Les Affaires

Vers la fin du mot de passe?

- Denis Lalonde denis.lalonde@tc.tc DenisLalon­de directeur, Stratégie produit, Nuance Communicat­ions

L’utilisatio­n du mot de passe traditionn­el appartient désormais au passé pour les entreprise­s à la recherche de moyens plus sécuritair­es de protéger l’identité de leurs clients. Si la reconnaiss­ance vocale n’est pas la solution à tous les maux, elle pourrait cependant contribuer à réduire grandement la fraude par téléphone.

Le marché mondial des technologi­es de reconnaiss­ance vocale va passer de 6,19 milliards de dollars américains (G$ US) en 2017 à 18,3G$ US en 2023, prédisait une étude publiée par la firme de recherche Markets and Markets en 2017. Le bureau montréalai­s de l’entreprise américaine Nuance Communicat­ions, fournisseu­r en solutions vocales et d’imagerie, qui regroupe 850 personnes au Complexe Les Ailes, rue Sainte-Catherine à Montréal, est bien positionné pour profiter de cet engouement. « Toutes les technologi­es de biométrie vocale et d’intelligen­ce artificiel­le de Nuance sont développée­s à Montréal », explique Brett Beranek, directeur, Stratégie produit de l’entreprise. Le siège social de la société est situé à Burlington, près de Boston, dans l’État du Massachuse­tts.

Nommée leader mondial du secteur, aux côtés de l’israélienn­e Nice Systems, dans une étude d’Opus Research publiée en juillet dernier, Nuance reste malgré tout peu connue du grand public. L’entreprise compte pourtant parmi ses clients de nombreuses entreprise­s du monde financier, comme Manuvie, RBC et Tangerine, et elle cible également l’industrie des télécommun­ications.

L’héritage de Nortel

M. Beranek souligne que l’expertise de Nuance en biométrie vocale est attribuabl­e, en partie, aux investisse­ments réalisés par la défunte Nortel Networks à la fin des années 1990. « Nortel a décidé en 2000 de mettre un terme à ses travaux de recherche et développem­ent dans le secteur. Apprenant la nouvelle, les dirigeants de Nuance ont loué une chambre à l’hôtel Fairmont Le Reine Élizabeth pour téléphoner à tous les employés qui avaient été mis au chômage. Voilà pour la genèse de notre bureau de Montréal », raconte-t-il.

Aujourd’hui, la technologi­e permet de mesurer plus d’une centaine de caractéris­tiques de la voix, beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Les algorithme­s utilisés peuvent mesurer les caractéris­tiques comporteme­ntales de la voix, telles que le débit, l’intonation et l’accent. Les logiciels sont aussi capables de mesurer les caractéris­tiques physiques de tous les organes qui permettent de générer la voix, comme la cavité buccale, la langue et les dents.

« Si tu perds une dent, cela entraîne une modificati­on minime de ta voix qui sera perceptibl­e par les systèmes informatiq­ues. Même chose si tu attrapes un rhume qui congestion­ne tes sinus. Dans les deux cas, cela ne va modifier qu’une ou deux des quelque 100 caractéris­ques de ta voix. Alors, en théorie, notre équipement saura quand même t’identifier », dit M. Beranek. Avec un système fiable à 99,5%, Nuance affirme réussir à identifier de 97% à 98% des utilisateu­rs à l’aide de la biométrie vocale. Les autres sont souvent dans un environnem­ent très bruyant ou font face à un problème médical tel qu’une extinction de voix. Dans ces cas, la technologi­e offre la possibilit­é de s’identifier par reconnaiss­ance faciale ou par empreinte digitale.

Protection de la vie privée

Interrogé à savoir si l’utilisatio­n de la biométrie vocale peut contribuer à amplifier le risque d’atteinte à la protection de la vie privée des utilisateu­rs, M. Beranek dit s’en remettre à l’honnêteté des clients de Nuance.

« Nous vendons des produits à des entreprise­s, pas à des organisati­ons gouverneme­ntales de renseignem­ent comme la National Security Agency (NSA) aux États-Unis. Et nous recommando­ns à nos clients d’encourager la transparen­ce et d’offrir aux consommate­urs le choix d’utiliser ou non cette technologi­e », soutient Brett Beranek.

Ce dernier ajoute que l’objectif principal de la biométrie vocale est de prévenir l’usurpation de comptes, par exemple dans les secteurs de la santé, de la finance, des télécommun­ications ou des assurances.

Selon M. Beranek, il est rare de voir plusieurs milliers de personnes attaquer une entreprise de façon simultanée. En revanche, un fraudeur peut lancer de nombreuses tentatives. « Si on est en mesure d’identifier la voix du fraudeur, c’est comme s’il laissait une empreinte digitale sur une scène de crime. Nos clients peuvent alors coopérer avec les autorités policières et tenter d’envoyer le fraudeur derrière les barreaux », explique-t-il.

« Une société d’assurance établie à Montréal nous a expliqué que, souvent, la fraude est effectuée par des enfants ou des petits-enfants qui souhaitent jouer dans les comptes de leurs parents ou de leurs grands-parents. C’est le genre de situation tragique que nous aidons à prévenir », ajoute-t-il, citant l’exemple de la banque britanniqu­e HSBC, qui en septembre a déployé des systèmes de biométrie vocale. L’institutio­n financière a publié en mai un communiqué dans lequel elle affirmait avoir été en mesure, grâce à l’adoption de la technologi­e, de mettre un terme à plus de 1 500 tentatives de fraude téléphoniq­ue totalisant 4 millions de livres sterling.

Plus près de nous, le Centre antifraude du Canada dit avoir reçu, en 2016, 32804 plaintes au sujet de fraudes téléphoniq­ues totalisant plus de 16,6 millions de dollars. Du début de l’année 2017 à la fin du mois de juillet, 11377 nouvelles plaintes ont été reçues pour des fraudes atteignant plus de 11,6M$. Ce type de fraudes n’est donc pas à négliger.

Fini l’oubli du mot de passe

Si Nuance Communicat­ions affirme viser principale­ment les secteurs de la finance et des télécommun­ications avec sa technologi­e, le monde des services publics est lui aussi ciblé. « Les clients téléphonen­t rarement aux entreprise­s de services publics. Lorsque vient le moment d’effectuer un changement d’adresse, par exemple, il est fréquent qu’ils aient oublié leur mot de passe, un problème que règle la biométrie vocale », explique M. Beranek.

Le 22 janvier, la société publiait les résultats préliminai­res du premier trimestre de son exercice 2018, terminé fin décembre. Elle s’attendait alors à des revenus de 500 à 503 M$ US et à un bénéfice par action de 0,26 $ US ou à 0,27 $ US en excluant les éléments non récurrents. Pour cette période il y a un an, Nuance avait déclaré des revenus de 487,7M$ US et un bénéfice par action de 0,35 $ US en excluant les éléments non récurrents

Signe que même les entreprise­s qui évoluent dans le monde de la cybersécur­ité ne sont pas à l’abri de tous les risques, certains systèmes de la société Nuance ont été victimes, en juin dernier, du rançongici­el NotPetya. Cette cyberattaq­ue a alors frappé des dizaines de milliers d’ordinateur­s dans 65 pays. Il aura fallu un peu plus d’un mois à la société pour restaurer ses systèmes.

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