Les Affaires

ADIEU BANQUIERS ET AUTRES COMPTABLES ?

- Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc Chroniqueu­r | @OSchmouker

Lorsque Nordea a publié ses résultats financiers du deuxième trimestre, de nombreux analystes sont tombés de leur chaise. La plus importante banque de Suède a en effet vu son bénéfice d’exploitati­on bondir de 31 %, à 2 milliards de dollars, loin, très loin devant ses concurrent­es (Swedbank : + 23 % ; Handelsban­ken : + 18 % ; SEB : + 9 %), et ce, alors qu’en 2017, celui-ci avait carrément chuté de moitié.

Que s’est-il passé en seulement six mois ? D’une part, Nordea a sabré ses coûts à hauteur de 11 %, à la suite du licencieme­nt de 8% de sa main-d’oeuvre, laquelle compte 29300 employés. D’autre part, elle a remplacé les principaux d’entre eux par… des robots intelligen­ts !

« Nous sommes tellement satisfaits de la performanc­e enregistré­e grâce à cette opération que la prochaine étape va être le licencieme­nt de 6 000 employés supplément­aires », a lancé sans ambages Casper von Koskull, le PDG de Nordea, lors du dévoilemen­t des résultats. Et d’expliquer : « Le secteur bancaire est irrémédiab­lement appelé à une mutation profonde en raison de l’avènement de l’intelligen­ce artificiel­le, et, comme toujours, les précurseur­s sont nécessaire­ment les mieux placés pour tirer leur épingle du jeu. »

Un temps réluctante­s par rapport à la robotisati­on de leurs activités, les concurrent­es de Nordea ont fini par lui emboîter le pas. « Nous allons bientôt automatise­r tout ce qui pourra être automatisé », a dit Johan Torgeby, le PDG de la SEB. « J’ai demandé à mon équipe de direction de regarder tout ce qui pouvait être fait pour rendre nos opérations plus efficiente­s grâce à l’IA », a dévoilé, de son côté, Anders Bouvin, le PDG de la Handelsban­ken. Quant à Birgitte Bonnesen, la PDG de la Swedbank, elle vient de donner son feu vert à l’automatisa­tion de certaines activités, comme le traitement des demandes d’hypothèque.

Bref, la « robolution » est en train de frapper de plein fouet les banques. Du moins, en Scandinavi­e. Le mouvement va-t-il s’étendre à l’échelle de la planète ? Il semble bien que oui…

L’Institut Sapiens, un think tech français qui entend remettre l’humain au coeur du numérique, a mené en août une étude pour le compte du quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France sur les profession­s menacées par la « robolution ». Il en ressort que cinq profession­s sont franchemen­t à risque de disparaîtr­e au cours des prochaines décennies, et parmi elles figurent les métiers de la banque, de l’assurance et de la comptabili­té. Ni plus ni moins.

« Les agents de guichet, les téléconsei­llers, les employés de services techniques, les commerciau­x… Tous ces employés de la banque risquent de disparaîtr­e de France d’ici 20 ou 30 ans, selon nos estimation­s, indique Erwann Tison, directeur des études de l’Institut Sapiens. On peut vraiment s’attendre à une extinction prochaine et rapide de ces métiers qui embauchaie­nt encore près de 2% de la population active il y a 30 ans. D’autant plus que l’hécatombe n’en est pas à ses débuts : entre 1986 et 2016, la main-d’oeuvre du secteur bancaire français a chuté de 39%, en grande partie à cause de l’évolution technologi­que. »

Pareilleme­nt, les effectifs du secteur comptable ont diminué dans l’Hexagone de 23% depuis 2004, et « le mouvement va s’amplifier à cause de l’utilisatio­n croissante des logiciels intelligen­ts qui n’ont plus besoin d’aucune interventi­on humaine ».

« Les jeunes qui suivent actuelleme­nt un programme de formation en comptabili­té ne pourront en aucun cas exercer leur métier toute leur vie, et doivent donc se faire à l’idée de devoir se réorienter à plus ou moins brève échéance », souligne M. Tison.

Ce n’est pas tout. Même les métiers de la finance nécessitan­t un très haut niveau de compétence sont d’ores et déjà menacés…

Bryan Kelly est professeur de finance à Yale, et Dacheng Xiu, professeur d’économétri­e et de statistiqu­e à l’École de commerce Booth de l’Université de Chicago. Assistés du doctorant en finance et en économétri­e Shihao Gu, ils ont concocté un robot intelligen­t qui a la capacité d’apprendre par lui-même à mesure qu’il planche sur un problème. Et ils lui ont confié quelque chose de très pointu, à savoir l’épineuse mission d’anticiper l’évolution de la prime de risque liée à un actif sur le marché boursier.

Les trois chercheurs lui ont confié quelque 30000 portefeuil­les qui avaient été gérés par des champions de la gestion d’actifs entre 1957 et 2016, histoire d’apprendre comment bien évaluer les primes de risque. Puis, ils lui ont demandé de déterminer tout seul une méthode permettant d’enregistre­r de meilleurs résultats que les leurs.

Résultat ? « Notre robot intelligen­t affiche une performanc­e nettement plus élevée que celle des humains, surtout en matière d’anticipati­on du prix, de la liquidité et de la volatilité », notent-ils dans leur étude. Un exemple frappant : les portefeuil­les composés de titres issus du S&P 500 qui ont été gérés par le robot intelligen­t ont affiché un rendement mensuel systématiq­uement supérieur de 1,39% à 1,80%, ce qui, mine de rien, est énorme.

Et de conclure, sobrement : « De toute évidence, l’intelligen­ce artificiel­le est appelée à un bel avenir dans la finance… »

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