D’IMPORTANTS DÉFIS, MAIS DES ATTENTES MODESTES
Cinq grandes marques sous la loupe des analystes Kraft Heinz
La liste des défis que les grandes marques doivent relever ne cesse de s’allonger.
Il suffit de penser aux marques privées qu’affectionnent de plus en plus les épiciers ou encore aux concessions de prix exigées par les détaillants influents tels que Walmart et Costco.
Et que dire de la hausse des coûts des ingrédients et du transport, ou encore du virage santé des consommateurs qui aiment de plus en plus acheter des marques locales, biologiques ou nichées.
La vente directe au consommateur, sur Amazon, par exemple, s’ajoutera aux enjeux pour ces grandes sociétés, plus habituées à négocier de l’espace-tablette avec les détaillants physiques qui servent aussi de vitrines pour les produits.
Les perturbations ne sont pas nouvelles et se reflètent dans la performance en Bourse de ces titres autrefois iconiques. Ils ont déjà perdu leur plus-value d’antan par rapport au S&P 500.
Le déclin du secteur de la consommation de base, depuis la fin de 2016, par rapport au S&P500, a ramené leur évaluation à 17,8 fois les bénéfices prévus dans un an, à peine plus que le multiple de 17,1 fois du S&P 500.
En mai et en juin, le multiple du secteur est tombé sous celui du S&P 500 pour la première fois depuis 2010, selon Yardeni Research.
Le multiple de 17,8 fois reste néanmoins plus de deux fois le taux de croissance prévu de 8,2% des bénéfices sur trois à cinq ans.
Il ne faut pas nécessairement placer ces sociétés sur la liste des placements à éviter, estiment cependant trois experts avec qui nous avons échangé. Comme dans toute industrie perturbée par les changements structurels, certaines réussissent mieux que d’autres à tirer leur épingle du jeu, affirme Christian Andreach, coresponsable des actions mondiales chez Manning & Napier Advisors. « Certaines sont meilleures que les autres à protéger leur avantage concurrentiel », dit-il, en ajoutant que ce sont celles-ci qu’il faut choisir.
Erin Lash, de Morningstar, croit de son côté que les grandes multinationales ont encore de la valeur si ce n’est qu’en raison de leur énorme réseau de distribution, souvent bien établi dans une centaine de pays.
« Elles ont certainement les ressources physiques et financières pour s’acheter ou reproduire une nouvelle tendance de consommation », précise-t-elle.
Des attributs attirants
Les grandes marques étaient des coqueluches sans égales à la fin des années 1990, avec la riche évaluation qui venait avec ce statut, se rappelle Stephen Boland, analyste chez Odlum Brown, une firme réputée pour sa démarche à long terme. Le dernier moment le plus opportun pour les acheter était sans doute en 2010, lorsque le huard était à parité avec le dollar américain et que leur ratio cours/ bénéfice était de l’ordre de 15 fois, dit-il.
Aujourd’hui, ces multinationales sont moins chèrement évaluées qu’elles ne l’ont jamais été et offrent à ses yeux encore des attributs attirants. Il cite leur vaste infrastructure de distribution, de riches budgets de marketing, la capacité financière d’acheter les nouveaux produits ou marques montantes, ainsi qu’une présence précieuse dans les marchés émergents où les marques américaines ont encore du cachet.
« Nous nous concentrons sur celles qui s’adaptent le mieux à la conjoncture plus exigeante qu’avant », conclut-il.
Il est clair que les entreprises du secteur redoublent d’efforts pour stimuler leurs ventes et devenir plus efficaces, ce qui pèse sur leurs résultats. La hausse des frais de transport, des prix des ingrédients et de la résine, ainsi que l’appréciation du billet vert sont autant de vents contraires à surmonter à court terme.
Nous avons demandé à chacun de nos trois experts de nous donner leur point de vue spécifique sur deux titres de leur univers de couverture (voir textes suivants).
Chez Morningstar, les analystes adoptent une approche très structurée pour évaluer les sociétés. Elle comprend l’évaluation de l’avantage concurrentiel des entreprises à long terme, la juste valeur à laquelle devrait se négocier le titre et la marge de sécurité requise avant d’investir.
