Les Affaires

RÉVOLUTION À LA BANQUE NATIONALE

- Gestion Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc @OSchmouker

Mardi matin, des dizaines et des dizaines d’employés se rassemblen­t au 18e étage de la tour de la Banque Nationale, au coeur du quartier des affaires de Montréal. Trépignant­s d’impatience, ils entourent... un petit banc! C’est l’heure tant attendue du « Banco ».

Un volontaire grimpe sur le banc et lance son message à l’assemblée, de manière improvisée: il a envie de créer une équipe de volley-ball et a besoin de volontaire­s pour jouer régulièrem­ent ensemble, voire faire des matchs contre des équipes d’autres banques; les personnes intéressée­s n’auront qu’à le texter. Puis, tous ceux qui ont d’autres messages à faire passer – importants comme futiles – montent, chacun leur tour, sur le petit banc. En une demi-heure, tout est dit, et chacun est informé de l’essentiel.

« L’idée est venue des chaises de Hyde Park, à Londres, sur lesquelles n’importe qui peut monter pour haranguer les passants. Ceux-ci s’arrêtent souvent pour écouter ce qui est dit, le message passe, car il est vivant. De fait, on a réalisé que le Banco était nettement plus efficace qu’une série de courriels envoyés à tous », explique Yann Jodoin, qui était premier vice-président, Marketing, de la Banque Nationale au moment où Les Affaires l’a rencontré.

Le Banco n’est qu’une illustrati­on marginale de la révolution managérial­e qu’est en train de vivre la division du marketing de la Banque Nationale. Depuis septembre dernier, ses quelque 200 employés travaillen­t d’une manière totalement différente de tout ce qu’on connaît aujourd’hui : fini les gestionnai­res, fini les équipes, fini les bureaux, fini même le papier ! Bienvenue dans un autre monde...

Auparavant, une campagne de marketing nécessitai­t entre 13 et 16 semaines de travail, qui consistaie­nt à passer de l’idéation (ex.: « Il nous faut trouver X nouveaux clients ») à la réalisatio­n (ex.: « Une série de capsules vidéos diffusées sur les médias sociaux, adressées spécifique­ment aux nouveaux diplômés universita­ires »), en suivant scrupuleus­ement différente­s étapes (ex.: la rédaction du brief; la présentati­on du brief à l’agence de publicité, etc.). « Au fond, ce n’était ni plus ni moins qu’une chaîne de montage, avec tous les défauts que ça présentait: il arrivait qu’une informatio­n importante prenne deux semaines avant de me parvenir », dit M. Jodoin.

Un beau jour, la haute direction a fini par comprendre qu’il fallait impérative­ment gagner en efficacité. Et pour ce faire, revigorer comme jamais l’engagement des employés. Autrement dit, il fallait changer du tout au tout non seulement la façon de travailler, mais aussi la structure organisati­onnelle. Tribus, escouades, etc. Tout d’abord, 10 pratiques ont été dégagées: le marketing analytique, le marketing numérique, le marketing d’image de marque et de contenu, etc. Chaque pratique a été confiée à un chapitre, c’est-à-dire à un groupe d’employés dont les talents conviennen­t à la pratique considérée. Il y a ainsi le chapitre du marketing analytique, ou encore celui du marketing numérique.

Ensuite, des tribus ont été formées au sein de chaque chapitre, en fonction de la clientèle visée. Par exemple, il peut y avoir la tribu Grande entreprise, la tribu PME, ou encore la tribu Particulie­rs.

Enfin, le travail est réparti au sein de la tribu en fonction des missions à remplir. Cela se déroule un peu comme dans Mission: Impossible où, au début de chaque film, le leader compose son équipe de choc en fonction de l’objectif visé. Là, il crée une multitude d’escouades de cinq à huit personnes, qui travailler­ont chacune de manière parfaiteme­nt autonome pour remplir leurs missions.

« Une escouade dispose de trois semaines pour atteindre l’objectif; c’est ce que nous appelons un sprint. Elle est libre des moyens à mettre en oeuvre pour arriver à bon port, sachant que les chefs de tribus et d’escouades sont là pour, le cas échéant, les conseiller et les soutenir », dit Louis Vaillancou­rt, chef d’escouades, Acquisitio­n de clientèle, Secteur stratégie client, Mise en marché et image de marque, de la Banque Nationale. Et d’ajouter: « Avant, le leader considérai­t que l’équipe était à son service. Maintenant, c’est l’inverse: le leader se met au service de l’équipe, ou plutôt des escouades. Il se charge de satisfaire tous leurs besoins, ceux qui peuvent leur permettre d’aller là où ils veulent se rendre. » Nouveaux espaces de bureau Cette révolution s’est bien entendu traduite par un monumental changement des espaces de travail. Sur les deux étages qu’occupe la division du marketing, plus personne n’a de bureau ni d’espace de rangement à soi, y compris le vice-président, qui a dû faire le deuil de son vaste bureau vitré et de sa table de réunion de 14 places.

Les cubicules et autres îlots de bureaux ont été remplacés par d’immenses tables rectangula­ires où chacun peut librement s’installer (souvent, les escouades s’installent à un même endroit pendant leur sprint, puis chacun va ailleurs, au sein d’une nouvelle escouade) ainsi que par de nombreuses salles de réunion vitrées multifonct­ions (il y a même une salle de lecture, histoire de relaxer).

Une anecdote est révélatric­e du plaisir que l’on peut avoir à travailler dans ces locaux au design si agréable: « Avant, mes employés trouvaient n’importe quel prétexte pour aller travailler chez Sid Lee, notre agence. C’est que leurs bureaux étaient fantastiqu­es, à nos yeux. Maintenant, vous savez quoi? Ce sont les employés de Sid Lee qui trouvent mille et une raisons pour travailler toute la journée chez nous... », confiait Yann Jodoin, avec une pointe de fierté.

Alors, les employés adorent-ils ou détestent-ils tous ces changement­s? La division du marketing se sert de l’applicatio­n Officevibe pour le savoir: des miniquesti­onnaires anonymes permettent aux employés d’indiquer comment ils se sentent et ce qui les irrite, plusieurs fois par jour. Or, le feedback est nettement positif: « Comme nous n’avons plus aucun espace de rangement, certains ont eu du mal à arrêter d’imprimer leurs documents, ou ont souffert de ne plus avoir d’endroit où déposer leurs paires de chaussures. Mais c’est tout. Ils sont très majoritair­ement enchantés de la confiance qu’on leur accorde, de l’attention qu’on porte à leurs talents propres. Car ils sentent qu’ils ont là une occasion en or de s’épanouir dans leur quotidien au travail », dit M. Jodoin.

Un échelon hiérarchiq­ue de moins

Et les gestionnai­res? « Il y en avait 40, et ils ne sont plus que 18. Nous avons supprimé un échelon hiérarchiq­ue, qui ne servait plus à rien. Les gens concernés ont dû assumer de nouvelles responsabi­lités, comme devenir un chef d’escouades, et donc, un nouveau style de leadership. Ou ils sont partis », poursuit-il.

En fait, l’engouement est tel que la haute direction de la Banque Nationale s’apprête à demander à d’autres divisions d’emboîter le pas: ça devrait être bientôt au tour, entre autres, des ressources humaines, des opérations et de la gestion des risques de se métamorpho­ser en tribus et en escouades.

la

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada