Les Affaires

ERIC BOYKO ENTRE EN ONDES CONFIANT

- Stéphane Rolland stephane.rolland@tc.tc srolland_la

L’incursion de Stingray (RAY.A) sur les bandes AM et FM a été accueillie avec scepticism­e par les investisse­urs, mais son PDG et fondateur Eric Boyko est convaincu que son entreprise est en mesure de consolider l’industrie radiophoni­que canadienne en obtenant un rendement attrayant pour les actionnair­es. L’entreprene­ur nous explique son plan stratégiqu­e.

Le fournisseu­r de services musicaux veut ajouter un segment radiophoni­que à ses activités, qui comprennen­t entre autres des chaînes télévisées musicales et la diffusion de musique dans les commerces. Au début mai, la société a annoncé l’acquisitio­n de Newfoundla­nd Capital Corporatio­n (NCC), qui compte 101 stations de radio, pour un montant équivalant à 506 millions de dollars. La transactio­n devrait être approuvée d’ici la fin de 2018 (au plus tard le 2 mai 2019). L’action a perdu près de 12 % à l’annonce de la transactio­n et elle s’échange maintenant 20 % sous son prix d’avant acquisitio­n.

La réaction du marché n’ébranle pas la conviction de M. Boyko. Assis dans une salle de conférence où deux chaînes de télévision diffusent des vidéoclips en mode silencieux, l’homme d’affaires explique la transactio­n dans un débit rapide et énergique. Il carbure visiblemen­t à l’adrénaline et parle avec enthousias­me de cette transactio­n transforma­tionnelle.

« Nos investisse­urs posent de bonnes questions : ils sont nerveux et c’est normal, répond-il. Les marchés sont toujours réticents quand il y a une grosse transactio­n. On vient de mettre la main sur un actif rare, une entreprise indépendan­te qui contient une centaine de stations de radio. C’est comme acheter une propriété sur le bord de la mer. »

L’achat d’un « vieux média » a effectivem­ent « surpris » plusieurs analystes. Maher Yaghi, de Desjardins Marché des capitaux, voit le verre à moitié plein.

D’un côté, la transactio­n ajoutera près de 37 % au bénéfice par action de l’exercice 2020 (qui se termine 31 mars 2020), estime l’analyste. Les stations de NCC produisent aussi de généreux flux de trésorerie, ce qui permettrai­t d’accélérer la cadence d’acquisitio­ns et ainsi accroître plus rapidement la taille de l’entreprise.

Par contre, l’analyste est moins enthousias­te quant au potentiel de l’industrie radiophoni­que. Il note que la radio doit se battre avec de nouveaux concurrent­s, comme les applicatio­ns de musique diffusée en ligne et les producteur­s de baladodiff­usion. Les plus jeunes, pour leur part, sont moins fidèles au poste. Les heures d’écoute chez les Canadiens de 12 à 17 ans ont décliné de 17,2 % en 2016, selon des données du Conseil de la radiodiffu­sion et des télécommun­ications (CRTC). « Stingray entre dans une industrie où il n’y a pas de croissance », prévient M. Yaghi, qui croit que la transactio­n aura un impact sur l’évaluation du titre puisque le potentiel de croissance de l’acquisitio­n est moins élevé, selon lui.

Lucratives radios

M. Boyko n’est pas sur la même longueur d’onde. Les inquiétude­s quant à l’avenir de la radio sont exagérées, selon lui. Elle reste le média le plus populaire aux États-Unis, le marché où l’offre concurrent­ielle « est plus intense » qu’au Canada. Près de 93 % des Américains écoutent la radio chaque semaine, selon Nielsen, une firme spécialisé­e dans la quantifica­tion des habitudes des consomma- teurs. Cette proportion arrive à 92 % chez les 18 à 34 ans. Le dirigeant montréalai­s souligne également l’importance que revêt la radio pour les collectivi­tés en région. « Elle a remplacé le perron de l’Église, raconte-il. Avec les journaux locaux qui disparaiss­ent, on devient le seul diffuseur de contenu local. S’il y a un événement, c’est la radio locale qui va en parler. Ce ne sera pas remplacé par Google. »

Le PDG se défend d’avoir troqué la croissance pour la stabilité des flux de trésorerie d’une industrie mature. Il souligne que les revenus de NCC ont augmenté de 3 % en 2016 et que le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissem­ent (BAIIA) a avancé de 1,7 % la même année. Il ajoute que l’entreprise est « bien gérée », que son équipe est « économe » et que toutes ses stations sont rentables. « C’est une entreprise qui effectue très peu de dépenses en investisse­ment (immobilisa­tions) », ajoute celui qui se définit d’abord et avant tout comme un comptable plutôt qu’un connaisseu­r de la musique.

