QUAND LA MAIN-D’OEUVRE MANQUE À L’APPEL
La pénurie s’installe et s’amplifie. Découvrez quelles solutions s’offrent à votre entreprise pour y faire face.
Matelas Dauphin est une PME florissante. Elle exploite 20 succursales au Québec, de Rimouski à Gatineau, et sa stratégie d’affaires prévoit qu’elle en ouvre deux par année. Pourtant, sa croissance est compromise.
« On est à la limite de notre capacité de production, et on est en retard sur notre plan d’expansion », nous explique son directeur général, Steve Thériault. Le fabricant de matelas ne produit plus suffisamment pour justifier l’ouverture de nouveaux magasins, tout simplement par qu’il manque de personnel à son usine de Lévis.
« On ne refuse pas de commande, mais on ne va pas à la chasse », confie M. Thériault, visiblement frustré par la situation.
Le dirigeant a tout essayé pour recruter du monde. « L’an dernier, on a augmenté le salaire horaire d’environ 15%, mais cela n’a rien donné. On n'a vu aucune différence! »
Matelas Dauphin s’est aussi tournée vers des travailleurs étrangers, mais ce processus est long et compliqué. Un vrai chemin de croix, selon son dirigeant. « Ça me prend une ressource interne pour gérer cette paperasse. Je n’ai pas besoin de ça. »
Dans ce contexte, la PME a pris la décision d’investir pour automatiser une partie de sa chaîne de production. Elle espère ainsi augmenter de 50% la quantité de matelas produits avec la même équipe dans l’usine.
Deux scénarios sont sur la table : investir environ 500000$ pour acheter de l’équipement standard ou investir plus de 1 million de dollars pour agrandir l’usine afin d’installer la nouvelle technologie, plus imposante. C’est une décision d’affaires très importante pour une PME dont les revenus s’élèvent à un peu plus de 20 M$.
Mais elle est rendue là, tout comme le quart des PME du Québec, d’après un sondage de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), effectué cet été en collaboration avec Les Affaires auprès d’un échantillon des 24000 membres au Québec.
Dans ce sondage, 25% des PME qui ont répondu ont automatisé des tâches. Seulement 25%? La FCEI considère que ce taux est « relativement élevé », car certaines entreprises ne peuvent pas automatiser leurs tâches ou la technologie n’est tout simplement pas accessible.
L’ouragan frappe
Ce nouveau sondage révèle également toute l’ampleur du fameux « ouragan » de la pénurie de main-d’oeuvre, contre lequel les économistes nous ont longtemps mis en garde.
Pas moins de 81% des PME sondées par la FCEI affirment être « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord » avec l’énoncé suivant: « J’ai de la difficulté à embaucher les employés dont j’ai besoin. »
Ce taux est deux fois plus élevé que celui publié dans une récente étude de la Banque de développement du Canada (BDC), qui indique que plus de 39% des PME canadiennes ont du mal à trouver de nouveaux employés.
La consultation de la FCEI montre bien que la situation de Matelas Dauphin est loin d’être un cas isolé. Près d’une entreprise sur deux (47%) affirme perdre des contrats ou des ventes parce qu’elle n’a pas assez d’employés, et 42% des répondants ont dû annuler certains de leurs
plans d’affaires (par exemple, faire des investissements) en raison du manque de personnel.
« La pénurie de main-d’oeuvre est un problème très important ; le sondage vient corroborer ce qu’on entend sur le terrain », affirme Martine Hébert, vice-présidente principale et porte-parole nationale de la FCEI.
La situation est carrément dramatique dans certains secteurs. En tourisme, par exemple, des hôtels fonctionnent à 50 % de leur capacité, car le personnel est insuffisant, et on voit de plus en plus de restaurants fermer plus tôt qu’à l’habitude parce qu’ils manquent de bras.
Les secteurs de la fabrication, du commerce de détail et de la construction sont aussi parmi les plus frappés par le phénomène. Particulièrement loin des grands centres urbains (souvent des régions à risque de dévitalisation), où se concentrent pas moins de 55 % des postes à pourvoir, soutient Stéphane Forget, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec.
Des inquiétudes qui vont grandissantes
La pénurie de main-d’oeuvre constitue une menace majeure à la prospérité québécoise, si une majorité d’entreprises n’arrivent plus à répondre à la demande, affirme Mme Hébert. « À terme, cela ne peut pas être sans impact. »
Même inquiétude du côté de Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec, qui souligne à quel point perdre des contrats ou des ventes est très problématique pour des entreprises.
« Quand celles-ci perdent un contrat, elles laissent aller des parts de marché qui sont très difficiles à récupérer par la suite, au Québec comme à l’étranger. »
Pour illustrer à quel point l’heure est grave, elle donne l’exemple de l’un de ses membres – dont elle préfère taire le nom – qui perd 1 M $ par mois en occasions d’affaires qu’il doit refuser parce qu’il manque de main-d’oeuvre. Cela représente 12 M $ par année, ou 20 % du chiffre d’affaires de 60 M $.
