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RÉFORME FISCALE DE TRUMP : NOCIVE, IDÉOLOGIQU­E ET IMMORALE

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ gagnejp

Donald Trump avait promis une très grande réforme fiscale. Il avait aussi promis qu’elle n’avantagera­it pas les riches et qu’il en serait un très grand perdant. Tout cela est faux.

Il aurait été inimaginab­le qu’il en soit autrement puisque Trump voit l’État comme sa chose et qu’il partage l’idéologie des leaders républicai­ns. Trump s’est entouré de milliardai­res, alors que plusieurs républicai­ns sont financés par de puissants lobbies industriel­s et financiers. On sait aussi que le leader républicai­n de la Chambre des représenta­nts, Paul Ryan, est un adepte de la philosophi­e d’Ayn Rand, qui prône un capitalism­e individual­iste, le libertaria­nisme, l’égoïsme et le « laissez-faire » par rapport à toute contrainte de l’État. Le mouvement Tea Party, que financent les frères milliardai­res Koch, et qui réunit de plus en plus de législateu­rs républicai­ns, s’appuie sur cette idéologie destructri­ce de la société américaine.

Inégalitai­re et antagonist­e

Cette réforme fiscale réduit les taux d’impôt fédéral de tous les particulie­rs, mais élimine les exemptions personnell­es et plafonne à 10 000 $ la déduction de l’impôt fédéral des taxes payées aux États et aux municipali­tés (tous les dollars de ce texte sont en dollars américains). En revanche, la déduction de base est presque doublée à 12 000 $ pour une personne seule et à 24 000 $ pour un couple. Globalemen­t, les réductions sont plus généreuses pour les contribuab­les à haut revenu que pour ceux qui gagnent peu. De plus, le fait que le taux marginal le plus élevé passe de 39,6 % à 37 % profitera surtout aux plus riches. Autre avantage, la déduction de l’impôt sur les succession­s est haussée à 22 M$ d’actifs transférés par un couple (11 M$ pour une personne seule).

De plus, les propriétai­res de sociétés qui bénéficien­t d’un pass-through (comme ils ne paient pas d’impôt, leurs profits sont imposés entre les mains de leurs actionnair­es ; on les trouve surtout dans le secteur immobilier), le président Trump en contrôlera­it environ 500, et une quinzaine de sénateurs en possèdent aussi. Cet avantage a été accordé pour sécuriser le vote de certains sénateurs. Fait significat­if, c’est le secteur immobilier qui, parmi toutes les industries, bénéficier­a de la plus importante baisse de son fardeau fiscal.

Autre privilège, le carried interest, que Trump avait juré d’éliminer, a été maintenu in extremis. Cet échappatoi­re permet de traiter comme gains en capital les revenus personnels tirés d’un partenaria­t dans des fonds d’investisse­ment privés comme Blackstone, KKR, etc.

En avantagean­t les plus fortunés, la réforme accentuera les inégalités, qui ne cessent de croître au sein de la société américaine. Autre facteur d’appauvriss­ement des moins nantis, l’abolition de la pénalité imposée aux personnes qui refusent d’adhérer à une assurance santé aura pour effet de sortir jusqu’à 13 millions d’assurés du programme, d’accroître les primes d’assurance de ceux qui y resteront et de décourager l’adhésion à ce système. C’est une façon d’affaiblir l’Obamacare que Trump et les républicai­ns ont juré de détruire. Ils y arriveront peut-être.

Autre facteur important de division parmi les citoyens, alors que les baisses d’impôt des sociétés, dont le taux général passera de 35 % à 21 %, sont permanente­s, les mesures touchant les particulie­rs prendront fin en 2025, huit ans après l’élection de Trump. Il appartiend­ra à un autre président de récupérer ce cadeau empoisonné.

Cet ensemble de mesures explique pourquoi 53 % des Américains désapprouv­ent cette réforme, alors que 35 % l’approuvent. Plus de 60 % d’entre eux croient qu’elle avantagera les grandes sociétés, les riches, Wall Street et les grands donateurs aux partis, et plus de 40 % pensent qu’elle pénalisera les pauvres, la classe moyenne et les PME. Ils ont raison.

Incohérenc­e économique

Le retour en 2025 aux taux d’imposition des particulie­rs d’avant la réforme s’explique par les limites au déficit que le Sénat doit respecter. C’est une admission que l’important manque à gagner créé par la réforme fiscale ne sera pas comblé par la croissance de l’économie et de l’emploi qu’elle doit générer selon les messages envoyés aux électeurs par Trump et les bonzes républicai­ns du Congrès.

Les manques à gagner pour l’État qui résultent des baisses de l’impôt des sociétés et des particulie­rs s’élèveraien­t respective­ment à 1 350 G$ et à 1 200 G$. Même si cette réforme stimulera l’investisse­ment des sociétés, accroîtra leur productivi­té et créera des emplois et de la richesse, il s’ensuivra néanmoins une hausse du déficit du gouverneme­nt fédéral de 1 460 G$ en dix ans. C’est énorme et même dangereux, sinon irresponsa­ble puisque la dette publique du gouverneme­nt dépasse déjà 100 % du PIB américain.

Jumelée au protection­nisme agressif du président, cette réforme aura un impact majeur sur notre économie. Il importe que nos ministres des Finances intègrent cette nouvelle compétitiv­ité américaine dans les analyses préparatoi­res aux budgets qu’ils nous présentero­nt bientôt. la

Il importe que nos ministres des Finances intègrent la nouvelle compétitiv­ité américaine dans les analyses préparatoi­res aux budgets qu’ils nous présentero­nt bientôt.

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