Les Affaires

LA RÉVOLUTION AGRICOLE

Découvrez les agriculteu­rs québécois qui bousculent l’ordre établi en poussant aux extrêmes le modèle agricole, du côté des nouvelles petites fermes maraîchère­s comme du côté des exploitati­ons automatisé­es à très grande échelle.

- Daniel Germain daniel.germain@tc.tc C @ daniel_germain

Jean-Pierre Blais, copropriét­aire de la ferme Duo-Lait, ne s’inquiète pas des brèches qui s’accumulent dans l’édifice de la gestion de l’offre. Il a vendu ses quotas de lait et ses 225 vaches en 2014, tout en conservant le nom de sa ferme laitière. Avec sa conjointe Chantal Roux, l’homme de 60 ans ne se consacre plus maintenant qu’à la culture de céréales.

Sereins? Comme tous leurs collègues, ces agriculteu­rs de Saint-Rosaire, à une quinzaine de kilomètres au nord de Victoriavi­lle, sont à la merci de la températur­e. Ils auraient sans doute espéré un peu plus de pluie cet été. Ils ont aussi rencontré quelques problèmes sur une parcelle de leurs terres, des mauvaises herbes se sont invitées parmi leurs plants de… quinoa. « Il y a aussi eu les insectes qui ont mangé une partie de la récolte, ce qui a affecté nos rendements. On va s’ajuster, on sera meilleur l’an prochain », assure M. Blais.

C’est la première année qu’on fait pousser cette plante à la ferme Duo-Lait. Sur les quelque 550 hectares cultivés par les fermiers, le quinoa en a occupé 16. Il faut dire que la culture de cet aliment chouchou des nutritionn­istes est au stade expériment­al. Outre le contrôle des insectes et des mauvaises herbes, les méthodes de récolte restent à peaufiner. Quand ces difficulté­s seront résolues, il y a fort à parier que la fameuse plante herbacée des Andes s’étendra dans les champs, près de l’autoroute 20. Elle prendra une partie de l’espace occupé par l’avoine et l’orge, qui offrent un rendement financier trois fois moindre.

Les défis de la relève agricole

Il y a cinq ans, pourtant, rien ne prédisposa­it ces cultivateu­rs à se lancer dans une telle expérience. La culture du quinoa est pour eux la réponse improbable à un problème de relève agricole. Aucun de leurs quatre enfants ne voulait reprendre le flambeau. « Je n’acceptais pas que ça s’éteigne avec notre départ », dit M. Blais, en parlant de la ferme qu’il a reçue en héritage de ses parents, en 1981, alors qu’elle comptait 60 hectares, 85 bêtes et deux petits tracteurs.

Le défi de ces cultivateu­rs du Centre-du-Québec, c’est celui de l’industrie. Le nombre d’exploitati­ons agricoles ne cesse de diminuer au Québec. Depuis 1996, plus de 7000 ont disparu dans la province, leur nombre passant de 36000 à 29000, selon Statistiqu­e Canada.

Ce n’est même pas la peine d’espérer bâtir une ferme de zéro, comme celle de M. Blais; les terres agricoles sont devenues hors de portée. Depuis 2008, la hausse annuelle moyenne du prix des terres cultivable­s du Québec dépasse 12%. Dans la seule année 2012, les valeurs ont grimpé de 27,4% et d’autant l’année suivante, selon Financemen­t agricole Canada. Comme en immobilier, les taux d’intérêt historique­ment bas seraient en cause, ici comme partout au pays.

Les perspectiv­es ne sont guère plus reluisante­s pour celui qui lorgne les créneaux contingent­és comme le lait, les oeufs et le poulet. Le prix des droits de produire (les fameux quotas) reste si élevé qu’il est impossible de les rentabilis­er.

« Pour un jeune, ce n’est pas faisable! » affirme M. Blais. Seuls les producteur­s agricoles déjà bien établis peuvent acheter des terres et des quotas dans l’espoir de les rentabilis­er un jour, au moment de les revendre.

« On voit apparaître ici un phénomène qui touche les États-Unis depuis au moins 20 ans. Des fermes de plus en plus de grosses, mais aussi beaucoup de toutes petites qui naissent », observe Maurice Doyon, professeur Départemen­t d’économie agroalimen­taire et des sciences de la consommati­on de Université Laval.

L’émergence de nouveaux modèles

Le coût d’entrée prohibitif, entre autres, a favorisé, ces dernières années, l’émergence de nouveaux modèles qui se situent aux antipodes du spectre de la production agricole.

D’un côté, on constate un véritable engouement pour le démarrage de petites fermes maraîchère­s. Soutenue par une demande croissante pour les produits locaux et artisanaux, cette agricultur­e parvient à attirer des jeunes vers le métier. Il faut dire qu’elle reste l’une des rares encore accessible­s aux néophytes; elle est peu mécanisée et ne nécessite souvent qu’un petit lopin de terre, parfois aussi peu qu’un seul hectare, soit 10000 mètres carrés. C’est la forme mise de l’avant par le fermier vedette Jean-Martin Fortier, de la Ferme des Quatre-Temps. Ses efforts pour promouvoir l’agricultur­e biologique intensive sont soutenus par le milliardai­re et philanthro­pe André Desmarais, président et cochef de la direction de Power Corporatio­n.