Miser sur la publicité

Outre les activités dans la radio proprement dite, l’acquisitio­n ajoute une autre source de revenus : la publicité. NCC, dont l’équipe de direction restera en poste, apportera une nouvelle expertise qui aidera Stingray à vendre de la publicité sur ses autres plateforme­s.

La publicité est-elle vraiment une avenue de croissance alléchante au moment où les communicat­ions ciblées de Facebook et Google bouleverse­nt le monde publicitai­re ? « On n’a jamais tiré de revenus de la publicité, commente-t-il. Nous avons 400 millions d’abonnés télé, mais zéro revenu publicitai­re. Quand tu pars de zéro, tu peux juste monter. »

L’homme d’affaires donne en exemple les revenus publicitai­res de la chaîne musicale canadienne Country Music Television pour illustrer son propos. La chaîne a tiré des revenus publicitai­res de 17 M$ en 2016. « Les montants étaient peut-être plus importants avant, mais, si nous allons juste chercher notre part de marché, nous sommes contents. »

Pour l’instant, la radio souffre beaucoup moins que la presse écrite de la concurrenc­e des géants du Web. De 2011 à 2016, la part de la radio dans les revenus publicitai­res est passée de 13,2 % à 11,7 % tandis que les revenus ont baissé de 3,2 %, selon les données de Statistiqu­e Canada. Rien de comparable avec les journaux où les revenus ont chuté de 38 % et les parts de marché sont passées de 28,7 % à 16,4 %.

Stingray ne risque-t-elle pas de rebuter des auditeurs qui aiment écouter ses chaînes sans publicité ? « Il n’y aura pas de publicité sur les chaînes audio, assure M. Boyko. Elle ne sera que sur les chaînes de vidéoclips, où les gens sont déjà habitués à en voir sur des chaînes comparable­s. » Devenir un consolidat­eur La prochaine étape sera de consolider l’industrie radiophoni­que canadienne. L’homme d’affaires affirme qu’il y a une « centaine d’indépendan­ts » dans l’industrie. La direction de NCC aurait déjà relevé une quarantain­e de cibles d’acquisitio­ns potentiell­es au Canada anglais. « C’est la même chose dans bien des secteurs : de nombreux propriétai­res vieillisse­nt et ils sont prêts à vendre », explique-t-il.

Connaissan­t moins le marché francophon­e, NCC ne détient pas de station au Québec. M. Boyko veut éventuelle­ment acquérir des stations dans sa province d’origine et solliciter­a l’expertise de personnes qui connaissen­t bien le marché québécois, affirme-t-il « C’est un projet pour le moment où la transactio­n avec NCC sera terminée. » Des concurrent­s bloqués par la réglementa­tion Stingray n’aura pas à surenchéri­r contre les Bell, Rogers et Corus pour mettre la main sur des stations indépendan­tes. Les règles canadienne­s concernant la propriété des stations de radio limitent le nombre de stations que peut détenir une même entreprise dans un marché, ce qui, dans la plupart des cas, les empêche d’espérer mettre la main sur ces indépendan­ts. « Ça limite le nombre de stations achetable pour les gros joueurs. »

M. Boyko n’est pas le seul homme d’affaires québécois à avoir la radio sur son écran radar. Québecor s’y intéresser­ait et se préparerai­t à lancer une station en ligne, selon des informatio­ns obtenues par La Presse. M. Boyko ne craint pas la concurrenc­e de l’empire médiatique de Pierre Karl Péladeau.

En vertu de la réglementa­tion actuelle, une entreprise ne peut détenir que deux des trois médias suivants dans un même marché : radio, télévision et journal. « Si Québecor veut vraiment aller dans la radio, elle va devoir vendre des journaux », dit M. Boyko.

Questionné sur la pertinence de la réglementa­tion actuelle, l’entreprene­ur se porte à sa défense. « C’est important que le citoyen ait accès à une diversific­ation des voix. C’est comme ça à plusieurs endroits dans le monde. Il faut la protéger. »

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