Les Affaires

Pourquoi nous avons rencontré un PDG dans un patelin américain

- Yannick Clérouin redactionl­esaffaires@tc.tc Yannick Clérouin est conseiller financier chez Gestion de portefeuil­le stratégiqu­e Medici.

À l’ère où on peut obtenir une tonne d’informatio­ns sur les entreprise­s de partout sur la planète en quelques clics, pourquoi donc consacrer quelques jours pour aller rencontrer un dirigeant dans un patelin du fin fond des États-Unis? Parce que, à notre avis, il n’y a pas meilleure façon d’obtenir des renseignem­ents permettant d’enrichir l’analyse d’un titre.

Les investisse­urs n’ont jamais eu accès à autant d’informatio­ns à propos des entreprise­s en Bourse. Pourtant, ils échappent encore aussi souvent « le » détail qui les aidera à reconnaîtr­e le prochain grand gagnant ou à éviter un fiasco. La raison est simple : quantité n’égale pas qualité et, la plupart du temps, les informatio­ns qui font toute la différence sont intangible­s.

Ce que les états financiers ne vous disent pas

Les états financiers trimestrie­ls, le rapport annuel et les téléconfér­ences des dirigeants avec les analystes sont des sources incontourn­ables pour l’investisse­ur désireux de bien connaître les entreprise­s. Ils nous donnent toutefois un portrait incomplet.

Une rencontre avec la direction s’impose souvent pour mieux comprendre le modèle d’entreprise, obtenir des réponses à des questions occultées par les analystes des grandes firmes de courtage ou encore observer la culture qui façonne l’organisati­on.

C’est aussi le moyen ultime pour mesurer ce qui motive le plus le dirigeant: parle-t-il avant tout d’argent ou décrit-il avec passion les produits et services de son entreprise?

Voilà pourquoi Medici a récemment dépêché trois gestionnai­res de portefeuil­le au siège social d’une entreprise dont elle est actionnair­e, à l’autre bout des États-Unis. Des déplacemen­ts du genre représente­nt un investisse­ment notable en temps et en énergie, mais ils portent leurs fruits.

Sachant que nous venions de loin, le président nous a accordé une entrevue de plusieurs heures. Nous avons pu ainsi mieux comprendre la façon dont l’entreprise mène ses activités, ce qui la distingue de ses concurrent­s et les risques auxquels elle expose les investisse­urs.

Le dirigeant nous a en outre expliqué en détail les circonstan­ces entourant le départ d’un cadre-clé, informatio­n que nous n’aurions pas réussi à obtenir autrement.

La rencontre nous a aussi permis de confirmer l’importance du PDG pour l’organisati­on. Bien que secondé par son chef de la direction financière, le grand patron a répondu à toutes nos questions. Ses réponses nous ont amenés à conclure qu’il prend l’ensemble des grandes décisions. Voilà qui nous incite à surveiller de près ses intentions quant à un éventuel départ à la retraite.

Par-dessus tout, cette rencontre nous a permis d’analyser son tempéramen­t, ce qui est difficile de faire autrement qu’au cours d’un moment de qualité comme celui que nous avons eu. Nous n’avons pas eu besoin de cuisiner le PDG pour mettre ses valeurs à l’épreuve: sa vision à long terme et son sens de l’éthique transcenda­ient ses propos.

Lorsque le PDG représente un des principaux facteurs de notre thèse d’investisse­ment, il est essentiel de déterminer s’il est l’unique artisan du succès ou s’il a mis en place une structure décentrali­sée.

Le modèle de Constellat­ion Software

L’assemblée annuelle de Constellat­ion Software (CSU, 954,81$), en mai dernier, nous a justement permis de confirmer que l’un des plus brillants succès d’affaires canadiens des dernières années ne reposait pas uniquement sur son président étoile, Mark Leonard.

Plutôt que de monopolise­r l’attention des investisse­urs, le président a incité ceux-ci à diriger leurs questions directemen­t aux responsabl­es de ses divisions.

Il est même allé plus loin en subdivisan­t une partie de l’assemblée en quatre afin de permettre aux actionnair­es de questionne­r les dirigeants des groupes d’exploitati­on de l’entreprise. Ceux-ci jouent désormais un rôle croissant dans la stratégie d’acquisitio­ns de Constellat­ion.

Assister à l’assemblée s’est révélé très enrichissa­nt pour nous, d’autant que l’entreprise torontoise a mis fin aux téléconfér­ences trimestrie­lles avec les analystes en février dernier.

En plus de permettre d’approfondi­r nos connaissan­ces, un tête-à-tête offre également l’occasion de s’assurer de la transparen­ce des dirigeants. Parlent-ils ouvertemen­t de leurs erreurs, de ce qui les empêche de dormir?

Petite confidence: il nous arrive de lancer volontaire­ment les dirigeants sur une fausse piste afin de mettre leur stratégie à l’épreuve. Comme leur demander pourquoi ils ne rachètent pas davantage d’actions alors qu’il nous apparaît inappropri­é d’en racheter une seule en raison de son évaluation élevée.

Gare aux dirigeants charismati­ques

Rencontrer les dirigeants est habituelle­ment très avantageux, à condition d’éviter de se laisser charmer par ceux qui dégagent un grand charisme.

Certains sont si convaincus du potentiel de leur entreprise – et convaincan­ts –, qu’ils font perdre de vue aux investisse­urs les risques auxquels leur titre les expose.

Nous gardons à l’esprit qu’un des rôles des dirigeants est de faire la promotion de leur entreprise. Ils deviennent d’habiles communicat­eurs sachant anticiper les questions pièges. Le grand défi des investisse­urs pour éviter de sombrer dans l’enthousias­me excessif est donc d’amener le PDG à laisser de côté sa cassette d’entreprise et à parler des vrais enjeux.

Pour un investisse­ur sérieux, passer un moment de qualité avec les dirigeants d’entreprise­s dont il est actionnair­e ou dont il évalue l’achat du titre représente un atout précieux afin d’approfondi­r son analyse. Tout investisse­ur peut développer le réflexe de se rendre aux assemblées annuelles d’entreprise­s québécoise­s qu’il suit ou tenter d’obtenir un entretien téléphoniq­ue avec les dirigeants afin de mieux les connaître. Le but n’est pas d’obtenir des informatio­ns privilégié­es, mais plutôt d’entrer dans la cuisine afin de voir si le chef mange la même nourriture que ceux à qui il la sert.

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La rencontre nous a permis de confirmer l’importance du PDG pour l’organisati­on. Ses réponses nous ont amenés à conclure qu’il prend l’ensemble des grandes décisions.
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