Les Affaires

Le partage du PIB entre travailleu­rs et employeurs

La consolidat­ion parmi les employeurs pourrait aussi contribuer de manière décisive à ralentir la croissance des salaires et à accroître l’inégalité des revenus.

- Laura O’Laughlin redactionl­esaffaires@tc.tc

Bien qu’il n’existe pas de loi économique ni politique selon laquelle les travailleu­rs devraient partager de manière égale et constante les avantages de la croissance économique, la part des revenus du travail dans le PIB a régulièrem­ent diminué depuis les années 1960. Aujourd’hui, la part du revenu du travail est à son plus bas niveau depuis la Seconde Guerre mondiale, tandis que les inégalités de revenus continuent de croître.

Il suffit de regarder les composants du PIB canadien. Le PIB est, en quelque sorte, un chèque de paie pour le Canada qui se décompose en deux parties. Une partie est « versée » aux travailleu­rs sous forme de revenu, l’autre est versée aux entreprise­s (et à leurs actionnair­es) sous forme de capital. Depuis les années 1970, la part du PIB consacrée au « revenu du travail » diminue régulièrem­ent, passant de 59,9% en 1976 à 53,3% en 2015.

Le même effet est visible quand on regarde la croissance réelle des salaires – elle a presque stagné pour tous, sauf pour les plus hauts revenus. Bref, le revenu des Canadiens croît moins vite que les entreprise­s qui les engagent, donnant l’impression que la croissance est réservée aux entreprise­s et aux fortunés.

Cependant, les inégalités ne sont pas la cause, elles sont un symptôme. De nombreux débats récents sur les causes des inégalités mettent en évidence une concentrat­ion croissante, parmi les producteur­s, des prix de monopole sur les marchés des vendeurs ; ou bien l’automatisa­tion et la mécanisati­on qui déplacent les travailleu­rs. Pourtant, la cause des inégalités pourrait être ailleurs.

En fait, des recherches récentes montrent un autre côté de la médaille: la consolidat­ion parmi les employeurs pourrait aussi contribuer de manière décisive à ralentir la croissance des salaires et à accroître l’inégalité des revenus. S’il n’y a que deux employeurs sur un marché du travail, par exemple, ces derniers n’ont pas besoin d’être aussi compétitif­s en cherchant des employés. Cette concurrenc­e réduite pour les travailleu­rs donne à ces entreprise­s des pouvoirs de « monopsone » sur le marché du travail. Dans un tel marché, les travailleu­rs sont plus enclins à « accepter » les conditions de travail offertes par les employeurs, et ces sociétés n’ont pas à s’inquiéter de perdre leurs travailleu­rs au profit des employeurs concurrent­s. Ce manque de concurrenc­e dans le marché de l’emploi permet aux entreprise­s de payer un salaire inférieur à celui qui prévaudrai­t sur un marché concurrent­iel. Il donne lieu aussi a des inégalités de revenu entre travailleu­rs – favorisant des salaires plus élevés pour ceux qui ont un pouvoir de négociatio­n (ex.: ceux qui sont plus éduqués ou ceux qui sont plus mobiles).

Il est intéressan­t de noter que le meilleur moyen de « réparer » ces inefficaci­tés liées au pouvoir de monopsone sur le marché du travail est tout simplement d’augmenter le salaire minimum. Dans le cas où le nombre d’employeurs potentiels est limité – ou trop concentré –, les hausses du salaire minimum ne nuisent pas à l’emploi (une critique souvent faite par ceux qui s’y opposent). Ces hausses exigent simplement que les employeurs paient davantage leurs travailleu­rs. En effet, quelques études récentes montrent que des hausses de salaire minimum n’ont pas eu d’effet néfaste. Bien sûr, l’impact ultime de la législatio­n sur le salaire minimum est une question ouverte, mais les données jusqu’à maintenant montrent que ces hausses ne torpillent pas l’emploi. Peut-être l’augmentati­on du salaire minimum est-elle une manière efficace de garantir que les travailleu­rs obtiennent une part meilleure et plus équitable des retombées économique­s de leur travail, tout en luttant contre l’augmentati­on des inégalités.

la Lire aussi notre article en page 12, « Salaire minimum: qui doit payer ? »

 ??  ?? Laura O’Laughlin est vice-présidente du cabinet de consultati­on Groupe d’analyse. Elle est aussi fondatrice de l’Institut des génération­s, un organisme sans but lucratif qui s’intéresse à l’équité entre les génération­s.
Laura O’Laughlin est vice-présidente du cabinet de consultati­on Groupe d’analyse. Elle est aussi fondatrice de l’Institut des génération­s, un organisme sans but lucratif qui s’intéresse à l’équité entre les génération­s.

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