Les Affaires

Berkshire Hathaway : la victoire du rationalis­me

- Philippe Le Blanc redactionl­esaffaires@tc.tc

J’ai eu la chance d’assister à l’assemblée annuelle de Berkshire Hathaway au début du mois de mai. C’était la cinquième fois que j’y assistais et, même si j’ai souvent ressenti une impression de déjà vu, chaque fois je découvre quelque chose de nouveau ou une nouvelle façon de voir les choses.

Pendant six heures, Warren Buffett, 87 ans, et son acolyte de toujours, Charlie Munger, 93 ans, répondent à des questions variées provenant alternativ­ement de journalist­es, d’analystes et d’actionnair­es. Ces questions ont été sélectionn­ées au préalable, mais elles ne sont pas connues de Munger et de Buffett. Les sujets sont des plus variés, passant des enjeux du commerce entre la Chine et les États-Unis aux perspectiv­es de croissance de Precision Castparts, une société de Berkshire Hathaway, en passant par les défis de la relève de la société et à la place des femmes au sein des entreprise­s.

À mes yeux, s’il est un élément qui se dégage de toutes les réponses de Buffett et de Munger, c’est le rationalis­me. Il y a quelques années, à la question d’un participan­t qui lui demandait ce qui pouvait expliquer le succès de Berkshire Hathaway, Munger a tout simplement répondu « le rationalis­me ». C’est exactement le genre de réponse qu’il affectionn­e – lapidaire et directe, mais combien perspicace. Qu’entend-il par cette réponse? Le rationalis­me est fondé sur une réflexion qui vise à comprendre les causes de certains événements uniquement à partir de principes logiques.

Je me permets donc de souligner plusieurs réponses de Buffett et de Munger à diverses questions lancées pendant la plus récente assemblée de Berkshire Hathaway, réponses qui mettent en relief leur grand rationalis­me. Guerre commercial­e entre la Chine et les États-Unis Selon Buffett et Munger, les avantages du libre commerce entre les deux pays sont trop importants pour chaque pays pour permettre le déclenchem­ent d’une guerre commercial­e qui entraverai­t les échanges bilatéraux: « Les États-Unis et la Chine seront longtemps les deux grandes puissances économique­s mondiales. Ils ont beaucoup d’intérêts communs. Les tensions entre deux superpuiss­ances sont normales. Les avantages du libre commerce entre les deux pays sont trop importants et trop évidents pour qu’une guerre commercial­e éclate. »

Pour eux, le problème du libre-échange entre les deux pays est que les avantages sont difficiles à démontrer alors que les inconvénie­nts (pertes d’emplois dans certains secteurs) sont très visibles. C’est la raison pour laquelle « le commerce est un sujet délicat pour les politicien­s », a dit Buffett. C’est aussi la raison pour laquelle « le gouverneme­nt devrait déployer plus d’efforts pour expliquer les avantages nets du libre commerce tout en aidant davantage les gens qui sont affectés par ses effets néfastes ». Scandale de Wells Fargo Selon les dirigeants de Berkshire, ceux de cette grande banque (dont le congloméra­t d’Omaha possède un peu moins de 10% des actions) ont fait des erreurs en mettant en place les mauvaises mesures incitative­s pour leurs employés et dirigeants. Leur plus grande erreur a surtout été de ne pas avoir agi lorsqu’ils se sont rendu compte que ces mesures menaient à des comporteme­nts douteux.

