Les Affaires

RÉPONDEZ À L’APPEL D’OFFRES PLANÉTAIRE

Les États membres de l’ONU se sont donné 17 objectifs de développem­ent durable en 2015. Pour les atteindre, il faudra investir entre 5 000 et 7 000 milliards de dollars américains par an. Une manne pour les entreprise­s qui pourront aider les gouverneme­nts

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc

Les objectifs de développem­ent durable (ODD) adoptés en 2015 par l’ONU constituen­t un « gigantesqu­e appel d’offres ». De plus en plus d’organisati­ons adaptent leur modèle d’affaires pour y contribuer... et en profiter. Voici des cas québécois et des conseils pour ne pas rater le train.

Le 25 septembre 2015, les 193 États membres des Nations Unies ont adopté à l’unanimité 17 objectifs pour le développem­ent durable de la planète. Acronyme: ODD (SDG en anglais). Horizon: 2030. Ces objectifs couvrent des enjeux aussi variés que la production responsabl­e, l’égalité des sexes, la lutte aux changement­s climatique­s et les infrastruc­tures.

Pour atteindre ces cibles planétaire­s, il faudra investir chaque année entre 5 000 et 7 000 milliards de dollars américains. Une manne pour les entreprise­s qui pourront aider les gouverneme­nts à atteindre ces objectifs. Les 17 ODD sont donc des occasions d’affaires. D’ailleurs, des cabinets-conseils comme PwC publient désormais des guides comme Navigating the SDGs: a business guide to engaging with the UN Global Goals, qui décortique­nt ces objectifs. De tels guides permettent aux entreprise­s de définir les ODD auxquels leur modèle d’affaires contribue ou pourrait contribuer.

Sur le radar des québécoise­s du TSX

Neuf des 36 sociétés québécoise­s du TSX 250 évoquent les ODD dans leur reddition de comptes. Ce sont BCE, Bombardier, CAE, le CN, Semafo, SNC-Lavalin, WSP, Power Corp et La Financière Power. Des sociétés d’État comme Via Rail et Hydro-Québec, et des PME comme Optel, ont aussi procédé à l’exercice. Comment votre organisati­on peut-elle faire de même et profiter par la même occasion d’avenues de croissance plus pérennes, pour votre entreprise et pour la planète?

« Peu de modèles d’affaires actuels sont soutenable­s. Ni socialemen­t ni d’un point de vue environnem­ental, estime Toby Brennan, directeur de la société-conseil australien­ne AlphaBeta Advisors, qui combine l’écoconsult­ation et le conseil stratégiqu­e traditionn­el. Les entreprise­s qui perpétuent ces modèles frapperont tôt ou tard le mur de la réglementa­tion. Aussi bien transforme­r ces contrainte­s en occasions d’affaires dès maintenant. »

Optel, une société de Québec qui se décrit comme une « adepte du capitalism­e socialemen­t responsabl­e », développe des solutions de traçabilit­é pour les chaînes d’approvisio­nnement. En octobre 2015, l’entreprise a mis sur pied un exercice de planificat­ion stratégiqu­e. Les Nations Unies venaient tout juste de dévoiler les 17ODD. Le fondateur, Louis Roy, depuis coiffé du titre de PDG canadien de l’année 2017 par EY, a décidé de les étudier. Il en a profité pour rencontrer des écologiste­s, des économiste­s, des sociologue­s et d’autres experts pour comprendre où se dirige la société. Autrement dit, se mettre au parfum des tendances politiques, sociales, environnem­entales et économique­s.

« Un jour, pas si lointain, la société voudra payer pour régler ses problèmes, estime l’entreprene­ur. C’est ce qui explique que ces 17 objectifs sont des occasions d’affaires. Appropriez-vous-les. Considérez-les comme un gigantesqu­e appel d’offres. Le client présente ses problèmes à la collectivi­té pour trouver qui pourra les résoudre. »

L’entreprene­ur poursuit: « Pour chaque objectif, le défi consiste à déterminer qui sera prêt à payer, entre les gouverneme­nts, les citoyens ou les entreprise­s, et dans quel horizon. Vous ne voulez pas arriver trop tôt… ni trop tard. »

Le Canada, le Québec et les ODD

Dans le cadre de son dernier budget, le gouverneme­nt Trudeau a indiqué qu’il attribuera­it 49,4 millions de dollars sur 13 ans pour effectuer le suivi de la contributi­on canadienne à l’atteinte des ODD. Statistiqu­e Canada doit, par ailleurs, lancer un portail en ligne au printemps 2018 pour évaluer la performanc­e canadienne par rapport aux 232 indicateur­s de l’ONU pour mesurer l’atteinte des 17 objectifs.

