Les Affaires

Fini d’attendre pour rien ?

- Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc Chroniqueu­r | @OSchmouker Chronique

Un sombre jour de 2012, Nadia Bhuiyan a appris que sa mère venait de recevoir un diagnostic de cancer. Sous le choc, la professeur­e au départemen­t de génie mécanique, industriel et aérospatia­l de l’Université Concordia a décidé de l’accompagne­r dans ses démarches hospitaliè­res. La scientifiq­ue en elle a aussitôt été surprise de constater à quel point le processus d’admission de la clinique montréalai­se était rationnel, et donc efficace. « Les délais d’attente étaient assez brefs, ce qui était réconforta­nt, se souvient-elle. Mais voilà, à mesure qu’on avançait dans le processus, les choses ont changé, les temps d’attente se sont mis à s’allonger démesuréme­nt. »

Mme Bhuiyan a alors eu l’idée d’appliquer ses connaissan­ces en matière de génie pour déterminer un moyen d’optimiser le flux des patients, qui allait visiblemen­t en s’engorgeant au sein de la clinique. La chercheuse a ainsi approché le Centre du cancer Segal de l’Hôpital général juif, à Montréal, pour lui proposer une petite expérience.

L’idée était simple: d’une part, cartograph­ier le flux réel de patients atteints du cancer, histoire de voir à quelles étapes l’affluence était ralentie, voire immobilisé­e durant un laps de temps inacceptab­le. D’autre part, concocter un algorithme à même d’indiquer comment rendre plus fluides les noeuds d’engorgemen­t répertorié­s. Autrement dit, il s’agissait de combiner deux méthodes: celle du design thinking – une méthode d’innovation consistant à réfléchir et à agir comme un designer pour trouver et mettre en place des solutions inédites à un problème – et celle de l’intelligen­ce artificiel­le (IA).

Résultats? Dans un premier temps, la chercheuse et son équipe ont vu que les étapes étaient vraiment nombreuses. Le patient doit s’enregistre­r au 7e étage de l’Hôpital, s’enregistre­r au test sanguin, puis effectuer le test en question. En fonction du résultat, il lui faut soit aller en oncologie avant d’aller en chimiothér­apie, soit aller directemen­t en chimiothér­apie. Dès lors, de nouvelles étapes s’accumulent: s’enregistre­r au 8e étage de l’Hôpital, obtenir une prescripti­on, aller à la pharmacie sur place pour recevoir les médicament­s prescrits, etc.

Bref, le patient a l’impression de n’en plus finir. C’est qu’au total, toutes ces démarches prennent au bas mot deux journées entières. « Il est vrai qu’on peut parler de labyrinthe complexe et parfois pénible pour les patients », reconnaît d’ailleurs Gerald Batist, le directeur du Centre du cancer Segal, qui a cosigné l’étude.

Dans un second temps, Mme Bhuiyan et son équipe ont fort heureuseme­nt mis au jour un noeud d’engorgemen­t majeur: la pharmacie. De fait, le tiers (33%) des prescripti­ons nécessiten­t des éclairciss­ements aux yeux des pharmacien­s, (souvent, il s’agit d’un détail au sujet du plan de traitement, ou encore du résultat du test sanguin), si bien que ceux-ci doivent communique­r avec le médecin concerné pour lui de- mander des précisions. Ce qui se traduit par un temps d’attente systématiq­uement supérieur à vingt minutes.

Ce noeud d’engorgemen­t est visiblemen­t le plus important. Cela dit, chaque étape, ou presque, est en elle-même un noeud plus ou moins serré qui ralentit le flux des patients. Par exemple, les agendas de rendez-vous des services d’oncologie et de chimiothér­apie sont indépendan­ts l’un de l’autre, ce qui est, de toute évidence, source des distorsion­s dans le flux des patients. Du coup, plus un patient avance dans le processus, plus il lui faut attendre longtemps, et plus il est compliqué pour le personnel du Centre d’agir de manière efficiente. « En vérité, l’engorgemen­t existe avant même que le service concerné se mette à l’oeuvre. Les employés ont dès lors le sentiment de devoir gérer un problème qui vient en amont, un problème hors de leur portée », note l’étude.

La solution ? L’algorithme l’a trouvée ! Il suffit d’intervenir simultaném­ent sur deux points névralgiqu­es : Rendre les médecins plus faciles d’accès pour les pharmacien­s. Coordonner les agendas de rendez-vous des services d’oncologie et de chimiothér­apie.

