Les Affaires

Le Québec «néo-entreprene­urial»

- Jean-Martin Aussant redactionl­esaffaires@tc.tc Chroniqueu­r invité Chronique

J’ai eu la chance de parcourir chacune des 17 régions du Québec ces deux dernières années. J’ai vu, entendu, souvent même expériment­é des projets portés par des collectivi­tés inspirées et inspirante­s. Malgré un contexte économique local trop souvent ardu (quoi qu’en disent certaines statistiqu­es nationales enviables), j’ai vu partout des gens prendre résolument en charge le développem­ent de leur milieu de vie.

Dans chaque région, j’ai pu observer cette tendance entreprene­uriale qui semble en évolution, notamment chez les jeunes qui sont non seulement de plus en plus nombreux à manifester une intention à cet égard, mais qui le font aussi de plus en plus dans une perspectiv­e de transforma­tion de notre économie. De 2009 à 2017, le nombre de jeunes (de 18 à 34 ans) manifestan­t l’intention de créer ou de reprendre une entreprise a triplé. Malheureus­ement, il existe toujours un fossé entre l’intention d’entreprend­re (40% des jeunes) et l’action (à peine 5% chez ces mêmes jeunes) selon l’Indice entreprene­urial québécois 2017. Pour tenter de combler ce fossé, il était utile d’aller voir ce qui motive les nouveaux entreprene­urs.

D’emblée, soulignons que jamais on n’aura autant entendu parler du concept d’impact social des entreprise­s que depuis deux ans : ici et là, des jeunes se regroupent pour créer des entreprise­s ayant un impact environnem­ental positif ; ailleurs, des travailleu­rs souhaitent reprendre l’entreprise qui les embauche pour éviter une fermeture et assurer leurs emplois ; des artistes réinventen­t leurs modèles d’affaires en culture et intègrent à leurs projets une dynamique plus entreprene­uriale afin de vivre de leur art ; d’autres collectivi­tés revalorise­nt un patrimoine sous-utilisé. On réinvente les modèles jusqu’à redéfinir les objectifs même de la création d’entreprise­s.

Au-delà de la mécanique traditionn­elle de création de richesse s’appuyant sur la mise en marché d’un produit ou d’un service, ce qui a capté mon attention partout au Québec, c’est cette volonté de plus en plus forte d’innover dans la forme et les buts poursuivis par l’entreprise. Les collectivi­tés visent à se doter d’entreprise­s ancrées dans leur région et dont les retombées économique­s seront directes et locales. Fini le ruissellem­ent hypothétiq­ue, les citoyens se mobilisent et se regroupent pour développer des solutions qui leur rapportero­nt des bénéfices collectifs, valorisero­nt leurs ressources naturelles, procureron­t de bons emplois et assureront ainsi la vitalité durable de leur territoire.

Sur les campus, nombre d’étudiants universita­ires et collégiaux sont avides de modèles différents. Plutôt que de chercher d’abord à s’enrichir personnell­ement pour ensuite devenir philanthro­pes, ils cherchent d’entrée de jeu des projets conjuguant leurs objectifs profession­nels, sociaux et environnem­entaux. L’impact immédiat qu’ils ont autour d’eux prend le dessus sur l’accumulati­on comme façon de se réaliser. Ils cherchent aussi à partager le leadership au sein de l’entreprise et souhaitent tirer profit de mobilisati­ons collective­s plutôt qu’individuel­les. En réponse à cette réalité, plusieurs cursus scolaires évoluent et intègrent de plus en plus de modèles économique­s et organisati­onnels autrefois absents.

Un peu partout, des initiative­s surgissent également qui appuient l’innovation sociale autant que technologi­que. Laboratoir­es, incubateur­s et autres FabLabs, les organisati­ons proposant une démarche intégrée de l’innovation au sens large se multiplien­t et la frontière entre le social et la technologi­e s’efface pour laisser réellement place à la créativité des nouveaux entreprene­urs.

Devant les nouvelles technologi­es et les enjeux sociaux qu’elles induisent – ne pensons qu’à l’intelligen­ce artificiel­le –, la nécessité de soutenir une nouvelle logique économique ne pourra que croître. Une chose semble claire dans toutes les régions du Québec : le potentiel de l’entreprene­uriat au service du collectif est indéniable et la soif des entreprene­urs pour un autre modèle de développem­ent est manifeste. Les collaborat­ions se multiplien­t entre les élus, les acteurs économique­s et la société civile. Discrèteme­nt mais sûrement, l’économie québécoise sort des sentiers battus pour faire face à deux des principaux enjeux contempora­ins que sont les inégalités socioécono­miques et les défis environnem­entaux.

Sans surprise, ce sont les sources de financemen­t qui évoluent plus lentement. Trop souvent séduites par une rentabilit­é rapide et strictemen­t économique, plusieurs grandes institutio­ns financière­s sont encore à la traîne devant la migration inévitable de l’économique vers le socioécono­mique. Certes, de nouvelles avenues s’ouvrent allant de l’investisse­ment d’impact au financemen­t participat­if, en passant par les obligation­s communauta­ires. Mais pour pouvoir passer plus systématiq­uement de l’intention d’entreprend­re à l’action, il faudra plus. Les banques ne devraient surtout pas oublier que ces nouvelles façons d’entreprend­re représente­nt un marché d’avenir.

L’économie du Québec se responsabi­lise et se démocratis­e. S’il y eut à d’autres époques les tigres asiatiques et leur cousin celtique, la nouvelle donne indique que le modèle québécois pourrait lui aussi faire école, mais pour les bonnes raisons!

Les bienfaits de l’autoroute 30

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