LA TERRE PROMISE DES START-UP
JÉRUSALEM, ISRAËL — À l’automne dernier, cinq dirigeants de start-up ont fait valoir les atouts de leur jeune pousse sur la scène de l’Espace CDPQ, à Montréal. Leur objectif : aller à la rencontre des entrepreneurs et des bailleurs de fonds de la fourmilière entrepreneuriale d’Israël, tous frais payés par le Consulat israélien et par le ministère des Affaires étrangères de ce pays. À la fin de la soirée, le jury tranche. C’est Jean-Sébastien Carrier, de Dyze Design, fabricant de composantes pour les imprimantes 3D, qui sera du voyage, au sein d’une délégation par ailleurs composée d’une vingtaine d’entrepreneurs et autant de journalistes de partout dans le monde, dont Les Affaires.
Après un long périple aérien, nous débarquons à Tel-Aviv. Ce n’est toutefois pas dans la capitale économique israélienne que l’on nous conduit, mais à Jérusalem. « Nous voulons montrer qu’il n’y a pas que la religion et l’histoire à découvrir ici. Nous voulons envoyer le message aux gens que nous sommes ouverts aux investissements et aux partenariats économiques. Nous n’avons plus à prouver que nous sommes la nation start-up, mais il n’y a pas que Tel-Aviv », explique le ministre des Affaires de Jérusalem et de l’Environnement, Ze’ev Elkin. L’événement, intitulé « Start-up Jerusalem » ou « StartJLM », est financé en partie par les 800 millions de nouveaux shekels (300 millions de dollars canadiens), qui seront investis dans les cinq prochaines années afin de développer l’économie de la ville sainte.
Le laboratoire parfait
Au fil de la semaine, nous rencontrons des fonds d’investissement, de jeunes pousses, des accélérateurs, des élus, des universitaires. Beaucoup d’ingrédients ont été réunis pour tenter de mettre en place un parfait laboratoire de création de start-up.
Rapidement, un constat : la donne israélienne est différente de la nôtre. Le marché domestique est (encore) plus restreint, les entreprises naissent donc avec l’idée qu’il leur faudra exporter ou se vendre rapidement. « Nous devons penser globalement dès le départ, raconte Yoav Tzruya, partenaire dans le fonds d’investissement JVP Partners, à Jérusalem. Nous n’avons pas le luxe d’avoir un marché domestique important, comme les États-Unis. Aussi, beaucoup d’entreprises sont vendues très rapidement. C’est toutefois quelque chose que nous tentons de changer ; nous voulons les amener à leur plein potentiel avant de les vendre », dit-il. Un peu comme a réussi à le faire l’entreprise Mobileye, achetée par Intel pour 15,3 milliards de dollars américains.
Deuxième constat : beaucoup de ces start-up sont dans le domaine de la technologie. « Israël est en rupture avec la région. Ils ne peuvent pas commercer avec leurs voisins immédiats. Ils font donc le choix des technologies de pointe, puisque ça s’exporte bien », dit Rachad Antonius, professeur titulaire au département de sociologie de l’UQAM. Outre la situation géopolitique, pour le moins conflictuelle, plusieurs autres facteurs expliquent également le boom israélien et ses 5 500 entreprises. « Après les États-Unis et la Chine, nous sommes le pays qui compte le plus d’entreprises inscrites au NASDAQ. Il faut comprendre qu’ici, nous n’acceptons pas un “non” comme réponse. Nous sommes audacieux, nous n’avons pas peur d’échouer », claironne Ran Natanzon, chef de l’innovation et de la gestion de marque au ministère israélien des Affaires étrangères.
