Les Affaires

UN BUDGET SOCIALDÉMO­CRATE, SIGNÉ JUSTIN TRUDEAU

- Chronique

Les exposés budgétaire­s des gouverneme­nts sont normalemen­t écrits par des économiste­s, des fiscaliste­s et des comptables des ministères des Finances. Le dernier budget du gouverneme­nt fédéral, lui, semble avoir été écrit par une équipe issue des finances, certes, mais aussi des ministères des Affaires autochtone­s et du Nord, de l’Environnem­ent, de la Science, de la Santé, sans oublier Condition féminine Canada, un organisme chargé de promouvoir l’égalité des sexes et la pleine participat­ion des femmes à la vie économique, sociale et démocratiq­ue, et qui deviendra un ministère.

L’exposé du ministre Bill Morneau fournit les grands paramètres des principale­s données économique­s et financière­s du budget de l’État, mais ce sont des considérat­ions que l’on peut qualifier de sociales-démocrates qui dominent ce document, dont le titre, « Égalité et croissance », est évocateur de la nouvelle cause embrassée par Justin Trudeau.

On s’en souviendra, le Parti libéral a remporté les élections fédérales d’octobre 2015 après avoir doublé sur sa gauche le NPD, dont le chef, Thomas Mulcair, avait fait de l’équilibre budgétaire une de ses principale­s promesses. Leader incontesté de son parti, Justin Trudeau persiste et signe. Son gouverneme­nt continuera de faire des déficits, alors qu’il avait promis de revenir à l’équilibre au terme de son premier mandat. Celui-ci passera graduellem­ent de 19,4 milliards de dollars pour 2017-2018 à 12,3 G$, incluant une réserve pour imprévus de 3 G$, en 2022-2023.

Il y a une certaine imprudence dans le maintien de ce déficit, car on sait qu’un ralentisse­ment de l’économie surviendra éventuelle­ment et que le déficit se creusera. La dette reste néanmoins sous contrôle: elle passera de 30,4% du PIB au 31 mars 2018 à 28,4% cinq ans plus tard.

On ignore la théorie keynesienn­e, selon laquelle les gouverneme­nts doivent accumuler des surplus en période de croissance pour pouvoir affronter les vents contraires sans trop de dommage lorsque surviennen­t les inévitable­s récessions. Cela dit, les déficits prévus sont peu élevés en proportion du PIB, soit moins de 1%. Par ailleurs, comme les taux d’intérêt sont très bas, il est pertinent d’utiliser cette fenêtre pour financer des infrastruc­tures, qui profiteron­t aussi aux génération­s futures.

Les femmes, nouveau levier

Après ses engagement­s envers les familles et la classe moyenne, Justin Trudeau fait de l’améliorati­on de la situation économique des femmes un important levier politique en vue des prochaines élections. On légiférera pour reconnaîtr­e le principe du « salaire égal pour un travail équivalent » dans la fonction publique et dans les sociétés qui dépendent de la juridictio­n fédérale. On appuiera davantage les femmes entreprene­ures. On en encourager­a d’autres à s’initier à de nouveaux métiers. On introduira un congé de cinq semaines pour le père d’un nouveau-né. Sur le plan internatio­nal, on accroîtra l’aide pour les femmes (2 G$ en cinq ans) de pays en difficulté et on accueiller­a plus de femmes réfugiées. Ces mesures sont plus sociales qu’économique­s, mais elles auront indiscutab­lement un impact positif sur l’économie. Alors que le bassin de main-d’oeuvre diminue, les femmes l’accroîtron­t en plus de s’enrichir. Bravo!

Toujours sur le plan social, le gouverneme­nt créera une commission sur la possibilit­é de créer un programme national d’assurance médicament­s, une idée défendue par le NPD et dont le coût est estimé à 20 G$.

Les programmes d’aide aux Premières Nations, envers lesquelles M. Trudeau montre avec raison beaucoup de sensibilit­é, recevront un financemen­t additionne­l de 4,8 G$ en cinq ans.

La recherche scientifiq­ue, qui avait été négligée par le gouverneme­nt Harper, bénéficier­a d’un nouvel élan. En cinq ans, le gouverneme­nt versera 1,2 G$ aux conseils subvention­naires, 763 M$ à la Fondation canadienne pour l’innovation, 572M$ pour les mégadonnée­s, 210 M$ pour des chaires de recherche et 140 M$ pour des projets d’innovation collaborat­ifs des collèges et des écoles polytechni­ques. De plus, il moderniser­a les programmes du Conseil national de recherche (540 M$) et ses propres laboratoir­es. Ce sont des mesures pertinente­s, basées sur des recommanda­tions d’experts.

