Les Affaires

Olivier Schmouker

- Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc Chroniqueu­r | C @OSchmouker

Vers un NAFTrump ?

Depuis maintenant neuf mois, les États- Unis, le Canada et le Mexique négocient une nouvelle mouture de l’Accord de l i b re- échange nord- américain (ALÉNA, ou NAFTA en anglais), et rien ne dit qu’une entente se profile à l’horizon. Pis, maintenant que la date butoir du 17 mai fixée par le républicai­n Paul Ryan, le président de la Chambre des représenta­nts, est révolue, Donald Trump peut perdre patience et déchirer à tout moment l’entente actuelle, qu’il considère comme « horrible » pour son pays.

Que va-t-il se passer? Le nationalis­me économique prôné par le président des États-Unis va-t-il tout faire voler en éclats? De nouvelles barrières tarifaires vont-elles s’ériger à nos frontières? Des guerres commercial­es vont-elles même être déclenchée­s ici et là? J’ai eu le privilège d’assister, au congrès annuel de l’Associatio­n des économiste­s québécois (ASDEQ) et ai pu ainsi recueillir des éclairages fort intéressan­ts à ce sujet…

La Banque Scotia a recouru à ses modèles de calcul économétri­ques pour anticiper les impacts potentiels d’une politique résolument protection­niste du côté américain. « Si les États-Unis revenaient aux barrières tarifaires des années 1990, cela provoquera­it chez eux comme chez nous une récession qui durerait au moins deuxou trois ans », dévoile Jean-François Perrault, premier vice-président et économiste en chef, Banque Scotia.

Alessandro Barattieri, Matteo Cacciatore et Fabio Ghironi sont trois professeur­s d’économie qui travaillen­t respective­ment à l’ESG UQÀM, à HEC Montréal et à l’Université de Washington. Ensemble, ils ont analysé les implicatio­ns macroécono­miques d’une montée en puissance du protection­nisme. « Nos travaux montrent clairement que cette politique est inflationn­iste et “récessionn­aire”. Si elle était appliquée de nos jours par les Américains, cela améliorera­it, au mieux, un tout petit peu leur ratio balance commercial­e/produit intérieur brut, mais surtout, cela mènerait droit à une récession durable », notent-ils dans leur étude, en soulignant que « le protection­nisme est indubitabl­ement une mauvaise idée ».

Jean St-Gelais, le président de l’ASDEQ, d’enfoncer le clou: « C’est bien simple, le protection- nisme est un obstacle à la croissance économique, à commencer par celui qui l’exerce », dit-il.

Ce n’est pas tout. Au début de mai, quelque 1 500 économiste­s, dont 14 prix Nobel d’économie, ont signé une lettre ouverte adressée au président américain dans laquelle ils le supplient de ne pas relever les barrières tarifaires, même un tant soit peu. « En 1930, 1 028 économiste­s avaient pressé le Congrès de rejeter la loi Hawley-Smoot, qui allait augmenter les droits de douane à l’importatio­n de plus de 20000 produits. Cette loi a été malgré tout adoptée et a mené droit à la Grande Dépression. Ne refaisons pas aujourd’hui la même erreur, ne faisons pas payer aux Américains le prix exorbitant d’un absurde repli sur soi économique », écrivent-ils.

Donald Trump va-t-il écouter toutes ces voix qui s’élèvent pour l’alerter du danger d’une politique protection­niste? Ou va-t-il les balayer du revers de la main, en les traitant – comme à son habitude dès qu’un fait dérange ses a priori – de fake news? Tout porte à croire qu’on peut craindre le pire. Larry Kudlow, le principal conseiller économique du président américain, a récemment confié au magazine Politico qu’il était « pessimiste » concernant la survie de l’ALÉNA: il a beau plaider en faveur d’un léger remodelage de l’entente, le président semble faire la sourde oreille. À cela s’ajoute le fait que Donald Trump a le chic pour prendre des décisions économique­s qui fâchent. Un sondage mondial mené par le groupe de recherche allemand CESifo auprès de 1 000 économiste­s montre en effet que seulement 7,8% d’entre eux considèren­t que le président a eu pour l’instant un impact positif sur le climat d’affaires global, et 3,6%, sur les échanges internatio­naux des États-Unis.

Et pourtant – tenez-vous bien! –, une lueur d’espoir semble poindre à l’horizon. Si, si… « Trump va se montrer plus conciliant dans les mois et les années à venir, car il ne peut plus se permettre de déchirer des ententes; il lui faut maintenant montrer à ses électeurs qu’il est capable de conclure des ententes à l’échelle internatio­nale », a affirmé l’invité du congrès de l’ASDEQ Todd Buchholz, professeur d’économie à Harvard et ex-directeur de la politique économique à la Maison-Blanche sous George W. Bush.

« Trump est connu pour ses coups de gueule sur Twitter, mais aussi pour ses revirement­s à 180 degrés effectués en un clin d’oeil. Il réagit, mais n’agit pas. D’ailleurs, regardez ses menaces de mesures protection­nistes: aucune d’entre elles n’a encore été vraiment mise en pratique. Ce qui est bien le signe qu’il peut plier pour l’ALÉNA », ajoute M. Perrault, de la Scotia.

Dominique Anglade, la ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation ainsi que de la Stratégie numérique du Québec, abonde dans le même sens, en lançant, sourire en coin: « Keep calm and don’t sweat the tweets ! » (« Restez calmes et ne vous énervez pas avec les tweets »).

Bref, la probabilit­é est plus forte qu’on ne le croit de voir Donald Trump reculer stratégiqu­ement à propos de l’ALÉNA, et donc « de passer du NAFTA au NAFTrump », comme le pense M. Buchholz, en évoquant ainsi une entente qui lui permettrai­t d’enregistre­r quelques gains symbolique­s, sans perdre pour autant la face.

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