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Personnali­té internatio­nale

- MotcléChro­nique Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | diane_berard

Paul Rice, fondateur et PDG, Fair Trade USA

Personnali­té internatio­nale — DIANE BÉRARD – Fair Trade USA a 20 ans cette année. Quelle est votre mission ? PAUL RICE

– Nous contribuon­s à une meilleure qualité de vie pour les petits producteur­s et à un développem­ent pérenne pour les collectivi­tés. Nous incitons les acheteurs à éliminer les intermédia­ires pour traiter directemen­t avec les producteur­s. Nous encourageo­ns aussi ces acheteurs à offrir un prix juste à leurs fournisseu­rs. Fair Trade USA est présent dans 70pays, en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Nos interventi­ons touchent 1,5 million d’agriculteu­rs, ainsi que leurs travailleu­rs et leur famille. Ces agriculteu­rs font pousser les bananes, le café, le thé, le sucre... que nous consommons chaque jour. Au total, nous certifions 30 aliments.

D.B. – Votre certificat­ion confirme que le producteur de l’aliment qu’on achète a reçu un prix équitable pour ses produits, c’est ça? P.R.

– Notre certificat­ion embrasse plus large. Pour l’obtenir, un producteur doit respecter certaines conditions de travail à l’égard de ses employés. Nous établisson­s, par exemple, le nombre d’extincteur­s requis dans une usine ainsi que des heures minimales de formation en santé et sécurité, de même que des normes environnem­entales spécifique­s.

D.B. – À quelle fréquence visitez-vous les producteur­s certifiés ? P.R.

– Nous les auditons une fois par année. Mais cela ne suffit pas. Chez chaque producteur, nous formons des employés qui deviennent des auditeurs internes toute l’année. Vous savez, la plupart du temps, lorsqu’il y a un problème au champ ou dans l’usine, ce n’est pas parce que le producteur se fiche du bien-être de ses employés. C’est plutôt parce que le monde des affaires va trop vite. On oublie de poser un extincteur dans la pièce, par exemple. En comptant sur la vigilance des employés auditeurs, on évite bien des tracas.

D.B. – En 2012, le secteur du vêtement vous a demandé de répéter pour eux ce que vous avez réussi pour le café. Racontez-nous. P.R.

– Différents groupes nous ont approchés : des activistes, des syndicats, des marques, des détaillant­s et des groupes de consommate­urs. Nous avons déployé un projet pilote en Inde et au Sri Lanka. Nos débuts ont été modestes : une usine, puis deux, puis trois... Jusqu’à ce que Patagonia joigne l’initiative. En 2014, ils ont voulu tester notre modèle de commerce équitable. Patagonia accompliss­ait déjà un travail exceptionn­el en environnem­ent, mais elle ne s’était pas vraiment attaquée aux enjeux sociaux liés à son secteur.

D.B. – Patagonia recrutait déjà des auditeurs externes pour vérifier ses fournisseu­rs. Pourquoi avait-elle besoin de Fair Trade USA? P.R.

– Un auditeur qui passe quelques heures ou même quelques jours dans une usine ne remarquera jamais ce qu’un employé formé – qui connaît le travail et ses collègues – voit au quotidien.

D.B. – Votre méthode de certificat­ion développée pour les aliments se transpose-t-elle facilement au secteur du vêtement? P.R.

– Je dirais que 70% de cette certificat­ion se transpose facilement et 30% a dû être réinventé. Ainsi, la plupart des employés du secteur agricole travaillen­t à l’extérieur. Ceux du secteur du vêtement travaillen­t en usine. Il a fallu revoir les normes de sécurité exigées.

D.B. – Le processus de certificat­ion a progressé plus rapidement pour le secteur du vêtement que pour le secteur agricole. Pourquoi? P.R.

