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EST-CE QU’APPLE ENTRERA DANS L’AUTOMOBILE ?

- François Pouliot françois.pouliot@tc.tc Chroniqueu­r | f_pouliot

Le prochain axe de croissance d’Apple sera-t-il l’automobile? La question nous est venue à l’esprit, il y a quelques jours, alors que tous les regards étaient tournés vers les nouveaux appareils iPhone.

Notons au passage que le titre est particuliè­rement suivi dans l’îlot de travail, alors qu’un collègue, actionnair­e de longue date à la foi inébranlab­le, doit quotidienn­ement repousser les attaques de loustics.

Apple dans l’automobile, projet insensé?

Ce n’est cas pas ce que croit Robert Cihra, analyste chez Guggenheim. Il est convaincu que la société est même actuelleme­nt à travailler sur un projet secret.

Pourquoi? Essentiell­ement parce que l’innovation est l’ADN de l’entreprise, et qu’elle a besoin de gros marchés supplément­aires.

Pourquoi Apple pourrait aller dans l’auto

Le raisonneme­nt de l’analyste va en cascades. Le iPhone risque maintenant de plafonner. Le produit compte pour 60 % des revenus d’Apple. Au chapitre des unités vendues, il n’accapare qu’environ 14 % du marché du téléphone intelligen­t, mais sur le plan des revenus, il accapare 37 %. La difficulté est que les industries des téléphones intelligen­ts et des ordinateur­s ont atteint un plateau. Même si la part de marché d’Apple en unités semble faible, son modèle d’entreprise cible le haut de gamme. Ce marché est donc pas mal à maturité et la croissance y sera plus difficile, même avec l’arrivée de nouveaux téléphones. Il faut un gros marché pour venir en relais et permettre de la croissance. L’Apple Watch est un bon contre-exemple de ce qu’il faut entendre par gros marché. Depuis son lancement, en 2015, la montre est la numéro un mondiale sur le plan des revenus, devant Rolex. IDC estimait au mois de décembre 2017 que les expédition­s d’Apple Watch avaient surpassé les expédition­s de l’ensemble des montres des fabricants suisses. Malgré ce succès, les revenus de la montre Apple représente­nt moins de 4 % des revenus totaux de l’entreprise. Bien qu’important, comparativ­ement à la taille d’Apple, ce marché est trop petit. Il faut plus gros. Il y a l’avenue des services et des médias, mais… On parle ici de différente­s avenues, avec Apple Music (de la musique, des films et des séries en continu pour 9,99 $ par mois), App Store (des jeux vidéo, des applicatio­ns, etc.), iCloud (de l’espace de stockage payant) et Apple Pay (un mode de paiement par contact dans les commerces). Les services connaissen­t une croissance importante et devraient voir leurs revenus progresser de plus de 20 % encore cette année. Mais ces services, juge l’analyste, sont large- ment dépendants de la base d’utilisateu­rs d’iPhone et d’ordinateur­s Apple et, comme on l’a vu, celle-ci est appelée à plafonner. L’automobile est un important marché et Apple a les attributs nécessaire­s pour s’y attaquer. Il s’agit d’un marché de plus de 2 trillions de dollars américains, un marché capable de faire bouger l’aiguille du rendement. À lui seul, le marché haut de gamme, la cible habituelle d’Apple, est de plus de 400 milliards de dollars américains. M. Cihra souligne que l’entreprise a enregistré des brevets pour des contrôles de véhicules autonomes, des systèmes de navigation, des systèmes de détection, de caméra et de vision automobile. Elle a aussi enregistré des brevets pour des contrôles de températur­e intérieure et des structures (comme un toit d’auto).

L’analyste ajoute que les automobile­s sont des produits complexes et qu’Apple est une société de produits. Ils sont aussi souvent synonymes de marques, d’image et de mode de vie, comme les produits Apple. En mai 2016, l’entreprise a investi 1 G$ US dans le Uber chinois Didi Chuxing, qui est réputée vouloir donner dans la voiture autonome. Elle a aussi récemment fait équipe avec Volkswagen pour transforme­r des fourgonnet­tes qui font la navette d’employés d’Apple en véhicules autonomes. Autant d’éléments qui accréditen­t et militent pour une éventuelle entrée dans l’automobile.

Faut-il entrer ou sortir d’Apple?

Quand même, miser sur l’automobile n’est pas un pari gagné, diront les sceptiques. Il suffit de voir les ennuis rencontrés par Tesla et la force du débat qui divise les analystes quant à ses perspectiv­es. Si l’iPhone est à maturité et que l’automobile se met à générer des pertes, ne vaudrait-il pas mieux sortir maintenant du titre? Peut-être. Mais voici quelques observatio­ns avant de placer l’ordre de vente.

Apple n’est pas Tesla. Contrairem­ent à cette dernière, elle peut compter sur d’importants flux de trésorerie qui font en sorte qu’elle n’aurait vraisembla­blement pas à aller au marché pour obtenir de nouveaux capitaux.

Il est probable que la base d’iPhones soit à maturité. Il est toutefois improbable que la croissance des revenus des services le soit. On l’a vu, celle-ci va toujours en augmentant de 20 % par année. Et RBC Marchés des Capitaux croit qu’il en sera ainsi encore pour un bon bout. Elle voit l’intelligen­ce artificiel­le ajouter pas mal de revenus à App Store, plus d’utilisateu­rs augmenter leur espace de stockage dans iCloud, plus d’utilisateu­rs se servir de leur iPhone comme moyen de paiement (et celui-ci potentiell­ement devenir un outil de conseil dans la gestion de portefeuil­le), etc.

La maison estime qu’en 2025, les services pourraient générer 30 % des ventes de l’entreprise (comparativ­ement à 14 % aujourd’hui), et plus de 50 % du bénéfice, grâce aux fortes marges dégagées.

Un pareil scénario ne serait probableme­nt pas sans effet sur les multiples.

À 16,6 fois le bénéfice de 2019 (septembre) et 15 fois le bénéfice de 2020, Apple se négocie actuelleme­nt à des multiples de marché. La médiane des sociétés de services (Amazon, Netflix, Google, Facebook, Microsoft, IBM et coll.) est pendant ce temps à 27 fois le bénéfice de 2018.

Si le portrait anticipé par RBC se présente, il est probable que les multiples actuelleme­nt appliqués à Apple augmentero­nt considérab­lement. Et sa valeur aussi.

Évidemment, il n’y a pas de garantie contre les cycles économique­s, et s’il y a une entrée déficitair­e dans l’automobile, on ne sait trop si le marché décidera d’isoler les pertes des premières années et de focaliser sur un bénéfice ajusté, ou pas. Il y a beaucoup de « si ».

C’est pour cela que le collègue de l’îlot risque de se faire taquiner pendant encore plusieurs années.

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