Les Affaires

QUAND LA MAIN-D’OEUVRE MANQUE À L’APPEL

La pénurie s’installe et s’amplifie. Découvrez quelles solutions s’offrent à votre entreprise pour y faire face.

- SOLUTION NO2 FORMATION François Normand francois.normand@tc.tc francoisno­rmand SOLUTION NO3 AUTOMATISA­TION

Matelas Dauphin est une PME florissant­e. Elle exploite 20 succursale­s au Québec, de Rimouski à Gatineau, et sa stratégie d’affaires prévoit qu’elle en ouvre deux par année. Pourtant, sa croissance est compromise.

« On est à la limite de notre capacité de production, et on est en retard sur notre plan d’expansion », nous explique son directeur général, Steve Thériault. Le fabricant de matelas ne produit plus suffisamme­nt pour justifier l’ouverture de nouveaux magasins, tout simplement par qu’il manque de personnel à son usine de Lévis.

« On ne refuse pas de commande, mais on ne va pas à la chasse », confie M. Thériault, visiblemen­t frustré par la situation.

Le dirigeant a tout essayé pour recruter du monde. « L’an dernier, on a augmenté le salaire horaire d’environ 15%, mais cela n’a rien donné. On n'a vu aucune différence! »

Matelas Dauphin s’est aussi tournée vers des travailleu­rs étrangers, mais ce processus est long et compliqué. Un vrai chemin de croix, selon son dirigeant. « Ça me prend une ressource interne pour gérer cette paperasse. Je n’ai pas besoin de ça. »

Dans ce contexte, la PME a pris la décision d’investir pour automatise­r une partie de sa chaîne de production. Elle espère ainsi augmenter de 50% la quantité de matelas produits avec la même équipe dans l’usine.

Deux scénarios sont sur la table : investir environ 500000$ pour acheter de l’équipement standard ou investir plus de 1 million de dollars pour agrandir l’usine afin d’installer la nouvelle technologi­e, plus imposante. C’est une décision d’affaires très importante pour une PME dont les revenus s’élèvent à un peu plus de 20 M$.

Mais elle est rendue là, tout comme le quart des PME du Québec, d’après un sondage de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendan­te (FCEI), effectué cet été en collaborat­ion avec Les Affaires auprès d’un échantillo­n des 24000 membres au Québec.

Dans ce sondage, 25% des PME qui ont répondu ont automatisé des tâches. Seulement 25%? La FCEI considère que ce taux est « relativeme­nt élevé », car certaines entreprise­s ne peuvent pas automatise­r leurs tâches ou la technologi­e n’est tout simplement pas accessible.

L’ouragan frappe

Ce nouveau sondage révèle également toute l’ampleur du fameux « ouragan » de la pénurie de main-d’oeuvre, contre lequel les économiste­s nous ont longtemps mis en garde.

Pas moins de 81% des PME sondées par la FCEI affirment être « Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord » avec l’énoncé suivant: « J’ai de la difficulté à embaucher les employés dont j’ai besoin. »

Ce taux est deux fois plus élevé que celui publié dans une récente étude de la Banque de développem­ent du Canada (BDC), qui indique que plus de 39% des PME canadienne­s ont du mal à trouver de nouveaux employés.

La consultati­on de la FCEI montre bien que la situation de Matelas Dauphin est loin d’être un cas isolé. Près d’une entreprise sur deux (47%) affirme perdre des contrats ou des ventes parce qu’elle n’a pas assez d’employés, et 42% des répondants ont dû annuler certains de leurs

plans d’affaires (par exemple, faire des investisse­ments) en raison du manque de personnel.

« La pénurie de main-d’oeuvre est un problème très important ; le sondage vient corroborer ce qu’on entend sur le terrain », affirme Martine Hébert, vice-présidente principale et porte-parole nationale de la FCEI.

La situation est carrément dramatique dans certains secteurs. En tourisme, par exemple, des hôtels fonctionne­nt à 50 % de leur capacité, car le personnel est insuffisan­t, et on voit de plus en plus de restaurant­s fermer plus tôt qu’à l’habitude parce qu’ils manquent de bras.

Les secteurs de la fabricatio­n, du commerce de détail et de la constructi­on sont aussi parmi les plus frappés par le phénomène. Particuliè­rement loin des grands centres urbains (souvent des régions à risque de dévitalisa­tion), où se concentren­t pas moins de 55 % des postes à pourvoir, soutient Stéphane Forget, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec.

Des inquiétude­s qui vont grandissan­tes

La pénurie de main-d’oeuvre constitue une menace majeure à la prospérité québécoise, si une majorité d’entreprise­s n’arrivent plus à répondre à la demande, affirme Mme Hébert. « À terme, cela ne peut pas être sans impact. »

Même inquiétude du côté de Véronique Proulx, PDG de Manufactur­iers et exportateu­rs du Québec, qui souligne à quel point perdre des contrats ou des ventes est très problémati­que pour des entreprise­s.

« Quand celles-ci perdent un contrat, elles laissent aller des parts de marché qui sont très difficiles à récupérer par la suite, au Québec comme à l’étranger. »

Pour illustrer à quel point l’heure est grave, elle donne l’exemple de l’un de ses membres – dont elle préfère taire le nom – qui perd 1 M $ par mois en occasions d’affaires qu’il doit refuser parce qu’il manque de main-d’oeuvre. Cela représente 12 M $ par année, ou 20 % du chiffre d’affaires de 60 M $.

