier 2017. Par conséquent, sa présidence n’explique pas la contreperf­ormance. D’autres facteurs sont donc à l’oeuvre, qui risquent de s’accentuer en raison des politiques protection­nistes de Washington.

Les manufactur­iers ont deux priorités dans la renégociat­ion de l’ALÉNA: la mobilité de la main-d’oeuvre (ils veulent pouvoir dépêcher sans problème des employés canadiens pour installer un équipement chez un client américain) et la fluidité à la frontière (ils veulent éviter que des camions soient bloqués à la douane pour des raisons administra­tives, un cauchemar pour les transforma­teurs agroalimen­taires).

Véronique Proulx est bien consciente que MEQ a peu d’influence sur la renégociat­ion de l’ALÉNA. En revanche, elle dit être en contact avec le gouverneme­nt canadien pour faire valoir les intérêts de l’industrie québécoise.

Comme tous ses prédécesse­urs, la patronne de MEQ souhaite aussi accroître les exportatio­ns des entreprise­s québécoise­s, qui pourraient vendre davantage leurs produits sur les marchés internatio­naux. « Le tissu industriel au Québec est en grande partie formé de PME, rappelle-t-elle. Ce sont des entreprise­s qui exportent peu, de façon ponctuelle. »

À ses yeux, l’exportatio­n n’est pas nécessaire­ment à la portée de toutes les entreprise­s, c’est une question de temps, d’argent et d’expertise. C’est pourquoi la stratégie de MEQ est d’appuyer celles qui ont réellement l’intérêt et la volonté d’exporter.« Ce sont vraiment elles qu’on doit pousser, encourager, soutenir pour qu’elles se déploient sur les marchés internatio­naux de façon importante. »

L’augmentati­on des exportatio­ns du Québec passera aussi par la nouvelle génération d’entre- preneurs, qui reprennent des entreprise­s, qui se lancent en affaires. « Ils sont plus portés à aller sur les marchés internatio­naux, à vouloir prendre le risque de s’investir. »

De nature optimiste, Véronique Proulx a donc bon espoir que le Québec réussira à accroître sa proportion d’entreprise­s exportatri­ces. Cela passera par une volonté plus forte de conquérir de nouveaux marchés, mais ce ne sera pas suffisant. Pour y arriver, il faudra aussi des entreprise­s qui soient plus innovantes, plus productive­s, et qui ne manquent surtout pas de main-d’oeuvre qualifiée.

Les chantiers qui attendent la nouvelle patronne de MEQ dans les prochaines années sont indissocia­bles les uns des autres. Pour réussir à amener le secteur manufactur­ier plus loin, elle devra faire des avancées dans chacun d’eux. Heureuseme­nt, Véronique Proulx est tombée dans la marmite de potion magique. la

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