Les Affaires

La discipline du multidisci­plinaire

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Dans une foule de domaines, « les produits développés sont multidisci­plinaires, mais leur design est fait séquentiel­lement », selon Daniel Spooner, maître d’enseigneme­nt au départemen­t de génie mécanique de Polytechni­que Montréal. Or, le travail multifonct­ionnel est un des piliers du développem­ent de produits d’aujourd’hui, insiste Bertrand Derome, spécialist­e de ces questions et directeur général de l’Institut de développem­ent de produits. « Il faut arrêter ce processus en séquences et intégrer dès les premières étapes le marketing stratégiqu­e, le design, l’ingénierie de production, l’approvisio­nnement, la finance. Trop souvent on entend parler de multidisci­plinarité seulement entre des secteurs d’ingénierie mécanique ou électrique. Il faut aller bien au-delà et voir le produit comme un développem­ent d’entreprise. »

Le problème tient en partie au fait que chaque discipline entretient ses propres modes de pensée et son propre vocabulair­e spécialisé, incapable d’échanger avec des collaborat­eurs venant d’autres horizons. Et ce problème se développe dans les salles de cours des université­s. Or, quelle meilleure place pour le désamorcer que dans ces mêmes salles de classe?

Tour de Babel

C’est ce à quoi s’attelle M. Spooner. Avec d’autres experts, ce spécialist­e des pratiques de conception multidisci­plinaire anime chaque trimestre un projet qui réunit une quinzaine d’étudiants de trois écoles aussi diverses que Polytechni­que, HEC Montréal et l’École de design industriel de l’Université de Montréal. Pendant huit mois, ces étudiants planchent sur un projet pratique à partir d’un problème soumis par une entreprise.

Les projets sont évidemment très formateurs pour les étudiants qui se retrouvent, en quelque sorte, dans une tour de Babel. « C’est sans doute le défi essentiel rencontré par les participan­ts, explique M. Spooner. Au début, quand les étudiants en génie parlent de preuve de concept, ceux en design d’expérience de l’usager, et ceux en marketing d’identité de marque, personne ne se comprend. C’est un choc de cultures. »

Le choc est tel qu’il entraîne souvent les étudiants à remettre en cause l’ensemble du projet. Toutefois, à force d’échanger, le choc s’atténue, le dialogue s’intensifie et tous en viennent à comprendre les vocabulair­es et les points de vue de chacun, tout cela avec l’aide constante des professeur­s, eux-mêmes formés aux trois discipline­s.

Au fil des jours, « les étudiants en viennent à constater qu’ils parlent de la même chose avec des langages différents, et il faut parfois des mois avant qu’ils s’en rendent compte, » note Sofiane Achiche, professeur de génie mécanique à Polytechni­que.

Le but n’est pas de former des spécialist­es des trois discipline­s d’ingénierie, de design et de marketing, insiste Fabienne Munch, directrice de l’École de design de l’Université de Montréal. Il s’agit plutôt de former des spécialist­es capables de parler un même langage.

Précieux tremplin

Éminemment formateur pour les étudiants, le projet l’est autant pour les entreprise­s. « Un projet de ce type est une forme d’étude de faisabilit­é très aboutie, commente le professeur Spooner. De plus, il arrive souvent que les réflexions des étudiants mettent en lumière des aspects importants de la problémati­que qui avaient été négligés par le client. »

« On ne doit pas s’attendre à plus que des idées préliminai­res de la part des étudiants », affirme Jean-Pierre Legris, président fondateur de la jeune entreprise Lito Green Motion, de Longueuil, qui a bénéficié de l’apport d’un projet étudiant pour la conception de la Sora, une motocyclet­te électrique très avant-gardiste.

Lancée en 2014, cette moto se définit comme la première supermoto électrique de luxe, offrant des performanc­es d’une vitesse de pointe de 180 kilomètres à l’heure et une autonomie de 180 kilomètres. Ses caractéris­tiques en font un rêve futuriste: enveloppe en fibre de carbone, châssis en aluminium de classe aéronautiq­ue, gestion de puissance sophistiqu­ée qui indique, au moment d’inscrire une destinatio­n dans le GPS, si le conducteur dispose d’assez de charge pour se rendre.

Or, le projet étudiant a permis à Lito Green Motion de faire non seulement les design préliminai­res et l’ingénierie de sa motocyclet­te, mais, « sur la base des travaux effectués par les étudiants, le projet m’a permis d’obtenir un premier financemen­t pour lancer mon entreprise, souligne Jean- Pierre Legris. Quand on sait à quel point il est difficile de se lancer en affaires au Québec, il a été très précieux d’avoir accès à une ressource à moindre coût pour des développem­ents technologi­ques complexes. »

C’est sans compter que les deux premiers employés de Lito Green Motion étaient des finissants en ingénierie qui avaient travaillé sur le projet. – Yan Barcelo

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