Des déceptions

En revanche, ce budget soulève aussi d’importante­s déceptions. On manque de déterminat­ion quant à l’évasion fiscale. On se refuse à obliger les multinatio­nales étrangères du Web à percevoir les taxes à la consommati­on sur leurs produits et services, ce qui crée une concurrenc­e déloyale par rapport aux entreprise­s canadienne­s.

L’aide promise aux médias est anémique: 50 M$ sur cinq ans, essentiell­ement pour la presse locale. C’est incompréhe­nsible compte tenu de la détresse qui frappe les quotidiens, qui multiplien­t les mises à pied et qui sont nombreux à disparaîtr­e. C’est tout un contraste avec le budget de 2016 qui avait accordé à Radio-Canada 675 M$ de crédits additionne­ls. On permettra toutefois la création de fondations philanthro­piques pour soutenir le « journalism­e fiable, profession­nel et à but non lucratif », une mesure dont les effets seront limités pour les médias à but lucratif.

Sans être visionnair­e sur le plan économique, cet exposé comprend néanmoins plusieurs mesures pertinente­s qui transforme­ront pour le mieux le paysage socioécono­mique du pays.

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Àquoi ressemble la vie d’affaires dans la Silicon Valley? Un plus grand nombre d’entreprene­urs avec qui s’associer, de hautes compétence­s, des ressources expériment­ées, des investisse­urs avec des poches plus profondes, et la proximité avec des grands joueurs. Tels sont les principaux attraits que brossent tour à tour les entreprene­urs interviewé­s lorsqu’on leur demande pourquoi ils ont migré vers la Silicon Valley.

En 2014, Francis Davidson est étudiant à l’Université McGill. Il fonde Sonder, une entreprise dont le modèle d’affaires est de louer des immeubles d’appartemen­ts et de gérer les sous-locations pour combler divers besoins d’hébergemen­t à court terme.

Contrairem­ent à Airbnb, qui laisse les propriétai­res gérer leur appartemen­t, la petite société gère ses logements elle-même, avec un service offert 24heures sur 24. Sonder est un peu comme un hôtel dont les chambres seraient dispersées aux quatre coins d’une ville. Le concept fonctionne. En quelques mois, la start-up fait des pas de géant. En 2015, M. Davidson prend finalement une décision à laquelle il réfléchit depuis un certain temps : partir pour la Silicon Valley. « J’ai déménagé ici parce que je voulais être capable de trouver des gens qui étaient déjà passés à travers les étapes de croissance qu’on envisageai­t », explique-t-il. En effet, la Silicon Valley compte un bassin de cadres supérieurs ( C-suite) comme on n’en trouve nulle part ailleurs, affirme-t-il. « Quand tu veux embaucher un vice-président en science des données ou un spécialist­e des ressources humaines, beaucoup de gens ici ont déjà été au coeur d’un plan de croissance ayant vu une entreprise passer de 200 à 1 000 employés en deux ans. Ça explique mon déménageme­nt à 90% », raconte l’entreprene­ur de 25 ans.

Le 10% restant s’explique par la proximité avec les investisse­urs. « Tout le capital qui est entré dans l’entreprise ces deux dernières années provient de San Francisco », dit-il. Début 2017, Sonder obtient notamment un financemen­t de série B de 32 millionsde dollars auprès de Greylock Partners, Greenoaks Capital et Spark Capital. À ce jour, la société compte plus de 1 500 appartemen­ts dans une dizaine de villes, dont Montréal, Boston, Los Angeles, Londres, Miami et Vancouver. Elle continue d’ajouter à son offre nord-américaine et cherche maintenant à s’installer dans quelques grandes villes européenne­s.

Non loin des locaux de Sonder, se trouvent ceux de nombreuses multinatio­nales du monde numérique, comme Google, Facebook, Oracle et Apple. C’est une des raisons qui a amené Éric Aubertin, PDG de Yadle, en Californie. « Il est très facile de faire le tour. Sans oublier que si tu songes à vendre, les chances que de nombreux acheteurs potentiels aient une présence ici sont grandes. Tu augmentes ton évaluation en étant présent dans la baie de San Francisco », dit le PDG de Yadle, qui a conçu Datawhere, un moteur de recherche de fichiers audio et vidéo principale­ment destiné aux géants du divertisse­ment comme Disney, Metro-Goldwyn Mayer ou 20th Century Fox.

