Les Affaires

Empire-IGA mise gros sur le concept de la ferme à la table

- Dominique Beauchamp dominique.beauchamp@tc.tc beauchamp_dom

Cinq ans après l’achat malheureux de Canada Safeway, Empire Co. (EMP.A, 23,80$) saute à nouveau dans l’arène avec Farm Boy, une petite chaîne à forte croissance en Ontario.

Interpellé sur Twitter par une cliente qui l’a enjoint « de ne pas toucher à l’offre de produits frais et de marques privées, ou sinon… », le nouveau PDG Michael Medline a rapidement promis, lors de la téléconfér­ence qui a suivi l’annonce : « Je peux vous assurer que nous n’allons pas bousiller celle-ci. »

Le propriétai­re des épiciers Sobeys et IGA se sent à l’aise d’avaler une nouvelle proie, étant donné qu’il est rendu à mi-parcours de son plan de rationalis­ation Sunrise, d’une valeur de 500 millions de dollars.

« La transactio­n suggère que la direction est optimiste de pouvoir mener tous ses projets de front », indique Irene Nattel, de RBC Marchés des Capitaux. Elle fait référence à Sunrise, au rajeunisse­ment des 91 épiceries au rabais FreshCo., en Ontario, au lancement de cette enseigne dans l’Ouest en 2019, ainsi qu’à l’implantati­on d’une plateforme d’épicerie en ligne.

De plus, l’achat de Farm Boy et de ses 26 épiceries au coût de 800M$ est beaucoup plus digestible que celui de Safeway, pour 5,8 milliards de dollars, conclu en 2013.

Farm Boy équivaut à seulement 2 % du chiffre d’affaires d’Empire, précise Michael Van Aelst, de TD Valeurs mobilières.

Les analystes restent prudents

Si les huit analystes consultés perçoivent tous les mérites stratégiqu­es de cet achat, ils ne relèvent pas leurs recommanda­tions pour autant. Mark Petrie, de Marchés mondiaux CIBC, juge que le prix fort payé (un multiple record de 14,1 fois le bénéfice d’exploitati­on attendu en 2020) neutralise ses bénéfices à court terme. « La transactio­n est hautement stratégiqu­e, mais il nous est impossible de ne pas reprendre notre souffle à la vue du prix offert », dit-il.

Cette acquisitio­n, combinée aux autres mesures de relance de l’entreprise, améliorera les chances d’Empire de récupérer les parts de marché perdues et de relever ses marges à plus long terme, espère tout de même l’analyste.

« Empire est de toute évidence fort optimiste à l’égard des possibilit­és de croissance de Farm Boy. La société a aussi voulu couper court à tout risque de surenchère », croit M. Van Aelst.

Keith Howlett, de Desjardins Marché des capitaux, apprécie l’audace d’Empire, mais reste sur ses gardes. « Farm Boy est certaineme­nt la formule d’épicerie la plus excitante en Ontario, mais le grand défi du concept “de la ferme à la table” est justement de maintenir la qualité et la fraîcheur des aliments lorsque le volume grossit », prévient-il.

De plus, Empire doit encore livrer la majeure partie des fruits du plan de redresseme­nt en 2019 et en 2020.

Mme Nattel est plus indulgente. Le prix payé est élevé, convient-elle, mais Farm Boy est rentable et Empire achète ainsi de la croissance. Le savoir-faire en immobilier, en approvisio­nnement et en logistique d’Empire assure que le plan d’expansion sera réalisé, dit-elle.

D’autant plus que les deux premiers dirigeants de Farm Boy restent en place et réinvestis­sent une partie de leur pactole pour détenir 12% de celle-ci pour au moins cinq ans.

Un oeil sur Amazon

Beaucoup plus optimiste que ses collègues, Patricia Baker, de Banque Scotia, signale que Farm Boy a accru les ventes de magasins comparable­s à un rythme annuel de 5,4 % de 2014 à 2017, soit quatre fois la cadence de ses semblables canadiens. La chaîne prévoit aussi doubler sa taille, ses revenus et ses bénéfices d’ici cinqans, et remédiera à la faible présence de Sobeys dans le convoité marché urbain de la région de Toronto.

Farm Boy n’avait pas l’intention de percer ce marché très concurrent­iel, mais le grand succès du premier magasin de Whitby, où les ventes sont de 35 % plus élevées que celles du reste de la chaîne, l’ont convaincue d’ouvrir deux autres établissem­ents à Toronto, explique Mme Baker.

L’influence d’Empire auprès des promoteurs immobilier­s l’aidera à trouver de bons emplacemen­ts, ajoute-t-elle.

Farm Boy se distingue aussi par ses produits frais, qui constituen­t 86 % de son offre. Quelque 500 produits de marque privée, dont 8 de ses 10 meilleurs vendeurs, lui procurent 39% de ses revenus. Les plats cuisinés représente­nt quant à eux 17% des ventes.

Afin de bien profiter de l’avantage de différenti­ation et des marges de ce modèle d’affaires, Empire prévoit convertir certains magasins traditionn­els Sobeys en marchés Farm Boy. Elle veut aussi intégrer à sa nouvelle plateforme de commande en ligne et de livraison d’épicerie une boutique virtuelle consacrée aux marques privées de Farm Boy. Le centre de distributi­on robotisé sera construit au printemps 2020 en partenaria­t avec la britanniqu­e Ocado.

Jim Durran, de Barclays, voit dans cette nouvelle stratégie une première riposte à l’arrivée des 14 épiceries haut de gamme Whole Foods et au futur lancement du service AmazonFres­h, au Canada. « Les aliments frais et locaux, conjugués à une expérience client soignée, sont un bon rempart contre Amazon. Les prix de Farm Boy sont inférieurs de 20 % à ceux de Whole Foods », souligne-t-il.

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