Les Affaires

L’avocat est [encore] un artisan

- Forum président, OnRègle.com

La profession d’avocat est caractéris­ée par un décorum et des pratiques ancrées dans le passé. Plus que toute autre profession, le passé est utilisé pour définir les opinions, prédire la décision d’un juge et pour structurer l’industrie. Malheureus­ement, le modèle de production des services d’avocats est également ancré dans le passé et cela rend la production de masse des services presque impossible. La raison est que le modèle de l’avocat s’apparente à celle d’un artisan et voici pourquoi: Qu’est-ce qu’un artisan? « L’artisanat est la transforma­tion de produits ou la mise en oeuvre de services grâce à un savoir-faire particulie­r et hors contexte industriel : l’artisan assure en général tous les stades de la transforma­tion et de la réparation du produit, ou de la prestation de services et leur commercial­isation. » Nous ajouterion­s à cette définition de Wikipédia qu’un artisan met son art au service d’autrui. L’offre de l’artisan L’artisan vend des produits uniques. Ce qu’il conçoit est souvent créé sur mesure pour l’acheteur. Étant donné qu’il fait du sur-mesure et qu’il repart de zéro chaque fois, l’artisan utilise très peu d’outils pour standardis­er son travail. Ce qui différenci­e son produit d’un autre est son talent et le temps qu’il a investi dans l’oeuvre. Le talent étant une variable constante, l’artisan va habituelle­ment facturer en fonction du temps qu’il a mis dans la production.

Le nombre d’heures étant limité dans une journée, l’artisan ne peut concevoir qu’une quantité limitée de produits. Le modèle artisanal s’oppose au modèle industriel et à la chaîne de montage. Contrairem­ent à l’industriel, l’artisanat n’est pas fait pour la production de masse. La stratégie d’affaires d’un artisan consiste généraleme­nt à se différenci­er par la qualité et le luxe liés à une production sur mesure.

L’artisan est généraleme­nt personnell­ement attaché à ce qu’il produit. Il vend donc aussi son nom et la réputation qui lui sont associés. Quand devons-nous acheter d’un artisan? Lorsqu’un produit standard ne convient pas ou n’existe pas, ou encore lorsque quelqu’un souhaite s’offrir un produit de luxe. En achetant d’un artisan, le client s’attend à un service sur mesure et de qualité. Ultimement, le client sait (ou se doute) qu’il devra payer un prix élevé pour un service personnali­sé. C’est sans surprise que ce sont principale­ment les mieux nantis qui peuvent acheter ce type de produit. A contrario, ce type de produit n’est pas destiné à desservir la masse. Changement de culture On parle aujourd’hui d’avoir le « droit à un avocat ». Cependant, il n’est pas prudent de promettre ceci dans une industrie où la standardis­ation n’est pas possible. L’analogie de l’artisan expose les limites du modèle d’affaires actuel dans le monde juridique. Elle illustre également l’intensité des changement­s à opérer si nous désirons changer ce modèle. Pour réellement offrir de la justice pour tous, il faudra transforme­r la manière de travailler du principal acteur dans le système.

Les avocats et nos institutio­ns réclament un changement de culture depuis des années. Cela dit, un plan concret pour changer cette culture n’a pas été mis en place. Nous proposons que le changement de culture tant recherché soit le passage d’une production artisanale à une industrial­isation du droit. C’est grâce à la chaîne de montage, l’automatisa­tion et la standardis­ation que la majorité des biens consommés aujourd’hui sont accessible­s. Le droit n’échappe pas à cette logique de production et d’accessibil­ité.

Sommes-nous prêts pour ce bouleverse­ment? Ce qui diffère aujourd’hui, c’est que la technologi­e est mûre. Elle nous permet de simplifier des questions complexes et de démocratis­er le droit. Il est maintenant possible d’industrial­iser les processus en droit pour offrir des produits standards à bas prix aux citoyens.

Ce n’est plus de la science-fiction: l’industrie des services juridiques en ligne en est une de 5 milliards de dollars aux États-Unis et elle est en forte croissance. Selon différents experts, de 20% à 30% des services juridiques seront automatisé­s dans les prochaines années. Pour commencer, la technologi­e va automatise­r les tâches répétitive­s. Toutefois, rapidement, la technologi­e va s’attaquer aux tâches plus complexes. La fin de la pratique traditionn­elle? Non, il existera toujours un marché pour les services haut de gamme et sur mesure. Les plus nantis vont continuer à avoir recours à ceux-ci. Cependant, pour une grande partie des avocats, l’industrial­isation signifie que la nature des services qu’ils offrent doit radicaleme­nt changer.

Transforme­r la culture juridique sera difficile pour plusieurs raisons. Premièreme­nt, aux yeux de l’avocat, un produit issu de l’industrial­isation dénature son oeuvre et anéantit l’investisse­ment qu’il a fait pour acquérir un capital fondé sur la réputation. De plus, les avocats ne sont pas actuelleme­nt formés pour construire ou opérer un tel système de production.

Heureuseme­nt ou malheureus­ement, les bouleverse­ments des modèles d’affaires sont non seulement inévitable­s, mais sont déjà amorcés. Plus la technologi­e prendra de la place dans la production de services, moins le modèle d’affaires actuel basé sur l’heure facturable sera pertinent.

Le passage d’un système de production artisanal à un système industriel permettra enfin une justice abordable et accessible. Il faudra, par contre, ne pas s’attendre à recevoir un service personnali­sé ou sur mesure dès les premières années de cette industrial­isation. Cependant, un jour il sera difficile de distinguer le travail de l’avocat artisan de la machine et cela sera pour le mieux.

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