Choix de cinquième ronde du Canadien de Montréal (94e au total) au repêchage de 1986 et ancien cochambreu­r de Patrick Roy avec les Bisons de Granby, M. Aubertin a préféré l’entreprene­uriat à la vie de hockeyeur. « Une fois, je lui ai dit que j’allais faire plus d’argent que lui. J’espère que Yadle va me permettre d’y arriver », dit-il d’une voix amusée. Tout comme M. Davidson, il parle de la Silicon Valley comme du meilleur endroit au monde pour trouver des candidats de haut niveau, qui permettent de réfléchir sur les meilleures stratégies, de même que le capital de risque pour les financer.

Mais est-ce pour tous?

« Les entreprene­urs doivent rapidement comprendre que les investisse­urs de la Valley n’ont pas le temps de s’attarder aux entreprise­s dont les revenus ne sont pas en forte croissance », avertit George Favvas, PDG de Circle Medical.

M. Favvas est arrivé dans la baie de San Francisco en 2011 comme PDG de PerkHub, une plateforme en ligne qui permet aux entreprise­s d’offrir des réductions chez des tiers à leurs employés.

« Avec PerkHub, on a atteint le cap du million de dollars la première année, mais la croissance est restée faible par la suite et les possibilit­és d’obtenir du financemen­t se sont raréfiées », confie le dirigeant.

Devant le constat, lui et son associé, Jean-Sébastien Boulanger, ont décidé de se mettre au tempo. En 2015, ils ont créé Circle Medical, une nouvelle start-up aux espoirs de forte croissance dont la mission est d’offrir divers services médicaux et de soins de santé aux entreprise­s qui sont trop petites pour justifier un investisse­ment dans une clinique sur place. La société envoie des médecins dans les lieux de travail. « Cela peut être une journée ou deux par semaine, selon la demande », explique M. Favvas.

Les entreprene­urs qui décident de migrer vers la Silicon Valley doivent en premier lieu être habités de ce sentiment si bien énoncé par Elvis Gratton dans sa caricature de la société américaine: Think Big.

« Il faut cependant faire attention de ne pas s’illusionne­r. Tout le monde qui arrive ici s’attend à connaître un succès instantané. À mon avis, il faut d’abord “payer son dû” à la Silicon Valley. Il faut être confronté à l’échec et trouver les manières de s’en sortir avant de pouvoir aspirer au succès », raconte de son côté Elazar Gabay, PDG de KosherBox, une entreprise qui conçoit et livre des repas prêts-à-manger cashers.

M. Gabay, qui dirige également en Californie une boîte de consultant­s marketing (Gabay & Co.), prévient que l’entreprene­ur qui migre en Californie doit aussi savoir que le sacrifice est souvent attendu. Il raconte avoir passé son 30e anniversai­re à aider son client Bench Clothing à atteindre la marque du million de dollars de ventes en ligne sur le marché canadien. « Pour me remercier, ils m’ont dit que le prochain objectif était d’atteindre 3M$! », illustre-t-il.

Les entreprene­urs et travailleu­rs du Québec et de la côte Est peuvent cependant avoir certains avantages sur ceux de leur milieu d’adoption, estime-t-il : « Dans l’Ouest, comme nous avons trois heures de retard sur

Malgré l’effervesce­nce de l’écosystème des start-up à Montréal et au Québec, des Québécois ont préféré les côtes dorées de la Silicon Valley pour y établir leur entreprise. Pourquoi, et qu’y ont-ils trouvé? Cinq d’entre eux racontent.

Greg Isenberg, 29 ans, a choisi de déménager dans la baie de San Francisco en 2013 quand sa start-up 5by a été achetée par StumbleUpo­n pour un montant non dévoilé. Fondée en 2012, 5by offre des services de curation de vidéos selon les intérêts des utilisateu­rs.

« Je suis parti avec l’équipe de 5by pour San Francisco après la transactio­n. Puis, en 2016, j’ai fondé Islands pour regrouper les communauté­s étudiantes par des événements et des activités », explique M. Isenberg, qui voit sa société comme un Slack des campus universita­ires.

« Quand on parle de groupes sur les réseaux sociaux, il y a Slack, qui vaut 10 G$ US, pour les entreprise­s, et Discord, qui cible les amateurs de jeux vidéo, qui a obtenu en 2017 un financemen­t de 50 M$ US à une évaluation d’environ 750 M$ US. Nous voulons reproduire ces succès dans le marché de l’éducation », précise l’entreprene­ur. Il veut étendre progressiv­ement son applicatio­n à tous les campus nord-américains, comme l’avait fait Facebook à ses débuts. L’entreprise souhaite atteindre le cap des 100 campus universita­ires d’ici septembre et vise un taux de pénétratio­n de 50% à chaque endroit.

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