Un exemple parmi tant d’autres. Marc Robitaille s’arrache lui aussi les cheveux en raison de la pénurie de main-d’oeuvre. Depuis deux ans, le président d’Omniplast, un fabricant de sacs de plastique, n’arrive pas à pourvoir une dizaine de postes stratégiques. « On n’a jamais vu ça », laisse-t-il tomber, découragé.
« On croît beaucoup moins vite, car on met moins d’efforts sur le développement des affaires », reconnaît le dirigeant de cette PME de Longueuil, qui emploie 80 personnes.
Omniplast recherche désespérément des pressiers afin d’imprimer sur des sacs de plastique pour des clients dans les secteurs indus- triel, commercial, alimentaires ou du détail. Elle a tout essayé : des agences de placement, des messages sur les réseaux sociaux, sans parler d’une collaboration accrue avec les écoles techniques qui forment des pressiers.
Coup d’épée dans l’eau. Pis encore : récemment, une école de formation a cessé d’offrir son programme de pressier, faute d’un nombre suffisant d'élèves. « Il y a quelques années encore, on comptait une cinquantaine de personnes dans ce programme. Mais quand l’école a cessé de l’offrir, c’est à peine s’il y avait deux ou trois élèves », déplore M. Robitaille.
On pourrait multiplier des exemples de ce type sur des pages et des pages. « Plusieurs entreprises ont juste assez de main-d’oeuvre pour opérer. Elles n’ont donc pas assez de monde pour accepter des commandes additionnelles », résume le consultant et stratège d’affaires, Louis J. Duhamel, qui visite régulièrement des PME. Un défi de recrutement et de rétention Trois problèmes ressortent particulièrement du lot des doléances des entrepreneurs sondés par la FCEI.
Problème no 1 : Trois entreprises sur quatre déplorent le manque de candidats dans leur région.
Problème no 2 : La moitié des PME affirme avoir de la difficulté à satisfaire les attentes des candidats en matière de conditions de travail (rémunération, vacances, etc.)
Problème no 3 : Un répondant sur deux déplore la sous-qualification des candidats par rapport aux besoins de leur entreprise.
Pour limiter les dégâts de cet ouragan, les PME affirment avoir déployé plusieurs stratégies. Plusieurs ont amélioré les conditions de travail (salaires, vacances, congés payés), tandis que d’autres ont utilisé les services d’une agence de placement. Quelques-unes (9 %) affirment avoir embauché des travailleurs étrangers.
Sur le plan de la rétention, les défis sont tout aussi grands. Près de 70 % des répondants affirment qu’elles ont des « moyens financiers limités » pour améliorer les conditions de travail de leurs employés, et ce, des salaires aux vacances. Les dirigeants savent fort bien qu’ils doivent en donner plus à leurs employés, mais leur marge de manoeuvre est très mince.
Par ailleurs, une entreprise sur deux confie avoir de la « difficulté à satisfaire les attentes » des employés en matière de flexibilité des conditions de travail (congés, horaires de travail souples, etc.). Souvent, disent les spécialistes du monde du travail, il existe une incompréhension entre les générations à ce sujet, les plus jeunes étant plus exigeants.
Une PME sur deux déplore aussi être en concurrence avec le secteur public et les grandes entreprises, qui offrent la plupart du temps de meilleures conditions de travail, y compris sur le plan des avantages sociaux (assurance collective, fonds de pension).
Enfin, près de 10 % des dirigeants sondés par la FCEI affirment recevoir des employés surqualifiés par rapport aux besoins de leur organisation. Plusieurs PME ont souvent davantage besoin de journaliers et de manutentionnaires que de techniciens et d’ingénieurs. Les solutions Voilà pour le constat de la situation. Maintenant, quelles sont les solutions pour s’en sortir ? Le sondage montre quelles mesures privilégient les entrepreneurs pour réduire l’impact de la pénurie de main-d’oeuvre. Cinq sont jugées « très utiles » par les membres de la FCEI qui y ont répondu.
1. 63 % des PME affirment qu’il faut réduire la paperasserie pour les employeurs.
2. 60 % des entreprises estiment qu’il faut réduire les retenues à la source (RPC/RRQ, AE, taxes provinciales sur la masse salariale, etc.).
3. 41 % des dirigeants souhaitent que les gouvernements accordent des allègements fiscaux aux employeurs qui embauchent du personnel.
4. 33 % des sociétés veulent des allègements fiscaux pour ceux qui offrent de la formation à leurs employés.
5. 33 % des entrepreneurs désirent mieux connaître les organismes communautaires et les ministères qui fournissent de l’aide aux employeurs. Autrement dit, les PME réclament de l’aide pour pouvoir poursuivre leurs activités. la
Le personnel de production, les métiers spécialisés et le personnel de vente sont les trois principaux types de postes en demande pour l’année à venir.