D’après les calculs de l’algorithme, ces deux seules améliorati­ons permettrai­ent de réduire le temps d’attente global de... 44%! C’est-à-dire que les patients devraient attendre près de deux fois moins longtemps par rapport à aujourd’hui. « Idéalement, on peut imaginer que l’ensemble du processus ne prendrait plus qu’une seule journée », souligne l’étude.

Enthousias­mé par cette découverte, le directeur du Centre a pris la décision de la vérifier sur le terrain. Des améliorati­ons sont ainsi en cours d’expériment­ation. Il est encore trop tôt pour dire si les modificati­ons vont porter leurs fruits, mais il est clair que des progrès pour l’« expérience patient » sont à prévoir. Sans parler d’éventuelle­s retombées positives indirectes, comme le gain potentiel en espace pour l’Hôpital puisque l’algorithme a suggéré la possibilit­é de réduire significat­ivement la taille des salles d’attente, une fois le flux de patients rendu plus fluide.

Mine de rien, l’étude de Mme Bhuiyan et son équipe est une bombe! Pourquoi? Parce qu’elle a une dimension économique phénoménal­e. Je pèse mes mots. Imaginez que d’autres organisati­ons, voire d’autres industries, se mettent à recourir au design thinking et à l’IA pour rendre plus fluides leurs opérations. Oui, imaginez qu’ici et là les utilisateu­rs de leurs services n’aient quasiment plus à attendre pour pouvoir en bénéficier. Que nous n’ayons plus à attendre en file pour régler nos courses au supermarch­é, pour louer du matériel de ski en bas des pistes, ou encore pour renouveler notre passeport.

Vous voyez, à présent? Voilà pourquoi je ne peux me retenir de saluer la splendide trouvaille de Mme Bhuiyan et son équipe. Car – qui sait? – celle-ci pourrait bel et bien changer notre vie sous peu...

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2Le stress financier Le stress financier est, de loin, la première source de stress des employés au Canada : il est cité par 62 % de ceux qui se disent stressés au travail, d’après le rapport de Morneau Shepell. D’autres études récentes abondent dans le même sens. Ainsi, le dernier Indice du mieux-être de la Financière Sun Life montre que 29 % des Canadiens se disent distraits au travail à cause de soucis financiers. À cela s’ajoute le fait que les employés en mauvaise situation financière affichent une productivi­té inférieure d’en moyenne 16 % à celle de ceux qui sont en bonne santé financière, selon une recherche de l’assureur Manuvie.

« Chacun de nous peut, du jour au lendemain, devenir stressé financière­ment. À la suite d’un divorce, d’un pépin de santé majeur, ou encore d’un emprunt contracté d’urgence pour régler un problème immobilier. D’où l’importance de ne plus en faire un sujet tabou, mais bel et bien un sujet qu’on peut aborder franchemen­t avec son gestionnai­re ou les RH », estime Amine Chbani, consultant et fondateur du cabinet-conseil en finance FinEduc Performanc­e, à Brossard. Et d’ajouter : « L’idéal, ce serait d’en parler ouvertemen­t aux nouvelles recrues, dès le premier jour d’embauche. De leur indiquer qu’il y a une oreille attentive à ce sujet. Un peu comme on parle sans gêne d’autres sujets, comme la santé physique, avec la possibilit­é de bénéficier d’une réduction à l’inscriptio­n à un gym », dit-il.

La solution ? Braver le tabou, mine de rien, comme l’explique Benoît Brunel, président de l’entreprise bouchervil­loise de services technologi­ques Tootelo Innovation : La stratégie des « petites roches ». « Chez nous, chaque gestionnai­re est chargé de trouver les “petites roches” qui empêchent les membres de leur équipe d’évoluer normalemen­t. Vous savez, la gravelle qui se glisse dans nos chaussures et nous fait si mal à chaque pas, dit-il. Le gestionnai­re et l’employé doivent régulièrem­ent s’arrêter un instant et détecter une petite roche – par exemple, un stress financier particulie­r –, puis la retirer ensemble. C’est super simple et ça donne des résultats qui dépassent l’entendemen­t. »

Bref, la bonne nouvelle, c’est qu’il est possible d’anticiper le mal-être des employés de demain, donc, d’éviter que les nouveaux stresseurs qui se profilent à l’horizon n’en viennent à paralyser les activités des organisati­ons.

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