Le design industriel, créateur de ponts
Passer d’une idée à une technologie, puis d’une technologie à un produit n’est pas une démarche qui va de soi. Il faut qu’à chaque étape du développement, le concept demeure non seulement rattaché aux besoins réels des clients, mais aussi aux conditions concrètes de vente et de fabrication. C’est le rôle essentiel du design industriel de construire ces ponts, ce qui l’amène parfois sur des voies inattendues, comme le montre la collaboration entre Alto Design et TB Concept Inc.
TB Concept a mis au point un produit novateur : des étriers de plastique de marque Insuguard pour
® soutenir les tuyaux de liquide réfrigérant comme on en trouve notamment dans les épiceries. Auparavant, ces étriers, fabriqués en tôle, avaient le désavantage à long terme de cisailler les tuyaux sous l’effet de leur dilatation et compression. Or, les étriers Insuguard sont un peu plus chers que leurs prédécesseurs, mais ils éliminent complètement le cisaillement et, de plus, ils requièrent 60 % moins de temps d’installation, selon ce qu’affirme la société.
L’idée d’un étrier de plastique a germé dans la tête de Martin Boudreau il y a une douzaine d’années, idée qu’il ne savait pas très bien comment porter à terme. « Un partenaire comme Alto Design, pour moi, c’est primordial, lance-t-il. J’ai beau inventer des composantes, j’ai besoin de conseils pour savoir si je peux les réaliser structurellement. Comment les mouler, dans quels types de moules, à quelle chaleur, à quel prix ? »
La collaboration avec Alto Design s’est établie surtout au chapitre de l’ingénierie. « M. Boudreau introduisait du plastique là où il y avait toujours eu uniquement du métal », explique Patrick Mainville, président d’Alto. Le défi était de trouver la bonne matière pour assurer la durabilité et la résistance des pièces, mais aussi leur conformité aux normes de feu et de toxicité. »
Alto a donc dessiné au fil des ans des dizaines de pièces aux formes multiples appelées à se conformer à autant de structures de bâtiments, un peu comme une collection de blocs Lego où chacun convient à des contraintes particulières. Tout le temps, l’impératif esthétique, qu’on associe habituellement au design, demeurait : « Même s’il s’agit essentiellement d’un mandat technique, nous avons tâché de donner aux produits une cohérence et une signature visuelle uniformes », affirme Richard Paré, vice-président, Ingénierie, chez Alto.
Le partenariat s’est révélé fructueux. Aujourd’hui, TB Concept, avec une équipe de seulement cinq employés permanents, vend annuellement, aux États-Unis et en Europe, pour plus de cinq millions de dollars de ses étriers, dont elle sous-traite la fabrication.
Eccellenza !
L’aventure d’Alto Design dans le monde du café avec VKI Technologies obéit davantage aux schèmes classiques du design industriel. Une division de Keurig Canada, VKI est une boîte intégrée de 65 employés, dont 13 s’affairent en R-D, qui conçoit, assemble et vend des machines à café destinées aux bureaux et aux sites publics. Au cours d’une collaboration qui s’étend sur plus de 15 ans, Alto a participé à la mise au point de sept machines pour cet
industriel. « Nous avons doublé notre chiffre d’affaires en trois ans, ce qui indique à quel point notre stratégie avec Alto est cruciale », affirme Sylvain Turcot, directeur général de l’entreprise.
Le travail de ces partenaires se partage en deux grandes zones qui se rencontrent et s’influencent « quelque part au milieu », note M. Mainville. D’une part, VKI conçoit les composantes mécaniques, électriques et informatiques des appareils. D’autre part, Alto veille aux recherches de marché, aux tendances du secteur, à la détermination des fonctionnalités et à la réalisation visuelle.
Au milieu, où se rencontrent les équipes de chaque firme, les zones d’influence sont multiples et variables. Par exemple, indique M. Paré, le travail sur l’enveloppe et le format d’un prototype créera des contraintes qui peuvent obliger les gens de VKI à revoir leurs plans et devis, et vice versa.
De plus en plus, le travail d’Alto englobe l’univers numérique des objets connectés, comme le montre la dernière création de VKI, la machine Eccellenza Touch. Autour de cette machine, dotée d’un infuseur inédit qui réduit radicalement les besoins d’entretien, Alto a greffé une multitude d’innovations: boutons de commande non plus mécaniques, mais tactiles, écrans non plus monochromes, mais de couleur, mode de paiement facilité. Surtout, fait ressortir M. Mainville, l’« appareil est connecté à l’infonuage pour permettre le diagnostic à distance, connaître les achalandages et comprendre l’adéquation entre l’appareil et son emplacement ».
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L’industrie 4.0 impose de nouveaux défis et de nouvelles façons de faire aux entreprises manufacturières. Pour les accompagner et inciter le plus grand nombre à entreprendre ce virage, le gouvernement du Québec vient de lancer le programme Audit industrie 4.0. Cet outil de diagnostic vise à analyser et à évaluer le degré de maturité numérique d’une entreprise. Or, avec la mise en place de ce nouveau programme, « il n’y a aucune raison pour les entreprises de ne pas faire son évaluation. On a tout mis en place et maintenant, c’est aux entreprises d’aller de l’avant », fait valoir Dominique Anglade, ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, dont le ministère a conçu l’Audit industrie 4.0 dans le cadre de son Plan d’action en économie numérique, qui vise notamment à stimuler les innovations par l’implantation de technologies et l’utilisation des données. Le Ministère a injecté 850 millions de dollars dans ce plan afin d’aider les entreprises, tant les PME et les start-up que les grands donneurs d’ordre, à saisir les occasions d’affaires liées à la révolution numérique. « Il ne faut pas tarder. Même si le Québec se compare à la moyenne européenne en matière d’économie numérique, selon des données de l’OCDE, il ne faut pas s’en contenter, mais plutôt viser le sommet », indique Mme Anglade. La ministre souligne que le secteur manufacturier a généré 40 % des nouveaux emplois l’an dernier, et ce, en misant justement sur l’innovation. « C’est un signe tangible que les entreprises investissent pour se moderniser et améliorer leur compétitivité », précise-t-elle. Pour le gouvernement du Québec, le programme Audit industrie 4.0 constitue donc un autre pas en avant pour amener les entreprises manufacturières québécoises à intégrer de nouvelles technologies afin de rendre leurs usines plus intelligentes. Le gouvernement appuie cette démarche d’une aide financière qui prend la forme d’une contribution non remboursable pouvant atteindre un maximum de 15 000 $. « On prévoit qu’entre 500 et 1 000 entreprises profiteront de ce programme en vue de mesurer leur maturité numérique », estime Mme Anglade, en soulignant qu’un projet pilote réalisé l’an dernier avait montré l’intérêt des dirigeants d’entreprises. Près de 20 entreprises ont en effet participé à la validation de cette démarche. Aujourd’hui, un grand nombre de sociétés ont aussi manifesté leur intérêt envers le programme Audit industrie 4.0. « Nous avons déjà réalisé quelques audits et d’autres entreprises qui ont obtenu le feu vert pour l’aide financière nous ont contactés », indique François Gingras, directeur, Équipements industriels et Productivité au Centre de recherche industrielle du Québec, qui est l’un des cinq organismes mandatés par le gouvernement pour réaliser l’Audit industrie 4.0. Les autres instances sont le Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations, l’Institut technologique de maintenance industrielle, Sous-traitance industrielle Québec et Productique Québec.
– Pierre Théroux