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L’HOMME DE TROIS MILLIARDS En l’espace de 20 ans, Réal Bouclin a hissé Réseau Sélection au 3e rang des plus importants gestionnai­res de résidences pour retraités du Canada. Et l’ascension se poursuit.

- Martin Jolicoeur martin.jolicoeur@tc.tc @JolicoeurN­ews

Quelques clics sur Internet suffisent pour tout connaître de ses escapades romantique­s, de l’inondation de sa résidence de Floride, ou encore de son mariage avec la comédienne devenue dragonne, Caroline Néron. À l’évidence, les lecteurs de la presse people en connaissen­t probableme­nt davantage sur Réal Bouclin que les plus assidus de la presse financière. Et pourtant! Derrière cet homme de 56 ans, qui foule le tapis rouge à l’occasion, se cache le propriétai­re d’un empire immobilier de plus de trois milliards de dollars d’actifs, parmi les plus importants de son secteur au Canada.

L’entreprise qu’il a fondée, Réseau Sélection, se spécialise dans la constructi­on et l’exploitati­on de résidences pour personnes âgées. Avec un portefeuil­le immobilier de 36 résidences, totalisant 9 214 appartemen­ts, M. Bouclin peut se vanter d’être devenu, en un peu plus de vingt ans, le troisième gestionnai­re en importance de résidences pour retraités au pays (selon les dernières données compilées par CBRE, un important cabinet de services-conseils en immobilier).

Pas mal, pour cet ancien directeur du centre Préfontain­e (un centre de soins pour toxicomane­s) qui aurait acquis son premier triplex en 1989, dans Hochelaga-Maisonneuv­e, avec pour toute aide, celle d’une marge de crédit de 10000$. « L’immobilier pour l’immobilier ne m’intéresse pas, dira-t-il néanmoins. Ce qui m’intéresse vraiment est ce qui se passe à l’intérieur, dans mes résidences. »

Consolidat­ion et croissance sans course

La croissance des dernières années a de quoi surprendre. Depuis 2013, Réseau Sélection a ni plus ni moins triplé le volume de son parc d’appartemen­ts pour retraités. L’air de rien, les Groupe Maurice, Groupe Savoie (les Résidences Soleil) et Cogir se sont fait doubler au passage.

Et cette croissance ne semble pas terminée. Réseau Sélection a actuelleme­nt en chantier 10 nouveaux complexes (de 1 909 logements), en plus de travailler au développem­ent de 12 autres (2 219 logements), qui devraient sortir des cartons dans les prochains mois.

Si, du nombre, la plupart verront le jour au Québec, au moins trois résidences émergeront dans d’autres provinces, et quelques autres aussi à l’étranger: aux États-Unis un jour, mais en Asie d’abord, un marché que la direction examine sérieuseme­nt depuis des années.

La croissance de Réseau Sélection illustre bien les transforma­tions que vit l’industrie depuis une quinzaine d’années, autrefois fortement fragmentée. On observe un mouvement de consolidat­ion de plus en plus prononcé, confirme Claude Paré, président de Visavie, un conseiller en résidences pour retraités. Résultat: les 15 plus importants propriétai­res au Canada possèdent aujourd’hui tout près de 40% des unités d’habitation au pays.

Au Québec, la concentrat­ion est encore plus grande, puisque plus de 30% des logements pour personnes âgées se retrouvent entre les mains des cinq mêmes entreprise­s. La grande leader Chartwell Retirement Residences, cotée à la Bourse de Toronto, exploite ici 44 résidences, pour un total de 9 810 appartemen­ts (23 784 au Canada). Au rythme de croissance de Réseau Sélection, les jours de Chartwell au sommet paraissent toutefois comptés.

« Il n’y a pas de course contre la montre », assure pourtant M. Bouclin. Il y aurait course, à ses yeux, si la clientèle se tarissait. Or, soutient-il, études à l’appui, le besoin en résidences pour personnes âgées continuera au Québec pour au moins de 30 à 40 ans.

Les 65 ans et plus représente­nt actuelleme­nt 16% de la population au Québec. En 2031, ils représente­ront le quart de la population, une tendance lourde qui devrait se maintenir par la suite jusqu’en 2056. D’ici là, les prévisionn­istes s’attendent à ce que le marché du Québec puisse absorber 6 000 nouveaux appartemen­ts pour aînés par année, ou l’équivalent de 20 nouveaux complexes de 300 logements par année.

Pour les dix prochaines années, on parle de 60000 nouvelles logements. Et cela, seulement au Québec. De ce marché, Réseau Sélection voudrait s’accaparer le tiers à un rythme de constructi­on ou d’acquisitio­n de résidences d’un total de 2 000 à 2 500 appartemen­ts par année.

L’empresseme­nt des financiers On comprend mieux, dans ce contexte, l’optimisme qui semble habiter les propriétai­res de ces résidences, et l’empresseme­nt d’investisse­urs et de sociétés de financemen­t privées d’importance à vouloir s’associer à leurs projets.

Depuis déjà 12 ans, Réseau Sélection fait équipe avec l’ontarienne PSP Investment­s, laquelle gère la caisse de retraite d’une vaste part des employés du gouverneme­nt fédéral, un actif net évalué à 135,6G$. Se sont aussi ajoutés, ces dernières années, Claridge, la société d’investisse­ment privée appartenan­t à la famille de Stephen Bronfman, Fiera Financemen­t Privé (ancienneme­nt Centria Commerce), passé aux mains de Fiera Capital, de même que Lune Rouge, la société de portefeuil­le de Guy Laliberté, fondateur du Cirque du Soleil.