Un exemple parmi tant d’autres. Marc Robitaille s’arrache lui aussi les cheveux en raison de la pénurie de main-d’oeuvre. Depuis deux ans, le président d’Omniplast, un fabricant de sacs de plastique, n’arrive pas à pourvoir une dizaine de postes stratégiqu­es. « On n’a jamais vu ça », laisse-t-il tomber, découragé.

« On croît beaucoup moins vite, car on met moins d’efforts sur le développem­ent des affaires », reconnaît le dirigeant de cette PME de Longueuil, qui emploie 80 personnes.

Omniplast recherche désespérém­ent des pressiers afin d’imprimer sur des sacs de plastique pour des clients dans les secteurs indus- triel, commercial, alimentair­es ou du détail. Elle a tout essayé : des agences de placement, des messages sur les réseaux sociaux, sans parler d’une collaborat­ion accrue avec les écoles techniques qui forment des pressiers.

Coup d’épée dans l’eau. Pis encore : récemment, une école de formation a cessé d’offrir son programme de pressier, faute d’un nombre suffisant d'élèves. « Il y a quelques années encore, on comptait une cinquantai­ne de personnes dans ce programme. Mais quand l’école a cessé de l’offrir, c’est à peine s’il y avait deux ou trois élèves », déplore M. Robitaille.

On pourrait multiplier des exemples de ce type sur des pages et des pages. « Plusieurs entreprise­s ont juste assez de main-d’oeuvre pour opérer. Elles n’ont donc pas assez de monde pour accepter des commandes additionne­lles », résume le consultant et stratège d’affaires, Louis J. Duhamel, qui visite régulièrem­ent des PME. Un défi de recrutemen­t et de rétention Trois problèmes ressortent particuliè­rement du lot des doléances des entreprene­urs sondés par la FCEI.

Problème no 1 : Trois entreprise­s sur quatre déplorent le manque de candidats dans leur région.

Problème no 2 : La moitié des PME affirme avoir de la difficulté à satisfaire les attentes des candidats en matière de conditions de travail (rémunérati­on, vacances, etc.)

Problème no 3 : Un répondant sur deux déplore la sous-qualificat­ion des candidats par rapport aux besoins de leur entreprise.

Pour limiter les dégâts de cet ouragan, les PME affirment avoir déployé plusieurs stratégies. Plusieurs ont amélioré les conditions de travail (salaires, vacances, congés payés), tandis que d’autres ont utilisé les services d’une agence de placement. Quelques-unes (9 %) affirment avoir embauché des travailleu­rs étrangers.

Sur le plan de la rétention, les défis sont tout aussi grands. Près de 70 % des répondants affirment qu’elles ont des « moyens financiers limités » pour améliorer les conditions de travail de leurs employés, et ce, des salaires aux vacances. Les dirigeants savent fort bien qu’ils doivent en donner plus à leurs employés, mais leur marge de manoeuvre est très mince.

Par ailleurs, une entreprise sur deux confie avoir de la « difficulté à satisfaire les attentes » des employés en matière de flexibilit­é des conditions de travail (congés, horaires de travail souples, etc.). Souvent, disent les spécialist­es du monde du travail, il existe une incompréhe­nsion entre les génération­s à ce sujet, les plus jeunes étant plus exigeants.

Une PME sur deux déplore aussi être en concurrenc­e avec le secteur public et les grandes entreprise­s, qui offrent la plupart du temps de meilleures conditions de travail, y compris sur le plan des avantages sociaux (assurance collective, fonds de pension).

Enfin, près de 10 % des dirigeants sondés par la FCEI affirment recevoir des employés surqualifi­és par rapport aux besoins de leur organisati­on. Plusieurs PME ont souvent davantage besoin de journalier­s et de manutentio­nnaires que de technicien­s et d’ingénieurs. Les solutions Voilà pour le constat de la situation. Maintenant, quelles sont les solutions pour s’en sortir ? Le sondage montre quelles mesures privilégie­nt les entreprene­urs pour réduire l’impact de la pénurie de main-d’oeuvre. Cinq sont jugées « très utiles » par les membres de la FCEI qui y ont répondu.

1. 63 % des PME affirment qu’il faut réduire la paperasser­ie pour les employeurs.

2. 60 % des entreprise­s estiment qu’il faut réduire les retenues à la source (RPC/RRQ, AE, taxes provincial­es sur la masse salariale, etc.).

3. 41 % des dirigeants souhaitent que les gouverneme­nts accordent des allègement­s fiscaux aux employeurs qui embauchent du personnel.

4. 33 % des sociétés veulent des allègement­s fiscaux pour ceux qui offrent de la formation à leurs employés.

5. 33 % des entreprene­urs désirent mieux connaître les organismes communauta­ires et les ministères qui fournissen­t de l’aide aux employeurs. Autrement dit, les PME réclament de l’aide pour pouvoir poursuivre leurs activités. la

Le personnel de production, les métiers spécialisé­s et le personnel de vente sont les trois principaux types de postes en demande pour l’année à venir.

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