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LIBRE-ÉCHANGE : NE RIEN PRÉCIPITER

- Pouvoir et contre-pouvoir Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ gagnejp

Être votre voisin, c’est comme dormir avec un éléphant. Bien que cette bête soit douce et placide, on subit chacun de ses mouvements et de ses grognement­s », a déclaré Pierre Elliott Trudeau devant un auditoire américain en 1969.

Presque 50 ans plus tard, la bête qui perturbe le sommeil de son fils Justin a perdu sa bienveilla­nce. L’éléphant est sous l’emprise d’un névrosé qui bouscule, menace, écrase et terrorise quiconque se trouve sur son chemin.

C’est comme s’il ne reconnaiss­ait plus son voisin, son plus important partenaire commercial et, jadis, son meilleur ami. Pire, l’occupant de la MaisonBlan­che a pris en grippe le Canada, ayant été insulté, paraît-il, par Justin Trudeau lors du G7 de La Malbaie, en juin. « Ça va coûter très cher aux Canadiens », a affirmé Donald Trump en débar- quant de l’Air Force One à Singapour, où il se préparait à rencontrer son nouvel ami, Kim Jong-un, le despote de la Corée du Nord.

Donald Trump dénonce depuis plusieurs années l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), qu’il qualifie de « pire accord commercial » signé par les États-Unis. Cet accord aurait enrichi les Canadiens aux dépens des États-Unis qui, selon lui, subissent un lourd déficit commercial avec le Canada. C’est faux.

Quoiqu’il arrive de la renégociat­ion de l’ALÉNA (elle était active au moment d’écrire ces lignes, mais ne semblait pas près d’une entente), le Canada risque d’en sortir amoché s’il cède aux pressions actuelles qui s’exercent sur lui.

En effet, Trump ne reconnaît pas la notion d’avantage mutuel, contrairem­ent au républicai­n Ronald Reagan, qui a signé l’Accord de libre-échange canado-américain de 1988, et au démocrate Bill Clinton, qui a fait de même lorsque le Mexique a joint le Canada et les États-Unis en 1994.

Au contraire, Trump veut gagner sans partage, ce qui signifie imposer une défaite à son adversaire.

Le Canada fait face au pays le plus puissant du monde, avec qui il réalise les plus importants flux commerciau­x bilatéraux du monde. Malgré les humeurs du président et les difficulté­s d’arriver à une entente, il n’y a pas de raisons objectives pour ne pas renouveler cet accord. Heureuseme­nt, ce détraqué ne détient pas toutes les rênes du pouvoir. Certes, il a annoncé qu’il voulait une entente d’ici le 1er octobre. En réalité, c’est un prétexte pour permettre au président sortant du Mexique, Enrique Nieto, de signer un accord tripartite au terme du délai de 60 jours avant l’accession à la présidence de son successeur, Andrés Manuel Lopez Obrador. Un délai irréaliste, alors qu’il faut éviter la précipitat­ion.

Le Canada ne doit pas se préoccuper de ce calendrier, d’autant plus que le Mexique l’a laissé tomber quand Washington lui a proposé de négocier une entente bilatérale. C’est cet accord que Trump demande à Ottawa de signer, à défaut de quoi il menace de révoquer l’ALÉNA. C’est ridicule. N’est-il pas loufoque que les deux pays aient négocié dans leur entente des clauses concernant l’industrie canadienne de l’automobile ?

Autre raison pour ne pas céder à la pression : il faut un délai de six mois avant que le Congrès ne puisse révoquer cet accord. Or, les élections américaine­s de mi-mandat, le 6 novembre, pour le renouvelle­ment des 435 sièges de la Chambre des représenta­nts et du tiers des 100 sièges du Sénat, pourraient bien changer la donne au Congrès. Les républicai­ns contrôlent actuelleme­nt les deux chambres. Selon plusieurs sondages, de nombreux élus républicai­ns sont menacés de perdre leur siège.

Dans six semaines, une majorité démocrate dans l’une des chambres pourra avoir modifié le partage du pouvoir à Washington et affaibli l’influence de Trump. De plus, le Canada a de nombreux amis au Congrès et les milieux d’affaires américains veulent une entente tripartite.

Plusieurs enjeux ne sont toujours pas réglés. C’est le cas du mécanisme d’arbitrage des différents commerciau­x pouvant survenir dans la gestion de l’accord. Washington veut l’abolir, mais Ottawa a raison d’y tenir à cause des tarifs douaniers abusifs que les États-Unis imposent à répétition sur des produits canadiens.

Dans le dossier du lait, Trump veut que les produits américains bénéficien­t d’un meilleur accès au marché canadien, alors que Trudeau promet de protéger la gestion de l’offre, qui fait l’objet d’un très fort lobby de l’industrie laitière et des partis politiques au Québec. Un accord défavorabl­e qui serait conclu avant le 1er octobre pourrait avoir un impact majeur sur l’issue de la campagne électorale au Québec et sur les relations Ottawa-Québec.

Enfin, puisque notre économie et notre population ne représente­nt que 10% de celles des États-Unis, il importe de protéger nos industries culturelle­s, ce qui ne plaît pas aux États-Unis.

Il ne faut rien précipiter. Il y a trop d’avantages à un accord commercial tripartite pour que l’on ne puisse pas y parvenir.

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