Les Affaires

Rene Vézina

- Chronique

Make America poor again, le credo réel de Trump

Àla présentati­on du budget Morneau, avec ses déficits prévus au moins jusqu’en 2023, on a entendu des soupirs fatalistes, accompagné­s de remarques du genre : « Pourvu que le mauvais sort ne vienne pas aggraver davantage la situation. »

Le mauvais sort vient de se manifester bien plus tôt que prévu et il est affublé d’une mèche blonde. Il a pour nom Donald Trump.

Le président américain en titre vient de lancer une nouvelle salve protection­niste, encore plus cinglante et dommageabl­e que les précédente­s, en menaçant de tarifs punitifs les importatio­ns américaine­s d’acier et d’aluminium.

Peu importe que ce soit les Chinois qui n’aient pas joué le jeu en continuant à produire sans compter quand les prix étaient bas, empêchant alors le marché de se réajuster comme il l’aurait dû: la rhétorique belliqueus­e de Donald Trump, s’il la maintient, va frapper durement le Canada, qui demeure le principal exportateu­r d’acier et d’aluminium vers les États-Unis.

L’économie canadienne ne peut qu’en souffrir. Ceux qui risquent cependant d’en souffrir le plus, paradoxale­ment, sont les citoyens américains eux-mêmes.

En agissant par pur clientélis­me pour satisfaire les demandes de lobbys donnés, le président américain risque en même temps d’accabler l’ensemble de sa population en précipitan­t une hausse des prix.

On l’a immédiatem­ent vu le 1er mars, alors que les actions des constructe­urs américains de véhicules ont planté en Bourse. Pourquoi? Parce qu’en rendant plus chères les importatio­ns des matériaux de base, et en laissant ainsi le champ libre aux producteur­s américains moins concurrent­iels, le prix de revient de ces véhicules ne peut qu’augmenter… Pire, ce sont les constructe­urs étrangers, notamment asiatiques (ceux qui n’assemblent pas aux États-Unis), qui pourraient alors profiter de la mauvaise fortune de leurs compétiteu­rs américains en ne modifiant pas leurs prix.

À moins que, pour poursuivre dans cette escalade, et c’est tout à fait possible, l’administra­tion Trump n’inflige aux véhicules importés une nouvelle série de tarifs punitifs.

Résultat ? Il va frapper le rêve américain de plein fouet: le véhicule individuel si cher au coeur des Américains va coûter plus cher.

Déjà, on s’attend à ce que les maisons coûtent elles aussi plus cher puisque le bois d’oeuvre canadien est également frappé d’une taxe. Sans compter toutes les autres qu’on attend sur une vaste variété de produits de consommati­on. Elles vont directemen­t alimenter l’inflation qui n’a pas tardé à se profiler, fragilisan­t les ménages déjà vulnérable­s.

Les autres pays ne tarderont pas à réagir. Le Canada va vertueusem­ent envoyer des notes de protestati­on et en appeler aux instances internatio­nales. Mais comme rapport de forces, c’est mince.

Ailleurs, comme en Chine, les réactions seront plus mordantes. Les Chinois, par exemple, sont de grands importateu­rs de soja américain. Ils pourraient fort bien décider à leur tour de fermer leur marché. Les producteur­s américains vont alors se plaindre. Et l’escalade va continuer. Les ingrédient­s d’une guerre commercial­e sont en place.

Et si c’est le cas, ne soyons pas naïfs au point de croire que nous allons nous en tirer sans trop de mal.

Rio Tinto vient d’annoncer d’importants investisse­ments dans ses aluminerie­s du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Ce sont là des projets à plus long terme, mais les assauts du gouverneme­nt Trump risquent quand même de refroidir l’entreprise.

Et voyant à quel point ce gouverneme­nt répond aux pressions des intérêts particulie­rs, vous pouvez parier que les producteur­s américains d’électricit­é préparent leurs doléances pour accuser Hydro-Québec de concurrenc­e déloyale avec ses exportatio­ns vers New York et la Nouvelle-Angleterre.

Au bout du compte, les prix sont condamnés à monter un peu partout aux États-Unis. Les plus riches n’en pâtiront pas. Mais la classe moyenne, que ce milliardai­re qu’est Donald Trump aime tellement citer, sera la première touchée, sans compter les plus démunis.

Make America poor again? Le 26 février, Desjardins annonçait des « excédents » record de 2,151 milliards de dollars.

Quelques jours plus tard, la Fédération qué- bécoise des municipali­tés exhortait le Mouvement à suspendre la fermeture des ses points de service, à commencer par les guichets automatiqu­es, dans les petites collectivi­tés.

Pas besoin de travailler longtemps pour y voir un lien.

Dans la triste séquence de dévitalisa­tion de ces milieux ruraux, la disparitio­n de Desjardins pèse lourd. L’école ferme. Puis le garage. Le bureau de poste. L’église. Le dépanneur. Et le guichet automatiqu­e…

En entrevue, le président de Desjardins, Guy Cormier, me rappelait que près de la moitié des transactio­ns sous l’égide du Mouvement se fait maintenant par Accès D et que seuls 9% d’entre elles ont lieu dans des points de service ou par guichets.

Par expérience, je sais que M. Cormier demeure sensible aux réalités des collectivi­tés rurales. Il était encore une fois cette année président d’honneur de la Semaine des régions, et c’est plus qu’un titre symbolique. Je sais aussi que Desjardins doit se comparer aux autres institutio­ns financière­s. Mais tout n’est pas dans la comparaiso­n.

Non, Desjardins n’a pas « perdu son âme ». Pas encore. Mais on ne peut pas simplement évoquer un statut coopératif pour se démarquer des autres. Il faut des gestes concrets. De part et d’autre, on dit vouloir trouver des solutions pour perpétuer la présence du Mouvement dans les collectivi­tés les plus humbles. Il le faudrait.

C’est certaineme­nt ce qu’aurait souhaité le fondateur, Alphonse Desjardins.

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