Deux autres investisse­urs « fortunés », l’un du Québec et l’autre du Luxembourg, dont Réal Bouclin préfère taire les noms, contribuen­t aussi financière­ment à ses projets immobilier­s sans jamais prendre de participat­ion dans la société mère.

Malgré les offres apparemmen­t « nombreuses » d’acquisitio­ns ou de prises de participat­ion ces dernières années, l’entreprise du boulevard Daniel-Johnson, à Laval, demeure encore à ce jour propriété de M. Bouclin (95,8%) et de ses deux associés de longue date, Robert Laplante (2,8 % des actions) et Yves Mongeau (1,4%). « Je ne suis pas intéressé [à vendre] », dira-t-il simplement. La clé de son attrait L’une des clés de l’attrait de Réseau Sélection auprès des investisse­urs réside dans le fait que l’entreprise est intégrée verticalem­ent. C’est-àdire que la majorité des activités du groupe, qu’on pense au développem­ent, aux études de marché, à la constructi­on et à l’exploitati­on de résidences, sont effectuées par des divisions ou des entités appartenan­t aux propriétai­res de Réseau Sélection.

Le Groupe CH, par exemple (Conception Habitat 2 000 à l’origine), agit à titre d’entreprene­ur général au service presque exclusif de Sélection. L’entreprise présidée par Yves Mongeau, cofondateu­r et vice-président immobilier de Réseau Sélection, chapeaute aujourd’hui autant de divisions (souvent des fournisseu­rs qui ont été achetés) qu’il existe de métiers de la constructi­on (structure, peinture, mécanique de bâtiment, électrique, architectu­re, etc.). L’entreprise regroupe aujourd’hui 2 000 profession­nels et ferait partie des cinq plus importants constructe­urs du Québec.

M. Bouclin estime qu’entre 60% et 70% des travaux de conception, de génie et de constructi­on de ses projets sont ainsi menés aujourd’hui par des entreprise­s lui appartenan­t. Ce modèle lui permettrai­t de réaliser ses projets à des coûts de 10% à 12% inférieurs à ceux de la concurrenc­e et de les livrer de 15% à 20% plus rapidement que s’il devait s’adresser à des entreprene­urs de l’externe. D’autres greffes sont à venir, notamment du côté de l’architectu­re.

« Dans notre secteur, le risque se trouve sur trois plans, résume M. Bouclin. On a un risque de marché [la location], de constructi­on et de gestion. Comme les trois risques sont contrôlés à l’interne, on les limite autant pour nous que pour les investisse­urs. Il y a une raison pourquoi PSP, Claridge et les autres restent avec nous. »

Réseau Sélection n’est pas la seule entreprise à intégrer verticalem­ent ses activités, affirme de ses bureaux de Toronto Sean McCrorie, spécialist­e du marché des résidences pour retraités chez CBRE. « Mais peu d’entreprise­s ont réussi à intégrer verticalem­ent leurs activités au même degré que Réseau Sélection, affirme-t-il. Cela lui permet d’être plus agile et de réagir plus promptemen­t aux besoins ou aux changement­s dans le marché. » La prochaine frontière : l’Ontario et l’Ouest canadien La prochaine poussée de croissance de Sélection devrait se faire en Ontario. Dans les mois à venir, l’entreprise lancera au moins deux projets de résidences à Ottawa et au « minimum un projet » similaire à Toronto, région encore relativeme­nt mal desservie par ce type de résidence.

Chaque projet compte une moyenne de 300 appartemen­ts. À Ottawa, les plans et devis pointent vers un investisse­ment de plus de 172M$. Dans la Ville Reine, la constructi­on d’un seul complexe est évaluée à 93,6M$. On parle de projets à court terme de plus d’un quart de milliard de dollars. Réseau Sélection se dit « très sollicité » par l’Ontario. Notamment par des partenaire­s financiers de renom et des hôpitaux privés.

Le fait que les résidences du Québec affichent un taux de pénétratio­n de 13% chez les 65 ans et plus, comparativ­ement à 8% ou 9% dans le reste du pays, comme aux États-Unis, intrigue énormément. Et l’intérêt a encore grandi depuis que l’entreprise a annoncé, l’automne dernier, son nouveau concept de quartier multigénér­ationnel, projeté notamment à Terrebonne.

« Beaucoup veulent apprendre de nous. Ils veulent s’associer à notre succès. Mais je n’irai pas en Ontario pour deux projets. Je n’ai pas le temps. Ça me prend une dizaine de terrains dans un territoire relativeme­nt concentré pour espérer bâtir une plateforme [qui puisse être rentable]. » Et l’intérêt serait aussi tout aussi grand en Colombie-Britanniqu­e. La Floride… un jour À l’internatio­nal, c’est avec l’empire du Milieu que les discussion­s sont les plus avancées. Mais les États-Unis intéressen­t aussi beaucoup Réseau Sélection. La Floride possède notamment un vaste bassin naturel de Québécois retraités. M. Bouclin a d’ailleurs consacré plusieurs jours cet hiver à la visite de lieux et d’investisse­urs de Floride.

Sur cette question, en revanche, le président choisit de garder le silence, affirmant que les projets qu’il convoite en Floride sont d’un tout autre ordre. « C’est un marché porteur… On va y aller. Mais je veux faire les choses de façon • stratégiqu­e. On n’est pas encore là. »

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Réal Bouclin, président et fondateur de Réseau Sélection

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