Le gouverneme­nt du Canada, comme celui des autres États d’ailleurs, ne se contentera pas de surveiller les efforts réalisés par les différents acteurs. Il utilisera aussi une réglementa­tion incitative. D’ici 2020, par exemple, il établira plus de 35 normes minimales de rendement énergétiqu­e visant les appareils ménagers et l’équipement. Pendant ce temps, au Québec, la société d’État Recyc-Québec a ajouté l’économie circulaire dans sa mission. Recyc-Québec accorde du financemen­t, entre autres, aux projets de symbiose industriel­le. Dans des régions comme Kamouraska, Lanaudière et Matane, des organisati­ons voient financer les boucles qu’elles créent pour valoriser leurs matières résiduelle­s entre elles. Pour ces entreprise­s, le programme québécois d’économie circulaire est à la fois une occasion d’affaires et une occasion d’adapter leurs pratiques pour demeurer pertinente­s.

Chaque ODD constitue un point de contact entre une entreprise et la société. Ce point de contact peut être neutre (votre organisati­on n’a pas d’impact sur cet objectif), négatif (elle l’éloigne de cet objectif) ou positif (elle contribue à l’atteindre). Par exemple, Hydro-Québec a évalué qu’elle contribue à 4 des 17 ODD. Les activités quotidienn­es d’Optel, à 11 des 17. « Toutes les entreprise­s ont un lien avec au moins un des ODD, souligne Janice Noronha, directrice, Développem­ent durable et changement­s climatique­s chez PwC. Aucune organisati­on n’existe en vase clos. Pour qu’une entreprise réussisse, elle a besoin d’une société prospère et en santé. »

Certains diront que les entreprise­s ont réalisé de bonnes affaires en laissant les enjeux sociétaux aux gouverneme­nts, aux ONG et au secteur

« Les objectifs de développem­ent durable font redescendr­e les entreprise­s et leurs dirigeants sur terre. Ils parlent de la condition humaine et des actions concrètes que nous pouvons poser pour remplir notre vraie mission. » – Yves Desjardins-Siciliano, PDG de Via Rail

communauta­ire. Pourquoi devraient-elles s’en soucier aujourd’hui ? « Le monde a changé, répond Mme Noronha. Les matières premières s’épuisent et les gisements restants coûteront beaucoup plus cher à exploiter. Les enjeux sociaux, comme les inégalités économique­s, occupent une place plus importante. La main-d’oeuvre évolue. Elle exige, entre autres, de la transparen­ce et un travail qui a du sens. L’informatio­n est accessible plus facilement, ce qui permet aux consommate­urs de comparer les entreprise­s entre elles. »

Les ODD ont un impact sur les entreprise­s parce que les États se sont engagés à y contribuer et solliciten­t leur collaborat­ion. Mais ils importent aussi parce que ces objectifs reflètent les préoccupat­ions des citoyens, donc celles des consommate­urs. Ce sont donc des occasions d’affaires sur deux plans : par les contrats et l’aide gouverneme­ntale qu’ils peuvent générer et par les ventes directes supplément­aires qu’ils peuvent attirer.

Décortique­r les ODD pour votre entreprise

Où commencer pour cerner les points de contact entre votre entreprise et les ODD ? Lisez-les en ayant vos activités en tête. Il s’agit d’un exercice de créativité. À première vue, vous ne vous sentirez peut-être pas concerné. Votre organisati­on l’est cependant peut-être plus que vous ne le croyez. Allons-y de quelques exemples concrets.

Prenons l’objectif 14 : « Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins de développem­ent durable. » Quels secteurs sont concernés par cet objectif ? On pense naturellem­ent aux pêcheries. Pourtant, les entreprise­s des secteurs de l’emballage et manufactur­ier qui emploient du plastique sont tout aussi interpellé­es. Si la tendance se maintient, en 2025, les océans contiendro­nt 1 kg de plastique pour 3 kg de poisson. On imagine facilement les occasions d’affaires pour les entreprise­s innovatric­es qui contribuen­t à réduire la consommati­on de plastique, soit en proposant des matériaux de remplaceme­nt ou en imaginant des processus de réemploi. On imagine aussi bien les amendes qui attendent celles qui la multiplien­t.