– Les usines de vêtements se trouvent en ville, là où la technologi­e est plus accessible. Cela permet de récolter des données et facilite notre suivi. Nous employons une technologi­e nommée Laborlink. Les employés accèdent à cette plateforme avec leur cellulaire. Ils répondent à des sondages mensuels concernant leurs conditions de travail. Nous souhaitons que les travailleu­rs agricoles aient aussi accès à Laborlink, mais la connectivi­té dans les montagnes, par exemple, pose problème. Et plusieurs agriculteu­rs ont des cellulaire­s, mais pas nécessaire­ment des téléphones intelligen­ts. Cela devrait se corriger d’ici deux à trois ans. Le secteur agricole pourra alors profiter des innovation­s développée­s pour le secteur du vêtement.

D.B. – Quelle est la prochaine étape de votre relation avec le secteur du vêtement? P.R.

– Nous cherchons de 8 à 10 millions de dollars américains pour étendre notre méthode de certificat­ion aux pays difficiles comme le Cambodge, le Bangladesh et, surtout, la Chine.

D.B. – Vous estimez que le secteur du vêtement chinois posera un défi plus important que celui de l’Inde. Pourquoi? P.R.

– Il sera plus difficile d’obtenir la collaborat­ion et l’implicatio­n des employés chinois pour les audits que des employés indiens. C’est une question de culture. Je prévois aussi qu’il sera plus ardu d’implanter des regroupeme­nts de travailleu­rs dans les usines chinoises. Nous amorçons notre action au Vietnam et nous rencontron­s une certaine résistance. Cela nous donne un avant-goût de ce que réserve la Chine, car, culturelle­ment, le Vietnam se situe entre l’Inde et la Chine.

D.B. – Comment Fair Trade USA se finance-t-elle? P.R.

– Nos frais d’exploitati­on sont couverts par les revenus des audits. Les nouveaux projets, comme le lancement de la certificat­ion pour le secteur du vêtement, sont financés par la philanthro­pie. Au cours des quatre dernières années, nous avons recueilli 20 M$ US pour lancer, entre autres, la certificat­ion du poisson. Nous visons un donateur principal qui contribue à hauteur de 40% ou de 50% pour lancer le bal. Dans le cas de la campagne de 20 M$ US, notre donateur principal est un entreprene­ur du secteur du café qui connaît bien le commerce équitable. Au fil des années, il nous a accordé plusieurs dons. La confiance s’est installée. Il était mûr pour un don majeur.

D.B. – Votre façon de solliciter du financemen­t a-t-elle évolué en 20 ans? P.R.

– Je consacre moins de temps à exposer le problème. Pour moi, il est assez simple. Côté pile, vous avez des travailleu­rs pauvres et exploités. Côté face, vous avez des entreprise­s qui se mettent à risque de non-qualité, de mauvaise réputation et de mauvais rendements. Je m’attarde surtout à notre solution, nos impacts et en quoi la philanthro­pie peut nous aider à obtenir cet impact.

D.B. – Que pensez-vous de la pression des bailleurs de fonds pour démontrer l’impact de l’entreprene­uriat social? P.R.

– Les entreprene­urs sociaux sont de bons conteurs. Mais nous devons aussi recueillir des données pertinente­s et en tirer des conclusion­s utiles. Certains disent, agacés: « Je contribue à améliorer la situation depuis 10 ans. Pourquoi dois-je encore prouver que mon modèle fonctionne ? » C’est une question de discipline. Il est bon d’être redevable par rapport à nos objectifs. Et puis, il faut mesurer pour s’améliorer. Un entreprene­ur social veut changer le monde. Il devrait vouloir accroître son impact.

L’Américain Paul Rice est un pionnier du commerce équitable, qu’il décrit comme la création supplément­aire de valeur pour tous, et non la simple redistribu­tion de la valeur existante. Son action, qui a débuté dans le secteur des aliments, s’étend aujourd’hui à celui du vêtement. Je l’ai rencontré à Oxford, au Skoll World Forum on Social Entreprene­urship.

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