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DÉPASSER LA PHASE D’AMORÇAGE EST UN DÉFI

- Marie Lyan redactionl­esaffaires@tc.tc

Bien souvent, l’enjeu pour une entreprise ne se situe pas dans la phase d’amorçage, mais dans l’étape suivante où elle doit réunir le capital pour se développer. Si plusieurs experts considèren­t qu’il n’y a jamais eu autant de capital disponible pour les entreprise­s, force est de constater qu’il existe un écart entre les sociétés déjà profitable­s et celles qui ne le sont pas encore.

Après avoir déjà investi beaucoup de ressources dans la phase d’amorçage, les entreprene­urs québécois peuvent rencontrer plus de difficulté­s à trouver des fonds quand vient le temps de financer la phase de commercial­isation de leur produit.

D’après la dernière étude « Portrait de l’offre en capital investisse­ment au Québec », réalisée en décembre 2015 par la firme-conseil PwC, il serait en effet plus simple d’aller chercher des fonds en amorçage. « Il existe un trou dans la chaîne de financemen­t pour les entreprise­s en développem­ent qui n’ont pas encore lancé leur premier produit. Souvent, ce sont des gens fortunés qui prennent ce type de risque, car le rendement peut être énorme une fois que l’entreprise a atteint sa maturité, notamment dans le cas des entreprise­s technologi­ques », reconnaît Frédéric Bouchard, associé en Transactio­ns chez PwC.

« Le problème, c’est que l’entreprene­ur et l’investisse­ur ne voient pas les choses de la même façon, complète M. Bouchard. Pour l’entreprene­ur qui a lancé son projet de zéro, cette phase est vue comme moins risquée: le produit s’en vient, mais du côté de l’investisse­ur, il existe encore beaucoup de risques, puisque le produit doit encore se rendre jusqu’au marché, tout en continuant à être développé. »

S’il existe plusieurs programmes gouverneme­ntaux pour aider les entreprene­urs à passer de l’idée à la création de l’entreprise, Micheline Renault, professeur­e au Départemen­t des sciences comptables de l’ESG UQAM, confirme qu’il existe « un vide lorsqu’on entre dans la phase de développem­ent ». En attendant de pouvoir faire appel à des banques, qui n’intervienn­ent pas dans le champ du capital-développem­ent, mais plutôt sur les activités qui présentent un niveau de risque intermédia­ire, la période se révèle d’autant plus difficile qu’en parallèle, « l’entreprise peut se retrouver en situation de non-rentabilit­é en raison des dépenses engendrées par le développem­ent d’un nouveau marché ou par la conception d’un nouveau produit ».

Une solution: chercher plus d’argent à l’amorçage

« Souvent, les entreprise­s en phase d’amorçage commencent par lever de l’argent grâce à un plan d’affaires précis, mais si elles dépassent le délai qu’elles s’étaient fixé sans atteindre la rentabilit­é, elles connaissen­t alors un trou dans leur chaîne de financemen­t », observe Étienne Drouin, directeur général en capital de croissance et transfert d’entreprise à la Banque de développem­ent du Canada.

Pour traverser cette phase délicate, les entreprene­urs ont donc tout intérêt à anticiper en allant chercher plus d’argent dès la phase d’amorçage. « Il faut prévoir dès le départ au moins une année de plus », estime M. Drouin. Il existe en effet beaucoup de fonds institutio­nnels au Québec, comme la Caisse de dépôt et placement du Québec, Investisse­ment Québec ou la Banque de développem­ent du Canada, qui peuvent investir ou prendre des participat­ions minoritair­es.

Frédéric Bouchard rappelle que durant cette phase, l’objectif principal d’une entreprise doit toujours être d’arriver première sur le marché, tout en dépensant le moins d’argent possible. « Souvent, les entreprene­urs essayent de développer plusieurs marchés en même temps, alors qu’il vaut mieux arriver d’abord à la rentabilit­é en vue de diminuer le risque et de pouvoir ensuite opter pour des instrument­s comme de la dette », souligne-t-il.

« Au lieu de chercher à avoir un produit parfait, se rendre au marché rapidement avec un premier produit pouvant être testé par les utilisateu­rs permet de transforme­r ces derniers en clients payants, d’accélérer l’entrée des fonds et de limiter la zone tampon », confirme M. Drouin. Celui-ci conseille également aux entreprene­urs « de travailler à l’envers » de ce qu’ils ont l’habitude de faire: « Les gens travaillen­t souvent selon des prévisions et établissen­t leur degré de dépenses en fonction d’où ils souhaitent arriver. Ils peuvent aussi procéder de manière inverse, en développan­t plusieurs scénarios qui dictent chaque fois le montant maximal des dépenses. »

Financer soi-même la croissance?

Les entreprise­s qui ont déjà lancé un produit sur le marché ont accès à une autre solution, qui est d’autofinanc­er leur croissance. « Si l’on a besoin d’acheter de nouveaux équipement­s, il est parfois possible de trouver un accord avec un fournisseu­r qui accepte des conditions flexibles pour le règlement », suggère Brian King, professeur au départemen­t d’entreprene­uriat et innovation de HEC Montréal, tout en rappelant que les sources de financemen­t les moins coûteuses se situent toujours, en premier lieu, auprès de ses partenaire­s. « On peut aussi tenter de négocier des paiements en avance auprès de ses clients pour financer le démarrage de la production. »

MmeRenault, de l’ESG UQAM, rappelle que la mise en place de partenaria­ts est aussi une solution d’autres possibilit­és pour financer les frais liés au marketing, à la R-D ou à la recherche. « On peut s’entendre avec une autre entreprise qui est intéressée par le même objectif commercial pour développer une technologi­e. » Cette stratégie peut même mener à des acquisitio­ns et aider à obtenir le soutien de fonds institutio­nnels. Christian Dubé, premier vice-président de la Caisse, cite le cas de la compagnie Lightspeed, qui a racheté, en 2015, la société SeoShop, à Amsterdam, pour aller chercher des spécialist­es du Web « alors qu’elle était rendue dans une phase de développem­ent où l’acquisitio­n de connaissan­ces et technologi­es devenait un enjeu ».

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« Il existe un trou dans la chaîne de financemen­t pour les entreprise­s en développem­ent qui n’ont pas encore lancé leur premier produit. » – Frédéric Bouchard, associé en Transactio­ns chez PwC

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Les entreprene­urs ont tout intérêt à anticiper en allant chercher plus d’argent dès la phase d’amorçage.
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