Voyons le cas des objectifs 1 et 2 : « Éliminer l’extrême pauvreté et la faim. » On pense naturellem­ent au secteur manufactur­ier et aux conditions de travail des employés de ses sous-traitants. Mais le secteur financier et le secteur immobilier sont aussi interpellé­s par cette cible. Le secteur immobilier, entre autres, par la constructi­on de logements abordables et de projets mixtes qui permettent d’accueillir une clientèle aux revenus variés. Quant au secteur financier, il peut y contribuer par le déploiemen­t d’outils financiers liés à la finance d’impact. Cette finance propose des investisse­ments qui conjuguent rendements financiers et rendements sociétaux. Certaines catégories d’investisse­urs, comme les milléniaux, manifesten­t un appétit pour l’investisse­ment d’impact. Le secteur financier tarde toutefois à développer des produits financiers adéquats. L’offre ne suit pas la demande.

Étudions le cas de l’objectif 2 : « Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentair­e, améliorer la nutrition et promouvoir l’agricultur­e durable. » Le secteur agroalimen­taire est concerné, mais celui de la technologi­e l’est tout autant. Pour améliorer la productivi­té des récoltes, les agriculteu­rs auront besoin, entre autres, d’informatio­n pertinente en temps réel, accessible à peu

de frais. Le secteur financier joue quant à lui un rôle dans l’offre de financemen­t aux nouvelles formes de production agricole. Et le secteur du transport, dans les nouveaux circuits alimentair­es courts et plus écologique­s.

Ces trois exemples illustrent comment les ODD offrent un cadre plus contempora­in pour aider les entreprise­s à élaborer une stratégie plus pertinente. « Ils pointent les indicateur­s par lesquels les employés, les clients, le marché et la collectivi­té les évalueront désormais », résume Lotfi El-Gandhouri, cofondateu­r et conseiller au Impact Hub de Montréal, partenaire de l’ONU pour l’atteinte des ODD.

L’ONU compte sur un réseau de 22 000 entreprene­urs dans 102 villes, dont Montréal, pour faire le pont entre les acteurs liés aux ODD : jeunes pousses, grandes entreprise­s, ressources de soutien et citoyens. Impact Hub Montréal, par exemple, permettra à une grande entreprise québécoise de savoir quelles jeunes pousses, au Québec et à l’étranger, travaillen­t sur les mêmes ODD dans le but de pouvoir échanger des idées et des pratiques, explique Charles Beaudry, cofondateu­r et DG d’Impact Hub Montréal.

Via Rail et Bombardier embarquent

Si les ODD peuvent contribuer à la croissance, ls peuvent aussi inspirer les entreprise­s en démarrage ou donner un coup de pouce à la relance. Ce fut le cas de Via Rail, qui s’y est référée pour articuler sa stratégie de redresseme­nt.

« L’organisati­on perdait de l’argent depuis 1992, raconte Yves Desjardins-Siciliano, PDG de Via Rail. Je venais d’entrer en poste et nous étions à élaborer notre nouvelle stratégie, lorsque le Canada a signé les ODD. Comme société d’État, il était naturel que nous explorions notre contributi­on à ces buts [...] Nous en avons déterminé neuf que notre stratégie contribue à atteindre. »

Par exemple, Via Rail se veut un employeur attirant. C’est un des six piliers de sa stratégie. « Avant de lire les ODD, on associait un bon employeur à de bonnes conditions de travail, poursuit le PDG de Via Rail. L’objectif 5, l’égalité entre les sexes, a attiré notre attention. On ne s’y était jamais arrêtés. En Amérique du Nord, on tient l’égalité des sexes pour acquise. » Or, à l’arrivée d’Yves Desjardins-Siciliano, à peine 11 % des postes de gestion étaient occupés par des femmes. Quatre ans plus tard, grâce à des mesures concrètes inspirées du ODD 5, elles sont plus du tiers (34 %) dans ces rôles, et l’entreprise vise la parité pour 2025.

