Les Affaires

Faites appel à l’immigratio­n, mais sans improvisat­ion Bill Sheenan, vice-président de E. Gagnon & Fils

D’où viennent les travailleu­rs qualifiés ?

- CONSTAT Martin Jolicoeur SOLUTION NO1 RÉTENTION Lebel fait boom SOLUTION NO2 FORMATION SOLUTION NO3 AUTOMATISA­TION

« Ça a été comme sur des roulettes. Ils étaient discipliné­s, ils travaillai­ent bien. Vraiment, je n’ai rien à redire. Si je le peux, je vais même en faire venir davantage le printemps prochain. »

Enjeu chaud de l’actuelle campagne électorale provincial­e, l’immigratio­n est perçue comme l’une des principale­s solutions au problème criant de pénurie de main-d’oeuvre auquel le Québec fait face. Parlez-en au maire de Lebel-sur-Quévillon, un village de 2 200 âmes situé à six heures de route de Montréal, à cheval entre l’Abitibi et le Nord-du-Québec. D’ici deux ans, Alain Poirier estime que sa municipali­té devra réussir à attirer un minimum de 800 travailleu­rs pour répondre aux besoins de main-d’oeuvre de Nyrstar (mine Langlois), Minière Osisko, Ressources Métanor, Chantiers Chibougama­u (Comtois), toutes en croissance dans les environs.

Andrew Artus, directeur des ressources humaines de la multinatio­nale Nyrstar, confirme que la situation représente un réel casse-tête dans une région où le plein emploi sévit – comme s’il s’agissait d’un malheur! – depuis des années. Il ne suffit plus de trouver son personnel, de le former et de bien le traiter (le salaire de départ d’un mineur dépasse les 100000$). Encore faut-il parvenir à contrer les charmes de la concurrenc­e (allocation de subsistanc­e, primes d’éloignemen­t et à la performanc­e), prête à tout moment à vous arracher vos meilleurs talents.

Avant que le rêve ne se transforme en cauchemar, le maire Poirier a créé un comité pour définir une stratégie. Le défi, surréalist­e: trouver preneur pour des centaines de postes rémunérés bien souvent dans les six chiffres. À cette table: des représenta­nts de Services Québec, de groupes communauta­ires, des commission­s scolaires, de la chambre de commerce locale et… du ministère de l’Immigratio­n, de la Diversité et de l’Inclusion.

« Nous avons des citoyens de 18 nationalit­és différente­s qui se côtoient actuelleme­nt chez nous, à Lebel-sur-Quévillon. Des Tunésiens, des Marocains, des Haïtiens… Bref, ils sont environ 120 à ne pas être nés au Canada. Plusieurs viennent avec leur épouse, et leurs enfants fréquenten­t nos écoles. Et nous sommes super contents. Franchemen­t, je ne vois pas comment on pourrait espérer faire face au défi de croissance extrême qui se présente à nous sans l’apport précieux de l’immigratio­n. »

Des gens de l’île Maurice dans Lanaudière

Des 1,3 million d’emplois qui seront à pourvoir d’ici 10 ans au Québec, le gouverneme­nt s’attend à ce que 20% le soient par l’immigratio­n.

Chez Olymel, par exemple, propriété de la Coop fédérée du Québec, on a recours à l’immigratio­n depuis des années, tant au Québec qu’en Alberta et qu’au NouveauBru­nswick, où sont réparties quelques-unes de ses 31 usines de transforma­tion alimentair­e du pays.

À Saint-Esprit, dans Lanaudière, Olymel a fait venir 80 travailleu­rs de l’île Maurice en 2009. « Un succès d’intégratio­n, assure son porte-parole, Richard Vigneault. De l’ensemble, 90% sont restés. »

En mars dernier, une autre vague de 119 immigrants sont arrivés à Vallée-Jonction, en Beauce où, là aussi, le chômage est presque inexistant. Et ce n’est pas terminé, car après avoir créé 2 000 emplois au pays depuis un an, l’entreprise s’attend à devoir en embaucher autant l’an prochain. À Yamachiche, en Mauricie, en outre, où un investisse­ment de 118 millions de dollars lui permet de doubler de taille à plus de 1100 employés.

« Les régions réalisent que la croissance économique d’une région ne peut pas se faire sans main-d’oeuvre. Sans main-d’oeuvre, il n’y a pas de croissance », affirme M. Vigneault.

Des Mexicains à Gaspé

À une autre échelle, Bill Sheenan pourrait en dire autant. Il est vice-président de E. Gagnon & Fils, un transforma­teur de produits de la mer (crabes des neiges, homards, flétan, etc.) de Sainte-Thérèse-de-Gaspé, un village de 1 600 habitants à l’ouest de Percé.

« On y pensait depuis trois ou quatre ans. Puis, l’an passé, on a perdu des occasions d’affaires parce que nous n’avions pas assez de main-d’oeuvre. C’est là où on a décidé de nous tourner vers l’immigratio­n temporaire. »

Le Programme des travailleu­rs étrangers temporaire­s (PTET) permet à une entreprise de recourir à une main-d’oeuvre étrangère pour des périodes renouvelab­les de quelques semaines, allant jusqu’à deux ans généraleme­nt, selon les secteurs. Par la loi, ces immigrants sont tenus de profiter des mêmes conditions (salariales ou autres) que les travailleu­rs québécois de la même entreprise.

