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Bourse: la réforme des impôts aura-t-elle l’effet attendu?

Les prévisions fournies par les entreprise­s américaine­s sont les plus optimistes depuis 2010

- BOURSE Dominique Beauchamp dominique.beauchamp@tc.tc beauchamp_dom

Les sommets boursiers successifs en dérangent plus d’un et la question sur toutes les lèvres demeure. Insufflé par les baisses d’impôt, l’élan historique de la Bourse américaine durera-t-il ?

L’indice phare américain, le S&P 500, a connu une année 2017 parfaite, en enfilant 14 mois consécutif­s de rendement total positif, du jamais vu depuis 1959.

L’indice élargi commence 2018 en force grâce à un gain de 4,6 % et des records pour neuf de ses onze premières séances, le meilleur début d’année depuis 1987.

Déjà, plusieurs courtiers s’empressent de réviser à la hausse leurs prévisions de bénéfices pour 2018 après avoir pris connaissan­ce des nouvelles règles fiscales clé de la réforme Trump.

La révision à la hausse des bénéfices, qui s’étend partout sur le globe, est la plus forte depuis au moins l’an 2000, rapporte aussi Citigroup, grâce à la croissance la plus synchronis­ée en dix ans.

Le plus optimiste des stratèges, Keith Parker, d’UBS, a fait grimper ses anticipati­ons de profits de 141 $ US à 157 $ US pour 2018 et prévoit désormais que le S&P 500 terminera 2018 à 3 150 points, 12,5 % de plus que son cours au 18 janvier.

D’autres, au contraire, préviennen­t déjà que l’effet espéré de la baisse des impôts sur l’économie et les dépenses des entreprise­s et des consommate­urs est exagéré ou qu’elle se révélera éphémère.

Les investisse­urs auront très bientôt des pièces à conviction à consulter pour alimenter le débat qui risque d’ailleurs de faire rage toute l’année.

Le sondage des gestionnai­res de fin d’année de Bank of America Merrill Lynch révélait en effet que 83 % des pros s’attendent à un ultime sommet pour la Bourse en cours d’année.

Les entreprise­s dévoilent leur jeu d’ici le 16 février

À partir du 12 janvier, les entreprise­s du S&P 500 divulguero­nt les résultats de leur quatrième trimestre et leurs perspectiv­es pour l’année.

Les chefs de la direction financière auront eu amplement le temps d’évaluer les énormes charges et les gains comptables que provoque la réforme, d’estimer les profits étrangers qu’ils prévoient rapatrier et, surtout, de décider ce qu’ils comptent faire de l’argent qu’ils n’auront plus à verser en impôts.

On peut s’attendre à un mélange de remboursem­ent de dettes, de rachats d’actions, de dividendes accrus, d’acquisitio­ns et de projets d’expansion, tous propices à d’autres gains en Bourse, prévoit Ed Yardeni, PDG de Yardeni Research.

« Le nouveau plafond de 30 % sur la déduction des intérêts pourrait inciter certaines entreprise­s à rembourser des dettes. Exxon y songe d’ailleurs », écrit l’économiste.

Plusieurs entreprise­s attendaien­t sans doute la baisse des impôts – et surtout les détails de la dépréciati­on des dépenses en capital et de la déductibil­ité des frais d’intérêts – avant d’enfin délier les cordons de leur bourse.

Le secteur manufactur­ier est de loin le plus grand bénéficiai­re de la réforme : les économies prévues à 262 milliards de dollars américains sur 10 ans représente­nt 20 % de toutes les économies estimées par le Penn Wharton Budget Model.

Au deuxième rang, on retrouve le secteur financier, qui affiche des économies cumulées de 250 G$ US.

« Les industries gourmandes en capital telles que les services aux collectivi­tés, l’immobilier, le transport, l’agricultur­e et les services de santé bénéficier­ont le plus de la nouvelle règle qui permet de passer immédiatem­ent à la dépense 100 % des investisse­ments en immobilisa­tions au lieu de les amortir », précise aussi M. Yardeni.