« Ils [les Israéliens] n’ont pas peur du risque, renchérit Marie-Ange Masson, conseillère, Développement et coordination pédagogique, à l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale de HEC Montréal. Ils sont très “droits au but” et ils ont très vite une vision internationale. Ils sont born global et voient grand. Le premier mot à apprendre en hébreu c’est “chutzpah” qui se traduit par “audace insolente”. »
Le système d’éducation et un service militaire obligatoire (trois ans pour les hommes, deux ans pour les femmes) ne sont pas non plus étrangers au succès de l’écosystème entrepreneurial. Tout est centré sur la débrouillardise et l’innovation. « Les Israéliens ont une faculté d’adaptation absolument phénoménale, croit Yakov Rabkin, professeur titulaire au département d’histoire de l’Université de Montréal. « Il y a une blague qui dit que la Terre sera engloutie sous l’eau dans deux jours, raconte-t-il. Qu’est-ce que font les gens ? Les Américains vont prier, les Français, vider les caves à vin, et les Israéliens, s’atteler à trouver une manière de survivre sous l’eau.» Mine de rien, l’armée israélienne a beaucoup à voir dans l’esprit d’innovation qui caractérise la société. Beaucoup de liens sont tissés entre des jeunes qui sortent à peine de l’école, et qui n’ont rien à perdre en se lançant en affaires à la fin de leur service. Plusieurs technologies, de cybersécurité notamment, sont en outre développées pour la défense de l’État et peuvent servir au secteur civil par la suite, explique Yoav Tzruya. « L’armée israélienne est très axée sur l’innovation, ajoute Csaba Nikolenyi, professeur de sciences politiques et directeur de l’Institut Azrieli des études israéliennes de l’Université Concordia. Elle prépare les jeunes à entrer sur le marché du travail en étant très flexibles et très créatifs. » En parallèle, les divers ordres gouvernementaux israéliens — du municipal au national — s’engagent pour appuyer la création de start-up. Plusieurs bourses et congés de taxes sont par exemple accordés aux jeunes pousses de Jérusalem afin de les attirer. « Il existe plusieurs programmes afin de donner du lest financier aux jeunes pousses, explique Oded Barel, directeur du programme de soutien en entrepreneuriat Jnext, à Jérusalem. Le gouvernement offre des bourses pour les nouvelles start-up qui équivalent à un loyer pour deux ans. Nous avons aussi des bourses qui vont jusqu’à 200 000 $ US pour celles qui engagent des employés. Nous pouvons financer jusqu’à 85 % des coûts pour une start-up sur deux ans. »
La Israel Innovation Authority, une organisation financée par les fonds publics, dont le budget est de 400 M$ US par année, est un autre fournisseur de carburant aux nouvelles entreprises. L’organisation compte sur 200 évaluateurs, sous-traitants, qui rencontrent et évaluent des entreprises afin de jauger leur potentiel. S’ils jugent que la start-up peut aller loin, notamment dans les technologies de pointe, elle lui octroiera des bourses. La somme moyenne équivaut à environ 550 000 $ CA.
Plus de 1 000 entreprises sont soutenues chaque année. « L’an dernier, plus de 600 nouvelles start-up ont émergé chez nous. Plus de 4 % du PIB est investi en R-D, surtout par le privé. La haute technologie emploie 8 % des Israéliens et équivaut à 13 % de notre PIB et 50 % de nos exportations industrielles », explique Danny Biran, vice-président international de l’organisation. Au Canada, seul 1,7 % du PIB a été consacré à la R-D en 2016, selon l’Organisation de coopération et de développement économique. En Israël, le taux a atteint 4,3 % du PIB. Quant au secteur des technologies, il emploie 7 % des Canadiens, selon la firme Randstad. L’argent accordé par la Israel Innovation Authority n’est pas un don automatique, mais le système n’est pas conçu pour faire pression sur les entrepreneurs. « Soyons clairs, dit M. Biran, si l’entreprise réussie, elle nous rembourse. Règle générale, nous perdons de l’argent. Ça ne pose pas de problème. Chaque dollar investi rapporte de 5 à 10 $ à l’économie israélienne, ne serait-ce que par effet de ricochet. Un entrepreneur qui échoue va finir par réussir, et sa réussite va profiter à tous dans la société. »
Jérusalem subventionne aussi la croissance à
Petit pays de la superficie des Laurentides, situé au bord de la mer Méditerranée, Israël fascine. Si la Silicon Valley continue d’attirer aussi bien les entrepreneurs que les investisseurs, l’État hébreu s’est également taillé une place parmi les plus grands créateurs de start-up dans le monde. Les Affaires s’est rendu sur place afin de comprendre la recette entrepreneuriale israélienne, et de voir si des leçons ne pouvaient pas en être retenues pour l’écosystème québécois.