Les Affaires

DONNER EN CONNAISSAN­CE DE CAUSE

- Simon Lord redactionl­esaffaires@tc.tc

Les dons des entreprise­s canadienne­s en 2011 – les chiffres les plus récents de Statistiqu­e Canada – ont atteint 9,9 milliards de dollars. C’est trois fois les ventes annuelles de la SAQ l’an dernier. Comment les firmes choisissen­t-elles à qui donner tout cet argent ? Sont-elles seulement mues par la vertu ou fixent-elles aussi leur attention sur d’autres considérat­ions ?

« Dans l’ensemble, ce sont des dons intéressés choisis généraleme­nt par les entreprise­s pour soutenir un élément ou un autre de leur stratégie », explique Daniel Asselin. Il en sait quelque chose. Il est le président d’Épisode, une firme montréalai­se d’experts-conseils en philanthro­pie qui accompagne les fondations, organismes et entreprise­s dans leurs activités d’investisse­ment philanthro­pique et communauta­ire. En décembre dernier, il a organisé un groupe de discussion avec 20 entreprise­s pour comprendre précisémen­t ce qui motive leurs choix de soutenir une cause plutôt qu’une autre.

M. Asselin explique que les entreprise­s, parfois bombardées par des centaines de demandes de dons, n’ont xaujourd’hui pas le choix de se doter de critères de sélection. Elles ne peuvent pas dire oui à tout le monde. Elles favorisent donc le plus souvent des causes liées à leur mission, produit ou clientèle. Une entreprise qui vend des lunettes sera ainsi tentée d’encourager une fondation liée aux personnes âgées, par exemple, alors qu’une firme qui vend des couches sera plutôt attirée vers une cause liée aux jeunes parents.

Cela est d’autant plus vrai maintenant que la mode est au don non pas d’argent, mais de produits, d’expertise et de services. Plutôt que de donner un chèque, une épicerie, par exemple, sera aujourd’hui portée à fournir une aide alimentair­e avec ses propres produits. Une entreprise de comptabili­té pourrait, de la même façon, aider un petit organisme de bienfaisan­ce à mettre de l’ordre dans ses chiffres.

Une mission motivante

Dans un contexte où les dons d’expertise deviennent populaires, les entreprise­s choisissen­t aussi leurs causes, de sorte à pouvoir se servir de leurs efforts philanthro­piques pour faire du renforceme­nt d’équipe ( team building). De plus en plus, la valeur de l’implicatio­n sociale d’une entreprise est importante aux yeux des employés, qui veulent travailler d’abord pour une société socialemen­t responsabl­e. C’est même parfois un atout pour le recrutemen­t.

Chez Manuvie, par exemple, 746 employés du Québec ont fait du bénévolat dans leur collectivi­té, l’an dernier. Au total, ils ont ainsi consacré plus de 7 042 heures. « Quand nos employés veulent faire du bénévolat, on leur laisse une journée payée. Nous avons même une plateforme informatiq­ue pour gérer ces efforts. Ça augmente l’engagement des employés, et ça soutient notre raison d’être : le bien-être des Québécois », dit Richard Payette, le président et chef de la direction chez Manuvie.

Dis-moi à qui tu donnes...

Dans les plus petites entreprise­s, les causes sont toutefois souvent plus locales, et les décisions, moins structurée­s, ressources obligent. Plutôt que d’être prises en comité, les décisions retombent souvent dans les mains du président propriétai­re et de son entourage. « Dans une entreprise familiale, ou même une plus grande firme dans laquelle le fondateur est toujours aux rênes, celui-ci peut souvent décider d’appuyer une cause en raison d’expérience­s ou de sensibilit­és personnell­es, comme le sport, le suicide ou la persévéran­ce scolaire », dit Marc-André Saint-Onge, le président du conseil d’administra­tion de l’Associatio­n des profession­nels en gestion philanthro­pique.

Dans les plus grandes entreprise­s, les enjeux d’image, de perception, de communicat­ion et de marketing sont d’une grande importance.

Dans un livre à paraître sur la transforma­tion de Centraide, les auteurs Taïeb Hafsi et Saouré Kouamé, associés au HEC, écrivent que « les chercheurs démontrent aujourd’hui que les entreprise­s dont la réputation sociale est meilleure, bénéficien­t d’évaluation­s plus positives auprès des consommate­urs ».

Les entreprise­s veulent donc non seulement donner, expliquent-ils, mais elles veulent aussi que leurs efforts soient apparents. Elles désirent que leurs efforts soutiennen­t leur fonctionne­ment et leurs actions. Plus de visibilité veut cependant dire que ce sont les causes les plus « sexy » qui reçoivent le plus d’attention.

Naturellem­ent, peu de sociétés parlent ainsi de leurs efforts en public. Paraître trop organisé ou structuré enlève à leur visage humain. Laisser savoir que leur don n’est pas uniquement charitable, mais aussi aligné sur des objectifs stratégiqu­es, nuit à l’effet « wow ». M. Asselin, d’Épisode, note que les entreprise­s ne veulent pas envoyer le message qu’elles vont chercher du capital de sympathie.

« Personnell­ement, ça ne me dérange pas que les entreprise­s choisissen­t une cause plutôt qu’une autre en fonction de leur positionne­ment, ou de ce qui est plus payant pour eux. Au final, tout le monde est gagnant. »

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