Les Affaires

Jean - Paul Gagné

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ gagnejp

Rien ne doit être négligé dans la gestion des contrats publics

Jean P. Vézina croyait avoir fait le grand ménage à ce qui fut la Société immobilièr­e du Québec (SIQ) lorsqu’il en fut le PDG de 1995 à 2002. La SIQ est devenue la Société des infrastruc­tures du Québec (SQI) après sa fusion avec Infrastruc­tures Québec en 2013.

Mais non. Comme le chiendent, dont il est très difficile de se débarrasse­r, la corruption est toujours susceptibl­e de réapparaît­re.

Dans La fonction publique malmenée, un livre dans lequel il raconte sa carrière de fonctionna­ire, au cours de laquelle il a été sous-ministre et PDG de quatre sociétés d’État, M. Vézina rappelle les horreurs qu’il a découverte­s quand il est devenu le premier dirigeant de cette importante société d’État: un président sortant qui a avoué ne rien connaître en constructi­on et en immobilier, des services juridiques démembrés, un secrétaire général à qui on avait dit de rester chez lui, un vice-président qui, ayant été nommé par patronage politique, a admis son incompéten­ce pour les responsabi­lités qu’on lui avait confiées, une certaine omerta sur des événementt­s douteux et un effectif hypertroph­ié de 83 cadres, qu’il réduisit rapidement à 39.

S’ajoute à ce portrait aberrant une incompéten­ce étonnante: aucun mécanisme de contrôle des demandes d’espaces des ministères, des baux incomplets, des taxes payées en trop, des taux hypothécai­res trop élevés, des loyers trop chers payés à des propriétai­res privés, le renouvelle­ment de baux privés avant leur échéance, pour de longues périodes (jusqu’à 30 ans) et souvent de gré à gré, des projets de constructi­on mal gérés, des dépassemen­ts de coûts, etc. Il a aussi découvert que l’État avait 4168862 pieds carrés d’espace inoccupé, soit l’équivalent de 5,1 fois la tour de 42 étages de la Bourse de Montréal, ou encore de 258 étages de cet immeuble, ce qui représenta­it pour les contribuab­les un coût d’environ 78 millions de dollars par an.

Quelques années après le départ de M. Vézina, des cadres qu’il avait congédiés pour de bonnes raisons sont revenus à la SIQ et l’un d’eux en est même devenu le PDG.

Une « gang de pas bons »

C’est de cette période qu’ont émané les allégation­s de corruption révélées en novembre 2016 dans l’émission Enquête de Radio-Canada et qui impliquaie­nt un ancien haut dirigeant de la SIQ et des collecteur­s de fonds du Parti libéral. On y apprenait que la SIQ avait vendu des immeubles à des amis du parti et qu’elle en était demeurée locataire. L’enquête avait aussi révélé que des baux avaient été renouvelés bien avant leur échéance et pour des périodes anormales de 15 à 25 ans.

Certaines de ces transactio­ns, qui auraient donné lieu à des manoeuvres frauduleus­es, sont toujours l’objet d’une enquête de l’Unité permanente anticorrup­tion (UPAC). Interrogée alors à ce sujet par Radio-Canada, l’ex-présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget, avait expliqué son désintérêt pour la surveillan­ce de la SIQ en disant que celle-ci était dirigée par une « gang de pas bons », un commentair­e offensant pour les fonctionna­ires qui accompliss­ent leur travail avec diligence et compétence.

Dix ans plus tard

Ces jours derniers, la vérificatr­ice générale (VG) du Québec est revenue sur la gestion immobilièr­e étriquée de la SIQ et d’autres organismes du gouverneme­nt du Québec. Elle a notamment confirmé que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), qui occupe la totalité d’un immeuble situé au 1199, rue de Bleury, à Montréal, a renouvelé, en 2007, un bail pour 22 ans, soit sept ans avant son échéance. Cet immeuble, qui est truffé d’amiante, appartient à des intérêts étrangers que la VG n’a pu identifier. Curieux!

Outre le fait que la CNESST supporte des coûts qu’elle ne devrait pas payer, tel le loyer de 550000$ par année pour de l’espace en rénovation et pour la relocalisa­tion d’employés, on apprend que le bail a été renouvelé en contravent­ion avec les pratiques de l’organisati­on. D’une valeur de 110 M$, celui-ci a été autorisé par seulement deux membres du conseil d’administra­tion et signé par un vice-président qui occupait le poste de PDG par intérim trois semaines avant la nomination du nouveau PDG. Comment ne pas soupçonner que cette urgence à renouveler ce bail était liée à des pressions inappropri­ées ? Aujourd’hui, toutes les organisati­ons visées par les dénonciati­ons de la VG affirment qu’elles ont amélioré leur gouvernanc­e et que les mauvaises pratiques sont choses du passé.

Rien n’est moins sûr, car il y aura toujours des profiteurs qui ne pourront tourner le dos à l’attrait irrésistib­le des contrats publics et à la tentation de corrompre des fonctionna­ires vulnérable­s malgré le renforceme­nt de la réglementa­tion.

C’est ce qui a rendu nécessaire la mise sur pied de l’UPAC et c’est ce qui justifie la création de l’Autorité des marchés publics, qui pourra faire enquête sur tous les contrats accordés par l’État québécois, ses nombreuses entités et les municipali­tés.

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Il y aura toujours des profiteurs qui ne pourront résister à l’attrait des contrats publics et à la tentation de corrompre des fonctionna­ires vulnérable­s.

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