« L’avantage concurrentiel durable ( economic moat) est structurel et englobe une foule de facteurs tangibles et intangibles. Plus le score est élevé, plus nous avons confiance dans la capacité d’une entreprise à soutenir des profits supérieurs à son coût en capital », explique en entrevue Erin Lash, directrice de l’analyse du secteur de la consommation de base.
En août, 2 des 11 sociétés dont elle assure le suivi ont changé de catégorie.
Ainsi, Kraft Heinz, qui affichait déjà un avantage concurrentiel modeste, l’a carrément perdu, tandis que Kellogg a regagné un avantage concurrentiel élevé.
Le verdict sévère pour Kraft Heinz se résume ainsi. Trois ans après la fusion, les réductions de coûts devraient atteindre 2 milliards de dollars d’ici 2019 et les marges devraient se stabiliser à 26%, mais les ventes internes baissent à un rythme moyen de 1% par année depuis 2015.
« Essentiellement, la société n’investit pas assez ou pas efficacement dans ses marques, soit à peine de 2 % à 5% de ses revenus. Cela érode son pouvoir d’imposer ses prix et lui fait même perdre des clients tels que Costco pour les arachides Planters en 2017 », indique l’analyste.
La société, qui peut compter sur le capital patient du légendaire Warren Buffett et du fonds 3G Capital, perd des parts de marché dans ses quatre segments d’activité: le fromage, les noix, les viandes froides et le café.
Ses prix, ajustés pour l’inflation et l’assortiment, ont baissé de 2% par année en moyenne depuis quatre ans, l’une des pires performances de l’industrie. Kraft Heinz promet que ses nouvelles économies serviront à tonifier ses marques, mais Morningstar doute que la société soit réellement prête à sacrifier sa profitabilité pour raviver ses ventes.
Mme Lash estime même qu’une bonne part des coupes iront colmater l’augmentation des frais de transport et des cours des noix et des produits laitiers. « La société a choisi de prioriser ses flux de trésorerie à court terme au lieu de protéger sa position concurrentielle. La répartition inadéquate de son capital lui fait perdre son avantage sur la concurrence », tranche-t-elle.
Étant donné le modeste rendement sur le capital investi de 5%, elle réduit de 66 $ US à 62$ US la valeur juste qu’elle accorde au titre.
Des fonds à réinvestir
À l’inverse, Kellogg a repris du galon parce que le producteur de céréales et de grignotines entend bien approfondir sa relation d’affaires avec les détaillants qui veulent des partenaires forts pour attirer des clients en magasins. La partie n’est pas gagnée, comme en témoigne le recul de ses revenus en 2016 et en 2017, mais la société redouble d’efforts pour s’ajuster aux changements des habitudes des consommateurs, qui délaissent de plus en plus le sucre.
Sa décision de livrer ses produits aux entrepôts des épiciers au lieu de directement aux magasins est une stratégie prudente pour libérer des fonds qu’elle peut réinvestir dans la notoriété de ses marques, le lancement de nouveaux produits et de nouveaux emballages.
Les économies de 600 M$ US à 900 M$ US de ce changement représentent 6% des coûts des produits vendus.
Puisque Kellogg ne déroge pas de son habitude d’investir 7% de ses revenus dans ses marques, les sommes libérées s’ajouteront à la cagnotte, prévoit Mme Lash.
« Ces investissements l’aideront à préserver son premier rang dans les céréales et même à gagner des parts de marché », croit-elle.
Kellogg a ajouté les populaires barres de protéines RXBar à son portefeuille de marques en acquérant son producteur de Chicago à fort prix, en novembre 2017.
La société ajoute des tartinades aux noix et des barres pour enfants à cette marque, qui fera aussi son entrée en Europe sous peu.
L’analyste mise sur le rétablissement d’une hausse annuelle de 3% de ses ventes et sur une amélioration de 4% à 19% de ses marges d’exploitation, d’ici 2027.
Plus confiante qu’avant que Kellogg pourra prolonger son rendement du capital investi de 14% pour encore longtemps, Mme Lash augmente de 74 à 81$ US la valeur juste qu’elle attribue au titre.
Au cours actuel, le titre est jugé attrayant et procure un rendement de dividende de 3%.