Les Affaires

Olivier Schmouker

Il est urgent de travailler pour que le capitalism­e devienne inclusif.

- Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc Chroniqueu­r | C @OSchmouker

Un nécessaire renouveau

Non, le capitalism­e n’est pas too big to fail. Aujourd’hui, trop d’indicateur­s sont au rouge pour ne pas s’inquiéter : regardez simplement l’épidémie de burn-out qui frappe les pays occidentau­x, tous ces gens qui travaillen­t si fort qu’ils en tombent malades, sans même s’enrichir. Le capitalism­e actuel n’est pas durable, il va finir par imploser si l’on ne change rien. »

Qui parle ainsi ? Lynn Forester de Rothschild, la PDG du holding E.L. Rothschild, qui a d’immenses ramificati­ons dans l’immobilier, l’agroalimen­taire et les médias. Oui, nulle autre que l’une des plus grandes fortunes de la planète, à l’occasion de la dernière Conférence de Montréal.

Et d’enfoncer le clou, même si cela faisait grincer des dents autour d’elle : « Le populisme gagne en puissance ici et là, et ce n’est pas un accident, a-t-elle poursuivi. C’est que notre système capitalist­e ne fonctionne plus pour tout le monde : prenez le fameux American Dream, il faudrait être aujourd’hui un sombre crétin pour y croire encore, ce n’est qu’un leurre ! »

La maison est-elle vraiment la proie des flammes? Lady de Rothschild n’est pas la seule à le croire…

En juin, Warren Buffett, le président du conseil de Berkshire Hathaway, et Jamie Dimon, le PDG de JP Morgan Chase, ont lancé ensemble un cri d’alarme dans The Wall Street Journal : « Il faut que les entreprise­s cotées en Bourse arrêtent de publier des prévisions trimestrie­lles, ont-ils écrit. Parce que ces dernières incitent aux profits à court terme au détriment d’une stratégie de croissance saine et durable. Parce qu’elles retiennent les entreprise­s d’investir dans la technologi­e, la R-D, ou encore le capital humain. Et parce qu’elles découragen­t nombre d’entreprise­s de s’inscrire à la Bourse, ce qui prive toute l’économie d’innovation­s et d’occasions d’affaires inestimabl­es. » Autrement dit, la course effrénée aux profits – le fondement même du capitalism­e actuel – n’est ni plus ni moins qu’une nuisance pour la société, selon deux légendes vivantes de l’investisse­ment financier. Et il est impératif que celle-ci cesse au plus vite.

Laurence Fink, le PDG de BlackRock, le plus grand gestionnai­re d’actifs du monde, à la tête d’un trésor de quelque 6000 milliards de dollars américains, abonde dans le même sens. Il a d’ailleurs adressé récemment une note à ses collègues de la haute direction qui disait : « Pour prospérer dans le temps, une entreprise ne peut plus se contenter aujourd’hui d’afficher une belle performanc­e financière, trimestre après trimestre. Il lui faut aussi apporter une contributi­on positive à l’ensemble de la société. » Un véritable coup de semonce en direction de tous ceux qui ne pensent qu’à s’en mettre plein les poches le plus vite possible !

Bref, il est urgent de travailler pour que le capitalism­e devienne inclusif. Pour que les entreprise­s ne travaillen­t plus pour les seuls intérêts des actionnair­es, mais également pour ceux des employés, des partenaire­s et des collectivi­tés. Pour qu’elles se montrent – enfin – bienveilla­ntes, en ce sens qu’elles « créent de la valeur pour l’écosystème dans lequel elles évoluent, au lieu d’en extraire, comme elles le font depuis des décennies », note l’économiste italo-américaine Mariana Mazzucato dans son tout nouveau livre The Value of Everything —making and taking in the global economy.

Bon, tous ces voeux sont bien beaux, mais comment s’assurer qu’ils ne demeurent pas pieux? Pour ce faire, trois changement­s radicaux doivent être entrepris:

1. Évaluer la performanc­e autrement

« Personne ne bougera si les chiffres ne les y poussent pas, estime Lady de Rothschild. Voilà pourquoi, avec le cabinet-conseil EY, nous sommes en train de concocter de nouvelles mesures de la performanc­e, qui considèren­t, par exemple, qu’embaucher un employé et booster sa carrière n’est plus une “dépense”, mais un “investisse­ment”. »

Le projet Embankment doit voir le jour en novembre 2018. D’ores et déjà, une vingtaine de multinatio­nales ont décidé d’embarquer, et mon petit doigt m’a confié que figurent parmi elles Axa, PepsiCo et Unilever.

2. Inspirer grâce à des ambassadeu­rs

Lady de Rothschild s’est bien entourée pour ce projet. Elle a en effet fondé un think-tank, pour l’instant très discret, chargé de déterminer les meilleurs moyens pour rendre le capitalism­e inclusif. Celui-ci compte dans ses rangs des PDG d’exception comme Lou Eccleston (TMX Group), Laurence Fink (BlackRock), Indra Nooyi (PepsiCo), Paul Polman (Unilever) ainsi que Michael Sabia (Caisse de dépôt et placement du Québec). Il va de soi que ces PDG agiront en ambassadeu­rs, une fois le plan de match établi.

3. Viser franchemen­t le bien commun

L’objectif final consistera à amener les entreprise­s à produire des biens et des services autrement, en visant franchemen­t le bien commun. « Se donner bonne conscience en soutenant une cause populaire ne suffit déjà plus. Chaque entreprise se doit de réorienter ses activités pour que ses bonnes actions soient au coeur même de ses profits, sans quoi ses affaires sont vouées à péricliter », affirme Lady de Rothschild.

De fait, un nombre croissant d’études lui donnent raison, à l’image des récents travaux de Jegoo Lee, professeur de management et d’éthique des affaires au Stonehill College d’Easton, aux États-Unis, qui montrent que « pour être véritablem­ent bienfaisan­te, une entreprise doit dégager des profits à partir de ses bonnes actions ».

Voilà. Il n’est peut-être pas encore trop tard pour bien faire. Croisons les doigts pour que les heureuses initiative­s comme celle de Lady de Rothschild se multiplien­t. Car le renouveau n’est plus une alternativ­e.

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