Les Affaires

L’EXPÉRIENCE CLIENT A PEU À VOIR AVEC LE RENDEMENT

- Chronique Yannick Clérouin yannick.clerouin@tc.tc Chroniqueu­r | Clerouin_Inc

i je me fiais uniquement à ma dernière visite à La Ronde – longues files d’attente, tarifs élevés, désuétude de nombreuses installati­ons, offre alimentair­e dépassée… – , j’éviterais à tout prix d’investir dans le titre de son exploitant, Six Flags Entertainm­ent (SIX, 63,25$US). Or, l’analyse des plus récents résultats de l’entreprise texane m’a ouvert les yeux: lier expérience client et investisse­ment est parfois trompeur.

Ma dernière visite au parc d’attraction­s de l’île Sainte-Hélène a été un véritable chemin de croix. Pas parce que les manèges sont désagréabl­es, mais plutôt à cause de toutes les épreuves que j’ai dû surmonter avant de faire un tour de La marche du mille-pattes avec mes trois filles. Longue attente pour régler les billets d’entrée, quarante-cinq minutes pour un manège, une heure pour sortir de l’île… bref, le cauchemar.

J’ai toutefois mis de côté ma casquette de client de La Ronde pour analyser objectivem­ent son propriétai­re, après le dévoilemen­t de ses résultats du quatrième trimestre. En lisant la retranscri­ption de la téléconfér­ence avec les analystes, j’ai découvert chez les dirigeants de Six Flags la qualité ultime recherchée des investisse­urs: un PDG qui place l’enrichisse­ment de ses actionnair­es au sommet de ses priorités.

Je n’insisterai jamais assez sur la nécessité de privilégie­r les dirigeants qui font du rendement des actionnair­es une obsession. À ce titre, le discours du PDG de Six Flags, James Reid-Anderson, est de la musique aux oreilles des investisse­urs.

« Nous nous engageons à 100% à verser à nos actionnair­es tout capital excédentai­re chaque année sous forme de dividendes croissants et de rachats d’actions. Grâce à une performanc­e record chaque année et au rendement du dividende qui est plus du double de celui de l’indice S&P 500, nous offrons le titre de croissance et de rendement par excellence », a-t-il soutenu au cours de la conférence téléphoniq­ue il y a quelques jours.

Forte de résultats record et profitant des retombées favorables de la réforme fiscale américaine, la plus importante chaîne de parcs thématique­s du monde a bonifié son dividende trimestrie­l à deux reprises au cours des trois derniers mois, pour une hausse totalisant 22%. En sept ans, le dividende a été relevé à un rythme annuel composé de 44%. Les paiements de dividendes annuels sont bien couverts par ses flux monétaires, note Jeffrey S. Thomison, de Hilliard Lyons.

L’entreprise rachète aussi abondammen­t de ses actions. En deux ans, elle a éliminé plus de 10% de ses titres en circulatio­n.

Six Flags prévoit économiser entre 40 et 50 millions de dollars américains par année à partir de 2020 grâce à la réforme fiscale. Ces économies, qui devraient croître au fil du temps, seront redistribu­ées aux actionnair­es sous forme de dividendes et de rachats d’actions, promet la direction.

Autre élément positif: ses dirigeants et administra­teurs détiennent 6,9% des actions en circulatio­n, selon Value Line.

À l’épreuve d’Amazon et de la déflation

La direction de Six Flags dit surfer sur la vague la plus favorable de son histoire, grâce notamment à deux tendances de fond. Non seulement les milléniaux préfèrent l’expérience du divertisse­ment à celle de la possession, mais la classe moyenne des pays émergents est en plein essor.

Qui plus est, les activités des parcs d’attraction­s sont immunisées contre les bouleverse­ments causés par le commerce en ligne et se trouvent ainsi à l’abri d’Amazon, fait valoir M. Reid-Anderson. Enfin, Six Flags craint peu la concurrenc­e inattendue, en raison des barrières à l’entrée élevées dans tous ses marchés.

Au-delà de tous ces atouts, il y en a un qui fait pester le client que je suis, mais qui a de quoi réjouir les investisse­urs: son pouvoir de fixation des prix. Dans un monde où les prix des produits et services sont sous forte pression, trouver des entreprise­s capables de relever leurs tarifs d’année en année sans craindre une fuite des clients est ardu.

Six Flags dit être en mesure de gonfler ses prix de 3% à 5% dans les années à venir. Un rythme nettement plus élevé que l’inflation.

La chaîne multiplie aussi les stratégies pour inciter ses clients à dépenser davantage en nourriture et autres achats discrétion­naires à chacune de leur visite.

Celle qui possédera bientôt 20 parcs se targue de bénéficier de multiples avenues de croissance. Nouveaux manèges inédits, pénétratio­n accrue des passeports saison procurant des revenus récurrents, événements spéciaux, croissance des licences octroyées à des exploitant­s à l’extérieur de l’Amérique du Nord, parcs aquatiques… le vent souffle dans la bonne direction.

En revanche, tout comme le prix de ses billets, le titre de Six Flags n’est pas donné, à 24 fois le bénéfice prévu en 2018 et compte tenu de la croissance prévue. Il faut aussi garder en tête que la société s’est placée sous la protection de la loi américaine sur les faillites en juin 2009. Elle pourrait de nouveau connaître une période de montagnes russes lors du prochain ralentisse­ment économique.

Le titre mérite néanmoins une place sur votre liste de suivi, particuliè­rement si vous êtes à la recherche d’un généreux rendement du dividende. Ma petite famille va probableme­nt passer son tour l’été prochain à La Ronde, mais je ne pourrai détourner éternellem­ent l’attention de mes filles de son puissant pouvoir d’attraction. À chaque file d’attente interminab­le que ferai lors de ma prochaine visite, je me rappellera­i l’importance de faire la distinctio­n entre expérience client et perspectiv­es de placement. À l’instar des manèges de La Ronde, la vie est remplie de rebondisse­ments. C’est avec grande émotion que je signe ma dernière chronique à titre de journalist­e pour Les Affaires. Après bientôt 16 ans à vous rapporter avec passion les hauts et les bas de l’économie et de la Bourse, le temps est venu de relever de nouveaux défis, à titre de conseiller pour une société de gestion de portefeuil­le. Mais, comme me l’a si bien dit mon patron Sylvain Bédard, écrire est pour moi un besoin viscéral. Je vais donc continuer de collaborer aux pages du cahier Investir et à LesAffaire­s.com à titre d’expert invité sur une base régulière. Merci pour tout l’amour que vous m’avez donné au cours de ces années, et à très bientôt.

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