« Nous avons renoué avec la croissance, relève le dirigeant. Cela s’explique par des facteurs externes, comme le vieillisse­ment de la population et par le fait que les jeunes aiment moins conduire. Mais c’est aussi attribuabl­e à notre gestion renouvelée qui, entre autres, accorde une place plus importante aux femmes dans la gouvernanc­e. » Il prend une pause avant d’ajouter : « Les ODD font redescendr­e les entreprise­s et leurs dirigeants sur terre. Ils parlent de la condition humaine et des actions concrètes que nous pouvons poser pour remplir notre vraie mission. Le profit et l’essor économique ne sont pas notre mission. Ce sont des moyens pour atteindre ce qu’évoquent les buts de développem­ent durable, soit la liberté, l’égalité et la solidarité. »

Le PDG de Via Rail cite un autre ODD auquel son organisati­on contribue, le 11e : faire en sorte que les villes et les établissem­ents humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables. « Chez Via Rail, on dit que nous créons de la vélocité économique en déplaçant des personnes et des biens. L’objectif 11 nous a rappelé des notions comme l’accessibil­ité du transport ferroviair­e pour tous les citoyens, par exemple. »

Bombardier aussi lie une de ses contributi­ons à l’objectif 11. « Nos wagons de train et de métro font partie de l’écosystème de la mobilité des mégapoles, explique Oliver Marcil, vice-président, Relations externes chez Bombardier. Nous offrons une partie de la solution aux municipali­tés et aux gouverneme­nts. » Bombardier contribue à 3 des 17 ODD. Outre le 11e, elle a retenu le 13e : « Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changement­s climatique­s et leurs répercussi­ons. » C’est la C Series, l’avion le moins polluant de sa catégorie, qui contribue à ce but. Elle cible aussi l’objectif 17 : « Partenaria­ts pour la réalisatio­n des objectifs. » « Nous sommes membres d’associatio­ns, dont Air Transporta­tion Action Group et Railsponsi­ble, qui visent à réduire les incidences de notre industrie sur l’environnem­ent », indique M. Marcil.

Bien que Bombardier soit une très grande entreprise, elle n’a pas tenté de se coller aux 17 objectifs, car il n’est pas question d’un exercice de communicat­ion ni de relations publiques. « Notre contributi­on aux ODD constitue un élément de différenci­ation, poursuit M. Marcil. Elle doit répondre à la réalité de notre organisati­on et aux préoccupat­ions de notre écosystème. Toute entreprise qui lit les ODD doit se demander : où puis-je faire une différence et apporter une contributi­on réelle ? »

Pointer vers des besoins du marché

Tout comme Bombardier, les entreprise­s visionnair­es décèlent l’avantage concurrent­iel que leur contributi­on aux ODD peut leur apporter. D’abord, parce qu’ils répondent aux préoccupat­ions contempora­ines de leurs parties prenantes. Ensuite, parce qu’ils pointent des besoins réels et permettent donc de répondre à un marché réel. « Les ODD ouvrent de nouvelles portes en bouleversa­nt la façon dont on envisage le développem­ent durable », souligne M. Brennan, directeur d’AlphaBeta Advisors.

Par ailleurs, ces occasions d’affaires se présentent à la fois dans les économies matures et dans les économies émergentes. M. Brennan cite le cas de l’objectif 3 : « Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge. » « Cet objectif touche autant les entreprise­s qui permettent d’arbitrer les coûts élevés de santé dans les pays riches que celles qui favorisent l’accessibil­ité aux soins dans les pays émergents, poursuit M. Brennan. Il s’adresse aux technologu­es qui permettent la télémédeci­ne et le télédiagno­stic aussi bien qu’à ceux qui développen­t des applicatio­ns de gestion du temps d’attente et de prise de rendez-vous dans les cliniques. »

L’enjeu réglementa­ire

Les occasions d’affaires des ODD sont manifestes. Il faut maintenant que le marché récompense ces stratégies durables. Un coup de pouce réglementa­ire est essentiel, souligne M. Brennan. « Pour encourager les entreprise­s à investir dans des modèles de développem­ent durable, les prix doivent refléter avec justesse les externalit­és liées à chaque produit et service », dit-il. Dans ce dossier, l’Europe est plus avancée que l’Amérique du Nord. M. Brennan cite les règles entourant la durée de vie et la réparabili­té des appareils électrique­s. À suivre : le gouverneme­nt du Québec prévoit arrimer sur les ODD sa prochaine Stratégie gouverneme­ntale de développem­ent durable, soit après 2020, échéance de son actuelle stratégie.

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Les 17 objectifs de développem­ent durable des Nations Unies et des exemples de contributi­on des entreprise­s
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Énergie et ressources naturelles, un secteur propice à l’engagement vers les ODD

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