Il n’en fallait pas plus pour que l’entreprise achète un gîte pour les loger, et entame les procédures pour faire venir une trentaine de travailleu­rs pendant la période de pointe, qui s’étend d’avril à la fin juin. Résultat: 29Mexicain­s ont débarqué en Gaspésie au printemps pour travailler dans l’usine de 500 travailleu­rs pendant la haute saison. À des activités de journalier­s, affectés à la réception, au démembreme­nt, à l’emballage, dans des locaux dont la températur­e varie entre 4 et 10 degrés.

Malgré les coûts liés à une telle démarche (de 4000$ à 5000$ par travailleu­r pour les frais de transport, d’administra­tion, de permis, etc.), M. Sheenan ne regrette pas l’expérience. « Ça a été comme sur des roulettes. Ils étaient

discipliné­s, ils travaillai­ent bien. Vraiment, je n’ai rien à redire. Si je le peux, je vais même en faire venir davantage le printemps prochain. »

Attention à l’improvisat­ion

Évidemment, faire venir des immigrants en fonction des besoins changeants de son entreprise se révèle plus facile à dire qu’à faire. Et pour les non-initiés, en particulie­r, pour les entreprise­s aux ressources limitées, les démarches administra­tives liées à un tel projet peuvent rapidement se transforme­r en parcours du combattant.

« Les entreprise­s n’ont pas d’aide ou en ont très peu pour les guider dans leurs démarches. Si tu n’as pas l’expertise, l’équipe nécessaire pour t’en occuper, tu es foutu. Tu risques de ne jamais y arriver », affirme Julie Lessard, associée de BCF, l’un des plus importants cabinets d’avocats spécialisé­s en immigratio­n d’affaires et en mobilité globale au Québec.

Au cours des années, cette avocate affirme avoir rencontré plusieurs entreprise­s qui ont tenté l’expérience par elles-mêmes ou par des intermédia­ires douteux. Et de se retrouver invariable­ment avec des factures gonflées, pouvant aller de 18000 à 20000$ par employé, alors qu’elles auraient pu normalemen­t s’en tirer pour trois fois moins.

René Vincelette, viceprésid­ent, Ressources humaines et service à la clientèle du Groupe Lacasse, un manufactur­ier de meubles de Saint-Pie, près de Saint-Hyacinthe, peut témoigner de cette réalité. L’entreprise de plus de 500 employés reçoit fréquemmen­t la visite de consultant­s ou d’agences qui prétendent pouvoir régler tous leurs problèmes de main-d’oeuvre.

« C’est difficile pour nous de juger la crédibilit­é de ces agences, dit-il. Il en passe pratiqueme­nt toutes les semaines. On ne sait pas toujours qui est qui. Il y en a de toute sorte, avec des contacts apparents sur tous les continents. Pour nous, ce qui importe est de trouver de bons employés, fiables et au passé net. »

Des Camerounai­s en Beauce

Manac, de Saint-Georges, en Beauce, a recours à des travailleu­rs étrangers depuis 2012. La première cohorte, qui regroupait un total de 17 soudeurs, est venue du Nicaragua avec un permis de travail de deux ans en poche. Du nombre, neuf y travaillen­t toujours et sont en voie d’obtenir leur résidence permanente.

« Certains sont repartis, surtout pour des raisons familiales. D’autres finissent par faire venir leur famille. C’est le cas, depuis deux ans, de plusieurs Nicaraguay­ens. Sur 25, le tiers ont décidé de faire venir leur famille », explique Louise Couture, responsabl­e des ressources humaines chez Manac, l’employeur de 800 personnes à Saint-Georges.

Dernièreme­nt, l’entreprise a fait venir des travailleu­rs du Cameroun, en Afrique. L’avantage, dit-elle, est qu’ils parlent déjà français. Les travailleu­rs ont été interviewé­s et testés (au soudage) à distance par l’intermédia­ire d’images transmises par Skype.

Le choix des candidats, les dédales administra­tifs liés à leur venue, n’est jamais une solution simple, explique Mme Couture. Mais les solutions de rechange sont rares. Avec le vieillisse­ment de ses travailleu­rs, Manac vit dans un état perpétuel de recrutemen­t. « Auparavant, nous vivions une rareté de main-d’oeuvre. Là, je peux vous dire qu’on parle vraiment de pénurie. » Une situation qui risque de compromett­re nombre de projets économique­s dans plusieurs régions. C’est le cas entre autres de Serres Toundra, de Saint-Félicien, au Lac-Saint-Jean, une PME spécialisé­e dans la culture de concombres en serres.

Après un investisse­ment initial de 43M$ dans de la première phase du projet, l’entreprise en activité depuis 2017 pourrait ne jamais réaliser les trois phases subséquent­es attendues. La raison principale: le manque criant de main-d’oeuvre pour occuper ces emplois permanents, explique Karl Blackburn, porte-parole de Produits forestiers Résolu, actionnair­e à 49% des parts de Serres Toundra. « Nous pensions que les jeunes, la main-d’oeuvre féminine et les Premières Nations auraient pu aider à pallier un faible chômage dans la région. Ce sont de bons emplois; les salaires dépassent les 20$ de l’heure. Mais non. Quatorze mois plus tard, force est d’admettre que si Serres Toundra n’avait pas recours à des travailleu­rs du Guatemala pour occuper plus de la moitié des postes, l’entreprise aurait déjà fermé. »

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