Les Affaires

« 8 000 internaute­s ont choisi le prix et les attributs de notre compote de pommes »

– Nicolas Chabanne,

- Nicolas Chabanne, fondateur, C’est qui le patron ?

Personnali­té internatio­nale —

DIANE BÉRARD – La création de la marque « C’est qui le patron? » repose sur une question toute simple. Laquelle? NICOLAS CHABANNE

– Nous étions au plus fort de la crise agricole française, en 2016. Crise climatique, crise des marchés, désespoir et suicide des agriculteu­rs... Le ministère de l’Agricultur­e avait invité notre petit groupe de consommate­urs à l’origine de la marque « Les gueules cassées » – créée pour revalorise­r les légumes moches – pour échanger. En cours de discussion, le fonctionna­ire nous a demandé « Auriez une idée pour dénouer la crise du lait ? ». J’ai répliqué par une question : « Combien manque-t-il sur un litre de lait afin que l’éleveur puisse gagner sa vie décemment? » C’était simple, comme question. Et la réponse fut étonnante : 8 centimes!

D.B. – Parlons du premier produit de la gamme « C’est qui le patron? », la brique de lait lancée en octobre 2016... N.C.

– Nous sommes partis de ces huit centimes, considéran­t que chaque Français consomme en moyenne 50 litres de lait par année. On parle de 4 euros par année de plus à débourser pour offrir aux agriculteu­rs une vie décente. De là, nous avons décidé d’élargir notre réflexion. Nous avons établi un questionna­ire dynamique qui ajoute d’autres critères : l’absence d’OGM, la possibilit­é que l’éleveur prenne des congés, la possibilit­é que les vaches soient dans un pâturage plutôt qu’en étable, etc. Pour chaque critère coché, le consommate­ur voit le prix final bouger. Ce questionna­ire, et tous ceux qui ont suivi pour nos autres produits ont été créés par Laurent Pasquier, cofondateu­r de la marque. Il visite tous les acteurs : producteur­s, distribute­urs, etc. Il s’assure ainsi de recueillir des informatio­ns objectives sur les coûts. On propose donc au consommate­ur une foule d’améliorati­ons possibles : équité, qualité, transparen­ce... Il voit combien ça vaut et décide s’il est prêt à payer.

D.B. – Vous visiez 5 millions de litres de lait, vous en avez vendu 35 millions. Doit-on comprendre que le consommate­ur est disposé à payer plus cher et que les entreprise­s laissent de l’argent sur la table? N.C.

– Non, ce n’est pas ce qu’il faut comprendre. Il faut plutôt conclure que le consommate­ur est disposé à payer davantage lorsqu’on lui démontre à quoi sert cet argent et qu’il accorde une valeur à ces attributs. Ce sont là deux attentes importante­s que la structure de notre marque permet de combler. Le juste prix du lait, ce sont 7850 internaute­s qui l’ont décidé à partir du cahier des charges qu’on leur a fourni. Les consommate­urs ont une capacité d’arbitrage, pour peu qu’on leur fournisse les renseignem­ents nécessaire­s.

D.B. – Parlez-nous de la structure de votre organisati­on. N.C.

– Nous sommes composés d’une société par actions simplifiée (SAS), d’une coopérativ­e, composée de salariés, et de sociétaire­s. La société par actions mène les études de marché, crée les questionna­ires, développe les contrats, recherche et accompagne les fabricants partenaire­s et assure le lien entre les acteurs. La coopérativ­e choisit les produits développés, contrôle et garantit que ceux-ci sont conformes à leurs attentes, assure le lien avec les consommate­urs et devient la porte-parole par des actions de communicat­ions ciblées. Les sociétaire­s, quant à eux, souscriven­t une cotisation unique de 1 euro, afin de pouvoir voter pour les produits qu’ils souhaitent développer et les critères qu’ils veulent leur assortir.

D.B. – Et le secteur, comment vous a-t-il accueilli? N.C.

– Je dirais avec un mélange d’étonnement et d’admiration. Notre démarche combine la spontanéit­é et le bon sens. Ce n’est pas un modèle d’entreprise courant.

D.B. – Prenons un exemple récent, votre compote de pommes. Pour quels critères les consommate­urs ont-ils voté? N.C.

– Ils ont voté pour des fruits d’origine française, une recette qui n’inclue que des pommes nature, sans sucre ajouté, qui est fabriquée dans une usine française selon des principes écorespons­ables et est vendue par paquets de quatre sans suremballa­ge et à un prix qui permet au

producteur de profiter de temps libre. Plus de 8000 consommate­urs se sont prononcés.

D.B. – Pourquoi un fabricant manufactur­erait-il vos produits plutôt que de se consacrer à sa marque? N.C.

– Tout simplement parce que les membres de notre coopérativ­e connaissen­t nos fabricants partenaire­s. Ils les visitent et voient ce qu’il y a derrière le rideau. Ils observent leurs efforts pour respecter le cahier des charges et les attentes des clients. De là naît une confiance qui rejaillit forcément sur les autres marques du fabricant. C’est ce que nous a dit St-Mamet, le fabricant de notre compote de pommes.

D.B. – Pourquoi la multinatio­nale Bel, qui fabrique, entre autres, les marques Kiri, la Vache qui rit et Babybel, a-t-elle communiqué avec vous ? N.C.

– Bel a augmenté la rémunérati­on de ses fournisseu­rs sans augmenter ses prix. Elle a aussi retiré les OGM de ses produits. Mais cela n’a eu d’impact ni auprès des consommate­urs ni des médias. La direction a communiqué avec nous parce qu’elle a réalisé qu’aujourd’hui, il faut un tiers pour reconnaîtr­e les efforts de l’entreprise. Les milliers d’heures d’implicatio­n des membres de notre coop chez nos fabricants ont une valeur inestimabl­e.

D.B. – Vous discutez avec Emmanuel Faber, le PDG de Danone. De quoi parlez-vous? N.C.

– Danone a évalué la possibilit­é d’utiliser notre lait pour ses yaourts. Cela ne s’est pas concrétisé pour l’instant. Présenteme­nt, nous discutons d’une collaborat­ion sur la méthode. Danone veut employer notre façon de cocréer les produits avec les consommate­urs. En fait, 50 marques et deux distribute­urs, dont Carrefour, souhaitent adopter notre méthode. Je dois toutefois préciser que ce sont les salariés de la coop qui ont décidé que nos questionna­ires pourraient être utilisés par d’autres marques que « C’est qui le patron? »

D.B. – En deux ans, « C’est qui le patron? » est devenue une gamme de 18 produits. Combien de temps faut-il pour en développer un en suivant votre méthode? N.C.

– Il faut compter trois mois de préparatio­n pour le questionna­ire, puis deux de tests. On peut ensuite lancer la fabricatio­n.

D.B. – Pourquoi une entreprise se ferait-elle dicter le prix de ses produits par les consommate­urs? N.C.

– Parce que cela enlève la contrainte et la souffrance de la négociatio­n de toute la chaîne d’approvisio­nnement. Vous savez, négocier, ce n’est pas agréable. Notre modèle garantit que le consommate­ur achètera le produit puisqu’on a exaucé ses souhaits. Nous nous définisson­s comme une marque utile.

D.B. – D’autres pays veulent répliquer votre formule... N.C.

– En effet, deux entreprene­ures américaine­s nous ont approchés pour lancer la marque « It’s my choice », qui s’appuiera sur notre philosophi­e, notre processus et notre logiciel.

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