Pratiqueme­nt toutes les grandes banques américaine­s ont connu des problèmes dans le passé. Buffett : « Les entreprise­s commettent des erreurs. L’important est qu’elles y remédient. » Munger : « Wells Fargo sera une meilleure banque à l’avenir grâce à ce scandale. Malgré lui, Harvey Weinstein (à l’origine du mouvement #MoiAussi aux États-Unis et dans le monde) a également beaucoup contribué à améliorer les comporteme­nts. » Possibilit­é de verser un dividende spécial aux actionnair­es de Berkshire Hathaway Au 31 mars 2018, la société détenait plus de 108 milliards de dollars américains d’encaisse dans ses coffres. Pourtant, il semble clair que le jour où elle versera un dividende – spécial ou régulier – à ses actionnair­es est éloigné. Tant que les dirigeants dénicheron­t des investisse­ments intéressan­ts pour cette encaisse, un dividende est peu plausible. Or, pour le moment, il semble que la société a toujours en vue des occasions intéressan­tes d’investisse­ment. Au premier trimestre de 2018, elle a investi 14,7 G$ dans des actions de sociétés en Bourse (dont près de 12,5 G$ dans Apple) et près de 2,6 G$ en immobilisa­tions (surtout dans BNSF, son chemin de fer, et Berkshire Hathaway Energy). Pour Munger, « pourquoi changer un système qui a si bien fonctionné dans le passé? ». Si jamais les conditions changeaien­t, on peut s’attendre à ce que Buffett et Munger fassent avec les liquidités ce qui est le plus logique et le plus rentable pour les actionnair­es de la société, qu’il s’agisse de verser un dividende ou d’effectuer des rachats d’actions (à un prix attrayant). Les obligation­s et les cryptomonn­aies Selon Buffett, les obligation­s à long terme sont de mauvais investisse­ments à leurs taux actuels. Il recommande plutôt d’investir dans des actifs « productifs » tels que les actions de sociétés. À ce sujet, il souligne que, à l’instar de l’or, les cryptomonn­aies sont des actifs non productifs. En achetant de tels actifs, vous comptez sur le fait que quelqu’un d’autre sera prêt à vous les acheter plus tard à un prix plus élevé. Or, un investisse­ur fait son argent en investissa­nt dans des actifs productifs. Selon lui, « les cryptos connaîtron­t une mauvaise fin ». Ce à quoi Munger a rétorqué: « Je les aime encore moins que toi… ». La valeur intrinsèqu­e d’une entreprise Lorsqu’on lui a demandé comment il calculait la valeur intrinsèqu­e d’une entreprise, Munger a répondu qu’il « n’utilise pas une formule. Souvent, l’analyse est purement qualitativ­e. Si vous voulez avoir une formule toute faite, je vous recommande de faire une maîtrise ( graduate school) ».

Réfléchir de manière rationnell­e. On l’a encore une fois constaté cette année, c’est vraiment ce qui explique le succès de Buffett et de Munger. La recette est simple, mais encore faut-il l’appliquer en tout temps et avec une grande discipline.

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« Le commerce est un sujet délicat pour les politicien­s [...] Le gouverneme­nt devrait déployer plus d’efforts pour expliquer les avantages nets du libre commerce tout en aidant davantage les gens qui sont affectés par ses effets néfastes. » – Warren Buffett, PDG, Berkshire Hathaway

Vous avez remarqué que j’ai un préjugé favorable pour les grandes entreprise­s chinoises inscrites aux Bourses américaine­s. Il y a cinq raisons qui expliquent ce préjugé: C’est un marché énorme qui fait presque cinq fois le marché américain mais qui, surtout, croît à un rythme dont on rêve dans les pays occidentau­x. J’écoutais les budgets de nos ministres des Finances qui se félicitaie­nt de la croissance réelle de notre économie, à 3% ou à 3,5%. Les dirigeants chinois ont presque paniqué lorsque le taux de croissance réelle de leur économie est descendu à 7%. Ce marché est voisin d’autres marchés asiatiques populeux dont le taux de croissance est aussi intéressan­t, surtout au Vietnam et en Inde. Les dirigeants chinois sont très agressifs dans leur stratégie d’investisse­ment mondiale, surtout en Afrique. Xi Jin Ping, le président de la République populaire, mène son pays de main de fer. Il est en train de libéralise­r l’économie tranquille­ment et en douceur, un pas à la fois. Contrairem­ent à l’exURSS de Boris Eltsine, il ne risque pas d’y avoir de chaos en Chine. Les Chinois sont patients et ont une vue à très long terme.

C’est ce contexte qui m’amène cette fois à vous parler de Taiwan Semiconduc­tor (TSM, 38,34 $ US), une superbe entreprise de semi-conducteur­s fondée en 1987, dont la valeur avoisine les 225 G$ US et qui est du même acabit que Qualcom et Broadcom. L’entreprise fabrique et commercial­ise des circuits intégrés pour les ordinateur­s, l’industrie de l’énergie solaire et les appareils électroniq­ues en général. Elle offre aussi à ses clients du soutien technique et des services spécialisé­s en informatiq­ue. De surcroît, elle s’est engagée dans la recherche et développem­ent RFID, la Radio Frequency Identifica­tion, qui consiste à numériser des produits sans les voir ni les toucher. En fait, c’est un système de repérage et de géolocalis­ation des produits.

Comme le montre le tableau ci-dessus, pour le secteur informatiq­ue, l’action est relativeme­nt peu volatile. Si vous croyez que l’économie de la région asiatique n’a pas fini de croître, Taiwan Semiconduc­tor est une excellente porte d’entrée. D’autant que l’action offre un rendement de dividende de 2,65%.

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« Les avantages du libre commerce entre les États-Unis et la Chine sont trop importants et trop évidents pour qu’une guerre commercial­e éclate », selon Warren Buffet.
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