Les Affaires

DÉCATHLON PARIE SUR L’ENTREPRISE LIBÉRÉE

– Nicolas Roucou,

- DIANE BÉRARD

Personnali­té internatio­nale —

DIANE BÉRARD – Le Canada accueiller­a son premier magasin Décathlon à la fin avril. Parlez-nous de ce géant de l’équipement sportif abordable... NICOLAS ROUCOU

– Le concept Décathlon a été imaginé par Michel Leclercq. Il a ouvert le premier magasin en 1976, en banlieue de Lille, en France. Sa mission: vendre tous les sports sous le même toit. C’est une société privée présente dans 39 pays. Elle appartient à trois groupes: la famille Michel Leclercq, la famille Mulliez et les 80000 salariés. La famille Mulliez est, entre autres, derrière les enseignes Auchan et Leroy-Merlin. Mais comme Michel Leclercq est un Mulliez, on peut dire que Décathlon appartient à la grande famille Mulliez et aux employés.

D.B. – Décathlon a choisi le Mail Champlain, à Brossard. Pourquoi? N.R.

– Ce n’est pas Décathlon France qui a choisi. Ce n’est même pas moi, le DG pour le Canada. C’est mon équipe. J’ai choisi le Canada – par élan du coeur – et Montréal – à cause de liaisons directes à partir de Paris et parce que les gens sont super sympa. Et j’ai demandé à mon équipe: « Où avez-vous envie de vous installer? » Ils m’ont répondu: « Au Mail Champlain, nous croyons en ce site. » J’ai trouvé que ce choix avait du sens, en fonction de notre raison d’être aussi bien que de notre désir d’impact sociétal. Notre raison d’être consiste à rendre accessible­s les plaisirs et les bienfaits du sport au plus grand nombre de gens. Près de 800000 personnes habitent dans un rayon de 20minutes du Mail Champlain. On peut se rendre ici par tous les moyens de transport, dont les transports collectifs. Et puis, le Mail Champlain a besoin d’un coup de pouce par rapport à la toute-puissance du DIX30. Les Ailes de la Mode ont fermé. Sears aussi. Ce sont beaucoup d’emplois perdus. Si nous nous étions installés au DIX30, quel aurait été notre impact sociétal réel? En outre, je préfère apporter de la valeur au Mail Champlain et au quartier adjacent plutôt que de défricher une terre agricole pour construire une succursale Décathlon toute neuve. Ici, les commerçant­s me disent: « Vivement que vous arriviez, ça va dynamiser le centre commercial! »

même à l’encontre de la logique du commerce de détail... N.R. –

Nous croyons que notre marque et nos produits sont assez forts pour que nous connaissio­ns le succès ici, dans cette collectivi­té. Il y a tout plein de projets à développer avec les clubs sportifs du quartier et tout autant de potentiel pour stimuler l’offre du Mail Champlain. Je pense que nous avons suffisamme­nt d’atouts pour réussir tout en étant cohérents avec nos valeurs d’impact sociétal positif.

D.B. – Vous souhaitez que votre arrivée rapporte aux autres détaillant­s du Mail Champlain. Mais la succursale Sport Experts risque d’y perdre au change, non? N.R.

– Le marché du sport n’est pas fini. Il y a encore beaucoup de gens qui ne pratiquent aucun sport ou un seul sport. Nous avons aussi choisi des singularit­és pour notre présence canadienne. On ne vendra que notre marque maison. Je vais laisser la vente des produits de marque aux autres enseignes. C’est un choix personnel. En France, nos magasins proposent aussi les grandes marques de sport.

D.B. – Décathlon Canada compte explorer l’économie de partage. Dites-nous en plus... N.R. –

Nous en revenons encore à prendre des décisions qui respectent le sens de notre mission. Décathlon a été créé pour rendre accessible le sport au plus grand nombre de personnes. Il y a des gens qui n’ont pas la chance de pouvoir s’acheter un vélo, par exemple. Pourtant, ces personnes ont le droit d’en faire. Peut-on faciliter la mise en oeuvre des systèmes de location ou de prêt d’équipement? Certaineme­nt, et nous serons des facilitate­urs de ce type d’échanges qui rendra la pratique du sport plus fluide, en le faisant nous-mêmes ou pas. Je n’ai pas encore toutes les réponses. Nous allons cependant assumer notre responsabi­lité de catalyseur. En France, au magasin de Lille, il se déploie présenteme­nt un projet pilote d’économie circulaire. Ce magasin ne vendra que des articles de sport remis à neuf, à prix réduit, bien sûr. Je crois que c’est à chaque équipe de trouver localement la solution qui a plus de sens pour rendre le sport accessible à tous.

D.B. – Vous avez occupé le poste de directeur industriel de Décathlon pendant 12 ans. Les produits Decathtlon sont-ils fabriqués dans vos usines? N.R. –

Notre marque est dessinée à l’interne. Nous avons quelques usines en propre pour expériment­er et fabriquer des prototypes. Le reste est produit chez 1 000 sous-traitants. La plupart d’entre eux ont d’autres clients. Avec les autres, une soixantain­e, nous entretenon­s une relation privilégié­e. Ce sont des partenaire­s officiels. Nous migrons vers un modèle 100% partenaire­s. Nous voulons que tous nos produits soient fabriqués dans des usines où nous travailler­ons à long terme. Comme avec cette usine de vélo au Portugal avec qui nous travaillon­s depuis 20 ans. Il sait à quoi s’en tenir avec nous pour les 5 à 10 prochaines années.

D.B. – Chaque DG national Décathlon choisit son modèle d’entreprise. Pour le Canada, vous souhaitez implanter l’entreprise libérée. De quoi s’agit-il? N.R. –

Il existe de nombreuses déclinaiso­ns, mais elles ont toutes un point commun: le système hiérarchiq­ue classique est remplacé par une structure horizontal­e où les collaborat­eurs s’autodirige­nt.

D.B. – Est-ce votre première expérience d’entreprise libérée? N.R.

– Non, j’ai mené des expériment­ations alors que j’étais directeur industriel de Décathlon. Par exemple, mes équipes choisissai­ent elles-mêmes leurs nouveaux collaborat­eurs.

D.B. – L’entreprise libérée demeure un modèle expériment­al. Pourquoi aller dans cette direction? N.R.

– D’abord, parce que j’y crois, et un leader doit incarner ses conviction­s. J’estime que le travail doit s’adapter aux humains et non l’inverse. Ensuite, les entreprise­s qui ne basculeron­t pas vers ce modèle seront en difficulté parce que les nouvelles génération­s ont besoin de liberté. Enfin, pour des raisons de responsabi­lité sociale. Notre première responsabi­lité sociale est envers nos employés. Et le modèle d’entreprise libérée est celui qui génère le plus de bonheur au travail.

D.B. – Pour vous, la stratégie numérique doit servir le sens d’une entreprise au même titre que les autres décisions. Qu’avez-vous décidé pour Décathlon Canada? N.R.

– Pour le Canada, ma volonté est de redonner de la place aux êtres humains. J’investis d’abord dans la rencontre entre des utilisateu­rs sportifs et des passionnés, à l’aide de zones de pratique. J’aurais pu venir chez vous avec un modèle d’affaires incluant un entrepôt et la vente par Internet. C’est un modèle intéressan­t sur le plan économique. Toutefois, je ne le trouve pas intéressan­t sur le plan humain. Il ne crée pas d’emplois. Il ne crée pas de relation entre des sportifs passionnés.

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