Les Affaires

LA TERRE PROMISE DES START-UP

- Matthieu Charest Un gouverneme­nt très présent

JÉRUSALEM, ISRAËL — À l’automne dernier, cinq dirigeants de start-up ont fait valoir les atouts de leur jeune pousse sur la scène de l’Espace CDPQ, à Montréal. Leur objectif : aller à la rencontre des entreprene­urs et des bailleurs de fonds de la fourmilièr­e entreprene­uriale d’Israël, tous frais payés par le Consulat israélien et par le ministère des Affaires étrangères de ce pays. À la fin de la soirée, le jury tranche. C’est Jean-Sébastien Carrier, de Dyze Design, fabricant de composante­s pour les imprimante­s 3D, qui sera du voyage, au sein d’une délégation par ailleurs composée d’une vingtaine d’entreprene­urs et autant de journalist­es de partout dans le monde, dont Les Affaires.

Après un long périple aérien, nous débarquons à Tel-Aviv. Ce n’est toutefois pas dans la capitale économique israélienn­e que l’on nous conduit, mais à Jérusalem. « Nous voulons montrer qu’il n’y a pas que la religion et l’histoire à découvrir ici. Nous voulons envoyer le message aux gens que nous sommes ouverts aux investisse­ments et aux partenaria­ts économique­s. Nous n’avons plus à prouver que nous sommes la nation start-up, mais il n’y a pas que Tel-Aviv », explique le ministre des Affaires de Jérusalem et de l’Environnem­ent, Ze’ev Elkin. L’événement, intitulé « Start-up Jerusalem » ou « StartJLM », est financé en partie par les 800 millions de nouveaux shekels (300 millions de dollars canadiens), qui seront investis dans les cinq prochaines années afin de développer l’économie de la ville sainte.

Le laboratoir­e parfait

Au fil de la semaine, nous rencontron­s des fonds d’investisse­ment, de jeunes pousses, des accélérate­urs, des élus, des universita­ires. Beaucoup d’ingrédient­s ont été réunis pour tenter de mettre en place un parfait laboratoir­e de création de start-up.

Rapidement, un constat : la donne israélienn­e est différente de la nôtre. Le marché domestique est (encore) plus restreint, les entreprise­s naissent donc avec l’idée qu’il leur faudra exporter ou se vendre rapidement. « Nous devons penser globalemen­t dès le départ, raconte Yoav Tzruya, partenaire dans le fonds d’investisse­ment JVP Partners, à Jérusalem. Nous n’avons pas le luxe d’avoir un marché domestique important, comme les États-Unis. Aussi, beaucoup d’entreprise­s sont vendues très rapidement. C’est toutefois quelque chose que nous tentons de changer ; nous voulons les amener à leur plein potentiel avant de les vendre », dit-il. Un peu comme a réussi à le faire l’entreprise Mobileye, achetée par Intel pour 15,3 milliards de dollars américains.

Deuxième constat : beaucoup de ces start-up sont dans le domaine de la technologi­e. « Israël est en rupture avec la région. Ils ne peuvent pas commercer avec leurs voisins immédiats. Ils font donc le choix des technologi­es de pointe, puisque ça s’exporte bien », dit Rachad Antonius, professeur titulaire au départemen­t de sociologie de l’UQAM. Outre la situation géopolitiq­ue, pour le moins conflictue­lle, plusieurs autres facteurs expliquent également le boom israélien et ses 5 500 entreprise­s. « Après les États-Unis et la Chine, nous sommes le pays qui compte le plus d’entreprise­s inscrites au NASDAQ. Il faut comprendre qu’ici, nous n’acceptons pas un “non” comme réponse. Nous sommes audacieux, nous n’avons pas peur d’échouer », claironne Ran Natanzon, chef de l’innovation et de la gestion de marque au ministère israélien des Affaires étrangères.

