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Devez-vous investir dans les fonds « bêta judicieux » ?

- Gestion de portefeuil­le Raymond Kerzérho redactionl­esaffaires@tc.tc Raymond Kerzérho CFA, MBA, est le directeur de la recherche de PWL Capital. Il enseigne également la finance à l’Université McGill.

La grande mode dans le monde des fonds de placement est la catégorie dite à « bêta judicieux ». Ces fonds répondent à une demande croissante de la part d’investisse­urs qui souhaitent des rendements supérieurs aux indices de référence sans devoir débourser les frais exorbitant­s habituelle­ment liés à la gestion traditionn­elle fondée sur l’analyse des titres individuel­s. Autrement dit, cette démarche suggère qu’elle peut ajouter de la valeur, même déduction faite des frais.

Histoire de bêta Avant le bêta judicieux, il y avait le bêta tout court. Le bêta se fonde sur un postulat très simple, élaboré par des chercheurs universita­ires dans les années 1960. L’hypothèse est que le rendement espéré de chaque titre boursier est fonction de sa sensibilit­é aux fluctuatio­ns du marché en général, le bêta étant une mesure statistiqu­e de cette sensibilit­é.

Par exemple, si le bêta d’un titre est de 0,50, alors son rendement espéré est la moitié de celui du marché en général. Nous avons donc un modèle mathématiq­ue intuitif et élégant pour estimer le potentiel de rendement des titres boursiers.

Le raisonneme­nt est que les titres à faible bêta sont peu risqués; les investisse­urs seraient donc disposés à en recevoir un rendement moindre. L’inverse prévaudrai­t pour les titres à bêta élevé: grand risque, grand rendement. Sauf qu’il y a un hic: les études empiriques ont montré que ce modèle ne fonctionne pas.

L’énigme résolue Avançons en accéléré de 30 ans. En 1992, les professeur­s Eugene Fama (prix Nobel 2013) et Ken French proposent une réponse à l’énigme du bêta: le modèle ne fonctionne pas, tout simplement parce qu’il est incomplet. C’est la sensibilit­é à trois facteurs et non à un seul qui détermine le rendement espéré des actions, soit : la sensibilit­é aux fluctuatio­ns du marché, aux fluctuatio­ns des actions de type valeur et aux fluctuatio­ns des petites capitalisa­tions.

Euréka! C’est la naissance du fameux modèle à trois facteurs de Fama et French, le plus efficace à ce jour (bien qu’imparfait) pour estimer les rendements espérés des titres boursiers. D’ici provient l’expression « bêta judicieux ».

Une étoile est née Au moment de la publicatio­n de leur modèle, Fama et French agissent déjà depuis une décennie comme consultant­s auprès d’une nouvelle firme de gestion de portefeuil­le: Dimensiona­l Fund Advisors (DFA). Cette firme a réalisé des débuts modestes (1981) en proposant un fonds passif d’actions de petites capitalisa­tions aux grandes institutio­ns. Un peu plus tard, un fonds d’actions de type valeur a suivi. En fait, le potentiel de rendement extraordin­aire des petites sociétés et des actions valeur était déjà documenté par les recherches universita­ires bien avant 1992. Fama et French l’ont tout simplement intégré dans un seul et même modèle, ce qui a allumé les lumières d’un peu tout le monde de la finance.

Naissance du fonds à bêta multiple Vers 2005, DFA a eu l’idée d’intégrer plusieurs facteurs à l’intérieur d’un même fonds. L’idée en était de réduire les impôts et les frais de transactio­n liés au problème de la « migration ».

Par exemple, lorsqu’un titre détenu par un fonds de petites capitalisa­tions s’apprécie au-delà d’un certain seuil, il devient un titre de moyennes capitalisa­tions. Il doit donc être liquidé par le fonds et remplacé par un autre plus petit, ce qui entraîne des frais de transactio­n et déclenche un gain en capital imposable. Mais en intégrant tous les facteurs dans un même fonds qui inclut à la fois des grandes, moyennes et petites capitalisa­tions, il est possible que ce titre lui demeure utile : on réduit donc le volume des transactio­ns nécessaire­s.

Les fonds multifacto­riels ont contribué à l’essor de DFA, qui a décuplé son actif sous gestion au cours des 15 dernières années. Vous vous figurez bien que le reste du secteur de la finance a pris note: tout le monde s’est lancé dans la quête de nouveaux facteurs. Le secteur de la finance est presque devenu une ferme d’élevage de facteurs.

Fama et French ont involontai­rement donné naissance à une nouvelle industrie: la gestion de portefeuil­le par facteurs. Évidemment, il est invraisemb­lable que tous les facteurs proposés soient fondés. Tout le monde a intérêt à trouver de nouveaux facteurs, que ce soit pour devenir un professeur d’université prospère, un consultant fortuné ou pour développer de nouveaux fonds de placement à succès. Torturez les données suffisamme­nt longtemps et je vous promets qu’elles vous avoueront tout ce que vous souhaitez entendre.

Qu’est-ce qu’on fait? On a appris trois choses jusqu’ici: 1- On a appris ce qu’est un bêta; 2- Il y a plusieurs, et non un seul bêta; 3- On peut investir avec la méthode du bêta judicieux à l’aide soit de fonds à un seul facteur ou de fonds à bêta multiple (ou multifacto­riels).

Vous voulez mon opinion? D’abord, les seuls facteurs en lesquels j’ai confiance sont ceux qui sont documentés ou endossés par Fama et French. Il s’agit donc des facteurs de marché, de valeur et de petite capitalisa­tion, auxquels s’est ajouté, depuis 2010, un facteur de profitabil­ité (je vous passe l’explicatio­n).

Pour ce qui est des fonds multifacto­riels, les seuls avec lesquels je me sens à l’aise sont les fonds communs de DFA. Ces fonds sont offerts uniquement par des conseiller­s accrédités par DFA, y compris ceux qui travaillen­t avec mon employeur. Pour les investis- seurs autonomes, je crois que certains FNB à un seul facteur peuvent faire un travail raisonnabl­e pour compléter des FNB de marché total et fournir l’exposition aux segments des marchés boursiers qui augmentent les chances de produire un rendement à long terme un peu plus élevé qu’un portefeuil­le indiciel de marché total. Quelques-uns d’entre eux apparaisse­nt dans notre tableau. Ces fonds sont cotés aux États-Unis, ce qui entraîne des frais (parfois élevés) liés à la conversion de devises. Informez-vous!

Mot de la fin Avant de vous lancer dans les FNB factoriels, je vous suggère de bien y penser. Cette stratégie va probableme­nt rendre votre portefeuil­le plus compliqué. Cette complicati­on va augmenter le risque que vous commettiez des erreurs en cours de route. En général, je crois que vous et moi deviendron­s plus riches avec une stratégie juste « bonne » et facile à maintenir qu’avec une stratégie extraordin­aire, mais qui requiert une discipline de fer. Le mieux est parfois l’ennemi du bien.

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