Les entreprise­s seront nombreuses à racheter leurs actions, car elles n’ont pas vraiment besoin d’ajouter à leur capacité de production. Les stratèges de Bloomberg Intelligen­ce prédisent déjà un rebond de 70 % de la valeur annuelle des rachats d’actions.

La bougie d’allumage de la réforme explique pourquoi des observateu­rs craignent qu’une économie forte ne surchauffe et apporte un retour indésirabl­e de l’inflation et des taux plus élevés, préparant ainsi la fin des festivités en Bourse.

À cela s’ajoute la peur bien légitime qu’une fièvre spéculativ­e se soit emparée de bien des actifs, dont la hausse paraboliqu­e des cryptomonn­aies ou encore la frénésie entourant le cannabis à usage récréatif.

« Nous sommes terrifiés (de voir le Dow Jones franchir 25 000 points, 23 jours après le seuil de 24 000) », a lancé Paul Gambles, directeur associé de MBMG Group, en entrevue à la chaîne CNBC.

Les trois seuls épisodes de Goldilocks de l’histoire, une période de croissance économique mondiale forte sans trop d’inflation, ont connu une mort horrible. « Le risque est exponentie­l », a-t-il renchéri.

Un feu de paille ?

Chez Bank of America Merrill Lynch, l’équipe quantitati­ve a relevé ses prévisions de 10 % à 153 $ US pour les bénéfices du S&P 500 en 2018, soit 10 $ US pour la baisse de 35 % à 21 % du taux statutaire d’impôts, 3 $ US pour l’effet des rachats d’actions et 1 $ US pour la hausse des prix des matières premières, dont le pétrole.

Ces projection­s représente­nt une hausse annuelle de 16 % des bénéfices, la meilleure depuis 2010 et aussi le cinquième plus fort bond des profits annuels en 25 ans.

Sur cette base, le S&P 500 s’échange à 18,3 fois les nouveaux bénéfices, un multiple somme toute raisonnabl­e, mais qui pourrait devenir un piège si l’effet de la réforme s’étiole rapidement, avertit le courtier.

Les experts de la firme redoutent aussi que la réforme accentue la compétitio­n entre les entreprise­s tout à coup renflouées de nouvelles liquidités et incite aussi la Fed à relever plus énergiquem­ent ses taux.

« Déjà, plusieurs entre- prises signalent qu’elles doivent dépenser plus pour leur main-d’oeuvre et leurs matières premières, en même temps que la concurrenc­e les oblige à abaisser leurs prix de vente », écrit Savita Subramania­n, stratège quantitati­f en chef.

Les secteurs de la consommati­on discrétion­naire et des télécommun­ications, deux des plus grands bénéficiai­res de la réforme sur papier, sont aussi ceux qui subissent le plus le feu de la compétitio­n et les perturbati­ons technologi­ques, ajoute-t-elle.

La croissance mondiale en appui

Chez CFRA Research, la stratège Lindsey Bell s’attend à ce que le consensus pour la progressio­n des profits de 2018 grimpe bien au-delà de l’actuel 12,5 %, à mesure que les entreprise­s dévoileron­t leurs plans entre le 12 janvier et le 16 février.

La croissance mondiale synchronis­ée, l’accélérati­on américaine et la hausse des cours des ressources renforcent la tendance, dit-elle.

Cela dit, les marchés ne sont jamais à l’abri d’un mouvement de recul qui peut survenir quand on s’y attend le moins ou qui peut être déclenché par un choc que souvent personne ne voit venir.

Déjà, le bond éclair de 21 points de base, à 2,61 %, du taux repère américain 10 ans, en un mois, a d’ailleurs un peu refroidi l’enthousias­me des investisse­urs, les 10, 16 et 18 janvier.

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