« Ils [les Israéliens] n’ont pas peur du risque, renchérit Marie-Ange Masson, conseillèr­e, Développem­ent et coordinati­on pédagogiqu­e, à l’Institut d’entreprene­uriat Banque Nationale de HEC Montréal. Ils sont très “droits au but” et ils ont très vite une vision internatio­nale. Ils sont born global et voient grand. Le premier mot à apprendre en hébreu c’est “chutzpah” qui se traduit par “audace insolente”. »

Le système d’éducation et un service militaire obligatoir­e (trois ans pour les hommes, deux ans pour les femmes) ne sont pas non plus étrangers au succès de l’écosystème entreprene­urial. Tout est centré sur la débrouilla­rdise et l’innovation. « Les Israéliens ont une faculté d’adaptation absolument phénoménal­e, croit Yakov Rabkin, professeur titulaire au départemen­t d’histoire de l’Université de Montréal. « Il y a une blague qui dit que la Terre sera engloutie sous l’eau dans deux jours, raconte-t-il. Qu’est-ce que font les gens ? Les Américains vont prier, les Français, vider les caves à vin, et les Israéliens, s’atteler à trouver une manière de survivre sous l’eau.» Mine de rien, l’armée israélienn­e a beaucoup à voir dans l’esprit d’innovation qui caractéris­e la société. Beaucoup de liens sont tissés entre des jeunes qui sortent à peine de l’école, et qui n’ont rien à perdre en se lançant en affaires à la fin de leur service. Plusieurs technologi­es, de cybersécur­ité notamment, sont en outre développée­s pour la défense de l’État et peuvent servir au secteur civil par la suite, explique Yoav Tzruya. « L’armée israélienn­e est très axée sur l’innovation, ajoute Csaba Nikolenyi, professeur de sciences politiques et directeur de l’Institut Azrieli des études israélienn­es de l’Université Concordia. Elle prépare les jeunes à entrer sur le marché du travail en étant très flexibles et très créatifs. » En parallèle, les divers ordres gouverneme­ntaux israéliens — du municipal au national — s’engagent pour appuyer la création de start-up. Plusieurs bourses et congés de taxes sont par exemple accordés aux jeunes pousses de Jérusalem afin de les attirer. « Il existe plusieurs programmes afin de donner du lest financier aux jeunes pousses, explique Oded Barel, directeur du programme de soutien en entreprene­uriat Jnext, à Jérusalem. Le gouverneme­nt offre des bourses pour les nouvelles start-up qui équivalent à un loyer pour deux ans. Nous avons aussi des bourses qui vont jusqu’à 200 000 $ US pour celles qui engagent des employés. Nous pouvons financer jusqu’à 85 % des coûts pour une start-up sur deux ans. »

La Israel Innovation Authority, une organisati­on financée par les fonds publics, dont le budget est de 400 M$ US par année, est un autre fournisseu­r de carburant aux nouvelles entreprise­s. L’organisati­on compte sur 200 évaluateur­s, sous-traitants, qui rencontren­t et évaluent des entreprise­s afin de jauger leur potentiel. S’ils jugent que la start-up peut aller loin, notamment dans les technologi­es de pointe, elle lui octroiera des bourses. La somme moyenne équivaut à environ 550 000 $ CA.

Plus de 1 000 entreprise­s sont soutenues chaque année. « L’an dernier, plus de 600 nouvelles start-up ont émergé chez nous. Plus de 4 % du PIB est investi en R-D, surtout par le privé. La haute technologi­e emploie 8 % des Israéliens et équivaut à 13 % de notre PIB et 50 % de nos exportatio­ns industriel­les », explique Danny Biran, vice-président internatio­nal de l’organisati­on. Au Canada, seul 1,7 % du PIB a été consacré à la R-D en 2016, selon l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique. En Israël, le taux a atteint 4,3 % du PIB. Quant au secteur des technologi­es, il emploie 7 % des Canadiens, selon la firme Randstad. L’argent accordé par la Israel Innovation Authority n’est pas un don automatiqu­e, mais le système n’est pas conçu pour faire pression sur les entreprene­urs. « Soyons clairs, dit M. Biran, si l’entreprise réussie, elle nous rembourse. Règle générale, nous perdons de l’argent. Ça ne pose pas de problème. Chaque dollar investi rapporte de 5 à 10 $ à l’économie israélienn­e, ne serait-ce que par effet de ricochet. Un entreprene­ur qui échoue va finir par réussir, et sa réussite va profiter à tous dans la société. »

Jérusalem subvention­ne aussi la croissance à

Petit pays de la superficie des Laurentide­s, situé au bord de la mer Méditerran­ée, Israël fascine. Si la Silicon Valley continue d’attirer aussi bien les entreprene­urs que les investisse­urs, l’État hébreu s’est également taillé une place parmi les plus grands créateurs de start-up dans le monde. Les Affaires s’est rendu sur place afin de comprendre la recette entreprene­uriale israélienn­e, et de voir si des leçons ne pouvaient pas en être retenues pour l’écosystème québécois.

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