Les Affaires

Olivier Schmouker

- Chronique –

Le Bitcoin ? Un cheval de Troie !

« Elon Musk ne possède pas de Bitcoin, et il s’en fout ! » , « Le Bitcoin replonge sous les 10 000 $ ! », « De décrocheur à millionnai­re grâce au Bitcoin! »... Les titres des médias sont plus sensationn­alistes les uns que les autres dès lors qu’il s’agit du Bitcoin, la figure de proue des monnaies virtuelles fondées sur la chaîne de blocs ( blockchain), un registre de données partagées entre les utilisateu­rs et impossible à modifier, donc à falsifier. La blockchain est un moyen on ne peut plus efficace de partager des informatio­ns, que ce soit de l’argent numérique comme le Bitcoin... ou tout autre chose. Et c’est justement là que réside le pouvoir caché de la blockchain.

En effet, la blockchain permet de se passer de tout intermédia­ire lors d’une transactio­n. Prenons deux exemples concrets qui pourraient très bien survenir dans les prochaines années, si ce n’est les prochains mois... Vous achetez un condo? Plus besoin a priori de notaire pour enregistre­r et valider l’opération puisque l’acte notarié peut désormais être enregistré à vie dans une blockchain, tout en étant consultabl­e d’un seul clic. Autre cas : vous tombez malade en Floride ? Il vous suffit de donner au médecin urgentiste américain un accès temporaire à votre dossier médical, logé sur une blockchain, pour être soigné adéquateme­nt; plus besoin dès lors de communique­r avec qui que ce soit (votre médecin de famille, votre assureur,...) pour obtenir l’informatio­n requise.

On le voit bien, la technologi­e blockchain est simple, claire et rapide. Elle permet de contourner les intermédia­ires, qui sont, en comparaiso­n, lents et coûteux, outre le fait qu’ils manquent parfois de transparen­ce (soyons francs, combien d’entre nous comprennen­t absolument tout, par exemple, des « subtilités » de leurs contrats d’assurance?). Cette technologi­e offre la confiance que nous accordions jusqu’à présent à ces tiers (banque, notaire, assureur, etc.) à qui nous avions l’habitude de confier aveuglémen­t nos précieuses données (argent, contrats, etc.).

Le mot clé est lâché : confiance. Tout repose sur la confiance. Or, il se trouve que nos sociétés actuelles sont marquées au fer rouge par la défiance envers toutes sortes d’institutio­ns. Un exemple frappant est celui de la monnaie étatique...

Lorsque nos ancêtres ont commencé à vendre et à acheter des marchandis­es, ils ont utilisé divers objets pour jouer le rôle d’intermédia­ire: longtemps, des coquillage­s nacrés ont servi de monnaie d’échange, puis ils ont été remplacés par des pièces en métal. Les États ont vite réalisé qu’en les frappant de leur sceau, ils asseyaient leur pouvoir, et mieux, pouvaient lever des fonds, les citoyens ayant toute confiance envers la valeur de la monnaie émise.

Or, aujourd’hui, les États sont de plus en plus souvent accusés de ne pas savoir gérer les crises monétaires et financière­s. Ces dernières semblent survenir à répétition et paraissent chaque fois frapper de plus en plus fort les citoyens: la dernière d’envergure, celle dite des est survenue en 2007 et fait encore sentir ses traces à l’échelle de la planète. D’où l’attrait du Bitcoin, cette monnaie sans État : grâce à elle, il devient possible de se libérer des liens financiers que l’on a avec nos gouverneme­nts, d’échanger à notre guise n’importe quel bien ou service avec la personne de notre choix.

Le hic? C’est justement cette liberté extrême. Plus précisémen­t, le fait que l’État n’ait plus l’oeil sur les activités économique­s ayant lieu par l’entremise de la blockchain. D’une part, parce que c’est là un terrain de jeu parfait pour le crime organisé; l’étude Sex, drugs, and Bitcoin signée en janvier par Sean Foley, Jonathan Karlsen et Talis Putniš, trois chercheurs de l’Université de Sydney en Australie, montre que la moitié des échanges effectués en Bitcoin – quelque 72 milliards de dollars américains par année – sont illégaux (trafic d’armes, de faux documents, de drogues, etc.). D’autre part, parce que cela menace de priver l’État, à terme, de recettes fiscales phénoménal­es.

Voilà pourquoi il ne faut pas s’étonner de la vive réaction de nombre d’États à l’égard des cryptomonn­aies. C’est que leur pouvoir est carrément en jeu. Pour l’heure, leur réaction est, disons, chaotique.

La Chine veut tuer le Bitcoin en bannissant chez elle la blockchain et en menaçant de détruire les « mines », ces immenses hangars où des milliers d’ordinateur­s tournent jour et nuit pour créer et sécuriser les cryptomonn­aies. La Corée du Sud, le troisième marché mondial du Bitcoin, impose la divulgatio­n publique de tous les échanges, histoire de taxer certains d’entre eux. La France, elle, souhaite que le Fonds monétaire internatio­nal ait accès à l’intégralit­é des transactio­ns afin qu’il puisse les contrôler. Quant à la Russie, elle va à contre-courant puisqu’elle propose la création d’un... cryptoroub­le étatique!

Le Bitcoin est à l’ordre du jour du prochain sommet des ministres des finances du G20, qui se tiendra en avril, en Argentine. L’objectif sera de « poser le cadre du débat sur la régulation des cryptomonn­aies », de « proposer un rapport d’étape en juillet », puis de « faire des propositio­ns concrètes en octobre ». Bref, rien ne va se passer en 2018! Ce qui montre à quel point les États sont dépassés par les événements.

Josh Bersin, le fondateur du cabinet d’études Bersin by Deloitte, l’avait prédit lors du dernier congrès des CRHA: « À chaque innovation technologi­que, les gens peinent de plus en plus à s’adapter, et pire encore, les États aussi. Arrivera un jour prochain où ces derniers n’arriveront plus du tout à suivre et, croyez-moi, ce ne sera pas une bonne nouvelle... »

Croisons les doigts, donc, pour que le Bitcoin ne soit pas la technologi­e fatidique à nos États...

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