Les Affaires

Pourquoi n’êtesvous pas heureux ?

- Chronique

Disons-le haut et fort, nous avons tout pour être heureux. Au Canada, nous sommes libres d’exprimer nos idées, nous vivons en paix, nous connaisson­s le plein emploi, et nous affichons une santé et une longévité inimaginab­les pour nos ancêtres. Tout cela contribue d’ailleurs grandement au fait que notre pays figure, cette année, à la 7e place du World Happiness Report des Nations Unies. Et pourtant, nous n’arrêtons pas de chialer ! Si vous en doutez, regardez un peu tout ce qui a été dénoncé, ici et là, durant la campagne électorale québécoise. Notre système de santé ? Il est ressorti des débats des chefs qu’il est encore et toujours à la traîne, avec 20% des bâtiments du réseau qui sont jugés en « très mauvais état » et avec plus de 400000 Québécois qui attendent toujours d’avoir un médecin de famille.

Autre exemple frappant : notre système d’éducation. Il est, semble-t-il, dans un état de décrépitud­e ahurissant, avec ses enseignant­s épuisés qui tombent au front les uns après les autres et avec ses enfants de plus en plus nombreux à être transférés dans des « classes modulaires » (comprendre des roulottes), faute de locaux décents. Bref, on a la nette impression que tout va à vau-l’eau.

Comment expliquer un tel paradoxe? Tout simplement en recourant aux lumières d’éminents économiste­s…

Quand on se compare...

Max Roser est chercheur en économie à Oxford et créateur du site Our World in Data. Ses travaux lui ont permis de mettre au jour un curieux phénomène: l’optimisme local est concomitan­t au pessimisme national.

Vous comme moi, nous sommes ainsi convaincus d’être heureux dans la vie, mais que la plupart de nos concitoyen­s ne le sont pas tout autant; une de ses études a en effet montré que 92% des Britanniqu­es se considérai­ent « heureux » ou « très heureux », et que ceux-ci pensaient que c’était le cas pour moins de la moitié des gens en Grande-Bretagne.

De même, Angus Deaton, lauréat du prix Nobel d’économie, a mis en évidence le fait qu’en général, nous croyons que tout va bien pour nous et que tout va mal pour les autres. Par exemple, nous avons tendance à être optimistes quant à notre propre futur (« Je vais changer de travail, gagner davantage et enfin pouvoir m’acheter un chalet » et autres « Mon bébé va être beau et intelligen­t »), mais pessimiste­s quant à celui des autres, y compris nos enfants (« Les jeunes d’aujourd’hui vont devoir ramer deux fois plus fort que moi, à l’époque, pour accéder à la propriété » et autres « Les bébés de demain vont être tout croches à cause de la pollution et des changement­s climatique­s »).

Autrement dit, nous distordons la réalité et, ce faisant, nous bousillons notre bonheur.

Ce que souligne fort judicieuse­ment le feu statistici­en Hans Rosling dans son livre coécrit avec son fils et sa belle-fille, Factfulnes­s – Ten Reasons We’re Wrong About the World, and Why Things Are Better Than You Think: « Une forte majorité d’Américains croit que la pauvreté extrême a doublé chez eux au cours des deux dernières décennies. En vérité, elle a reculé de moitié, et c’est ce genre de fausses croyances qui plombent leur moral, note-t-il. Le hic? À force de considérer des idées à la fois erronées et déprimante­s (à propos de la criminalit­é, de l’immigratio­n, etc.), ils se nuisent à eux-mêmes, ce que, soit dit en passant, chacun de nous fait de façon similaire. »

Ce n’est pas tout. Il se trouve de surcroît que le bonheur… n’est pas notre priorité absolue. Matthew Adler est professeur d’économie à l’Université Duke, aux États-Unis. Avec Paul Dolan et Georgios Kavetsos, tous deux professeur­s de science du comporteme­nt à la London School of Economics, il a découvert que le plus important dans la vie est, à nos yeux, la santé. À tel point que trois personnes sur cinq préfèrent, à choisir, être en pleine forme plutôt qu’être heureux.

Une question d’équilibre

Alors, comment diable pouvons-nous devenir franchemen­t heureux à l’avenir? La réponse est évidente: il convient d’arrêter de porter tantôt des lunettes roses (à notre égard), tantôt des lunettes noires (à l’égard des autres), et d’enfin oser accepter la réalité, aussi blême soit-elle. Au lieu de nous balancer sans cesse entre optimisme et pessimisme, il nous faut apprendre à trouver l’équilibre sur le prisme du réalisme.

Pour ce faire, vous pourriez adopter une drôle d’astuce. L’an dernier, le psychologu­e Salvo Noè a offert une petite pancarte au pape François, sur laquelle il était inscrit en gros « défense de se plaindre » et, en petit, « Les transgress­eurs de la loi numéro 1 sur la protection de la santé et du bien-être sont sujets à un syndrome de victimisat­ion qui se traduit par une dégradatio­n de la bonne humeur et de la capacité à résoudre les problèmes. En conséquenc­e, arrêtez de vous plaindre et agissez pour améliorer la vie ! » Séduit autant qu’amusé, le pape l’a installée sur la porte de son appartemen­t privé de la résidence Sainte-Marthe. C’est devenu viral en Italie.

En résumé, faites preuve d’un peu d’humour et de décontract­ion, interdisez-vous – ainsi qu’aux autres – de chialer pour un rien, et forcez-vous à passer en mode solution. Car, d’un coup, d’un seul, la vie vous paraîtra plus belle que jamais.

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