LA POTENTIEL DES NOUVEAUX MATÉRIAUX
L’industrie québécoise des matériaux avancés apparaît comme plurisectorielle, essentiellement exportatrice et en croissance soutenue, d’après une étude récente. Mais les défis restent de taille pour beaucoup de jeunes entreprises, notamment en ce qui concerne le financement de leurs lourds investissements.
« Ceux qui contrôlent les matériaux contrôlent la technologie... », a dit un jour un dirigeant de Panasonic. « Et ce qui permet à une civilisation technologique de progresser, ce sont les matériaux aux propriétés avancés », complète Gilles L’Espérance, professeur à Polytechnique de Montréal.
L’histoire témoigne en effet, à de multiples reprises, de l’importance des matériaux dans le développement économique, de l’âge du bronze, puis du fer en passant par celui de l’acier lors de la deuxième révolution industrielle.
En soi, les matériaux avancés, définis comme de nouveaux matériaux ou des matériaux aux performances physiques ou fonctionnelles (résistance, conductivité, imperméabilité…) considérablement améliorés par rapport à celles des matériaux convention- nels, existent depuis la préhistoire. « Mais ces dernières années, avec les nanotechnologies notamment, il y a eu un renouveau dans la manière de les développer », constate Julie Beaudoin, consultante en stratégie d’affaires chez Deloitte.
« On a désormais la capacité de manipuler la matière à l’échelle du nanomètre [N.D.L.R. : Un milliard de fois plus petites qu’un mètre], ce qui nous permet d’obtenir de nouvelles propriétés en fonction de ce qu’on a besoin », dit Mohamed Chaker, directeur du laboratoire de micro et nanofabrication de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). En 2013, McKinsey considérait les matériaux avancés comme une des dix technologies qui engendreront le plus de transformations économiques d’ici 2025. Il y a quelques mois, ils faisaient d’ailleurs partie des dix secteurs stratégiques et émergents dans lesquels la Chine prévoit investir 300 milliards de yuans (57 milliards de dollars canadiens) à l’horizon 2025.
Plus globalement, le cabinet d’études Transparency Market Research prévoit que le marché des matériaux avancés atteindra plus de 100 G $ US d’ici 2024.
de recherche de pointe. Puis, en 2001, de NanoQuébec, un réseau qui visait à renforcer les capacités de recherche de l’infrastructure québécoise en nanotechnologie.
Stimuler l’investissement et la recherche
Ce modèle de collaboration public-privé apporte aujourd’hui une source de revenus non négligeable pour les universités. « La structure de financement est conçue de telle manière que si je veux de l’argent pour financer ma recherche, je n’ai pas d’autres choix que de collaborer avec les entreprises », dit Jean-François Morin, directeur du Centre de recherche sur les matériaux avancés (CERMA) de l’Université Laval. Créant ainsi une concurrence entre universités? « Il s’agit plutôt de coopétition, nuance M. Chaker, il est rare de posséder toute l’expertise demandée par l’industriel, nos infrastructures se complètent bien souvent ». Les industries paient en effet pour ces services… et sont aidées par des subsides publics quand il s’agit de projets collaboratifs à plus long terme, par PRIMA Québec, le consortium de recherche industrielle financé en partie par le ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation (MESI).
« Nous sommes le catalyseur de la recherche collaborative dans le secteur, dit Marie-Pierre Ippersiel, PDG de PRIMA Québec.
Cette formule, propre au Québec, stimule à la fois la recherche académique et l’investissement des entreprises. » Selon la maturité technologique du projet, pour un dollar investi par l’entreprise, le financement public peut aller jusqu’à quatre dollars (deux par PRIMA Québec et deux par le gouvernement fédéral par l’intermédiaire du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada [CRSNG]). Au cours des trois dernières années, 52 projets d’innovation collaborative, de 46 M$ au total, ont ainsi été financés par PRIMA Québec.
« Les laboratoires universitaires sont comme des incubateurs à très haut risque », dit Jens Kroeger, directeur de la technologie chez Raymor, un producteur de nanotubes de carbone. « Et ce sont les gouvernements qui assument ce risque, personne d’autre ne pourrait le faire sinon », ajoute Philippe Bébin, titulaire de la chaire de recherche industrielle du CRSNG sur les matériaux avancés.
Si la majorité salue le modèle québécois en la matière, certains universitaires regrettent toutefois le manque de financement accordé à la recherche plus fondamentale, dont les résultats se produisent à plus long terme. Et la plupart ont souffert des compressions de budgets servant à assurer la gestion au quotidien des infrastructures, dû à l’austérité.
«On a essayé de sauver les meubles, mais il a fallu réviser certains programmes», déplore Martin Doyon, Directeur des maillages et partenariats industriels au Ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation (MÉSI)
Le dialogue de deux mondes différents
Dans la pratique, ces collaborations sont un défi en soi. « La notion temporelle des industriels n’est pas la même que celle des chercheurs. Ces derniers aiment la recherche tandis que les premiers se penchent davantage sur le développement », indique M. Babin.
« Nous sommes jugés sur notre travail académique de publication, mais financés en fonction de notre travail industriel. Il y a donc un équilibre à trouver », avance pour sa part M. Chaker. « Sachant qu’il faut aussi que je m’assure que mes étudiants sont correctement formés », complète M. Morin.
Sans oublier l’épineuse question du partage de la propriété intellectuelle. « La négociation se fait au cas par cas, rapporte M. L’Espérance, de Polytechnique. Au final, tout est une question de relation de confiance. »
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