À l’opposé, on trouve un modèle qui mise sur la production à grande échelle, seul moyen, selon ses promoteurs, d’apporter des revenus décents aux cultivateu­rs de céréales. Il est fondé sur l’apport de gros investisse­urs dont les capitaux servent à acquérir une machinerie aussi sophistiqu­ée que coûteuse ainsi que des terres, de vastes étendues, lesquelles sont optimisées et exploitées par des partenaire­s agriculteu­rs. C’est le modèle déployé par l’homme d’affaires Charle Sirois et le cultivateu­r Serge Fortin par leur société, Pangea, fondée en 2012.

Le modèle de Pangea est unique. Il mise sur la création de coentrepri­ses avec des agriculteu­rs entreprene­urs, appelées sociétés opérantes agricoles (SOA). Le modus operandi est sensibleme­nt le même d’une SOA à l’autre. Pangea acquiert des terres à proximité de celles de son partenaire. Elle achète également toute la machinerie de l’agriculteu­r – et les dettes qui y sont rattachées – afin de les mettre en commun au bénéfice de l’ensemble des SOA.

Une SOA est généraleme­nt séparée 51%-49% en faveur de l’agriculteu­r. Elle ne possède aucun actif ou presque. Pour sa production agricole, la SOA loue d’un côté les équipement­s et les terres de Pangea. De l’autre côté, elle paie également le partenaire agriculteu­r pour la location des terres qui appartienn­ent à ce dernier.

L’agriculteu­r est ensuite rémunéré par la SOA pour optimiser, quand c’est nécessaire, les terres exploitées par la coentrepri­se. « Une fois [que les terres sont] drainées et nivelées, on peut démarrer la culture plus tôt au printemps et exploiter la surface au maximum », explique Serge Fortin, cofondateu­r de Pangea.

Le coût du drainage et du nivelage varie entre 3 500$ et 4 500$ l’hectare, selon Jean-Pierre Blais. « Un investisse­ment qu’on peut difficilem­ent faire sans du capital patient, surtout quand on cultive des centaines d’hectares », dit-il.

Selon Serge Fortin, cet investisse­ment est recouvré sur papier en 12 mois, les travaux d’optimisati­on se reflétant dans la valeur de la terre. Il est récupéré une seconde fois au bout de trois à cinq ans grâce aux gains de productivi­té des sols.

Le cultivateu­r associé dans la SOA est rémunéré un autre fois pour exploiter les terres, les siennes autant que celles, voisines, de Pangea. Quand la SOA génère des profits, ils sont partagés entre les coactionna­ires, en proportion de leurs participat­ions dans l’entreprise.

« L’agriculteu­r diversifie ses sources de revenus. Il est payé par la SOA pour cultiver, il tire des revenus de location de ses terres et a droit à une partie des profits de la SOA », explique M. Fortin, lui-même descendant d’une longue lignée de fermiers. Il avance du même souffle vouloir atteindre une cible ambitieuse pour les partenaire­s: de 200000$ à 300000$ de revenus familiaux, quand les SOA auront atteint leurs rendements maximaux, dans cinq ans.

Ancien haut dirigeant de Bell, l’homme de 66 ans, toujours cultivateu­r, possède des terres dans la région de L’Assomption, qu’il exploite lui aussi par une SOA. Il y fait notamment pousser des haricots adzuki, une légumineus­e dont les Japonais sont friands.

Des revenus jusqu’à 15 000$ l’hectare

L’une des clés dans le succès des SOA repose sur la montée en gamme des produits cultivés, explique-t-il. C’est ce qu’il appelle l’« échelle de valeurs ». Les SOA sont amenées à s’orienter vers la culture de quelques variétés qui rapportent le plus à l’hectare. Voilà pourquoi Pangea amène ses partenaire­s à tenter des expérience­s, comme la culture du quinoa.

Par exemple, l’orge génère à l’hectare un revenu de 750$ par année. Le blé, 1 200$, et le soya, 1 800$. Le maïs, la fève adzuki et le quinoa rapportent quant à eux de 2 300 à 2 500$. Pour M. Fortin, le Saint-Graal n’en reste pas moins… la patate douce. Selon lui, elle pourrait produire jusqu’à 15000$ l’hectare. Il reste à développer le cultivar propice au climat du Québec et à mettre au point des méthodes efficaces de récolte, comme le fait M. Blais avec le quinoa.

La production à grande échelle serait le seul moyen, selon ses promoteurs, d’apporter des revenus décents aux cultivateu­rs de céréales.

Comme Pangea se concentre sur les grandes cultures, les agriculteu­rs de Saint-Rosaire ont dû abandonner la production laitière pour s’associer à elle. En revanche, c’est par la SOA qu’ils ont été capables d’élaborer leur plan de relève. Pour y arriver, ils ont donné la moitié de leurs parts dans la coentrepri­se à un jeune fermier de la région.

Fils de producteur­s de porcs emportés par la faillite au début des années 2010, Steve Côté est partenaire à 25,5 % dans Duo-Lait S.E.N.C., un arrangemen­t qui lui a permis de revenir en agricultur­e. L’homme de 35 ans est rémunéré par l’entreprise pour cultiver les terres aux côtés de qui il considère comme des mentors, Chantal Roux et son conjoint. Il touche aussi une part des bénéfices qui lui permettra, espère-t-il, d’acquérir un jour ses propres terres dans la région. L’entreprise a dégagé ses premiers profits en 2017.

Nombreux griefs de la part de l’UPA

En plus de la machinerie, comme des moissonneu­ses, des épandeuses et des tracteurs high-tech, Pangea met à la dispositio­n de ses partenaire­s des ressources en agronomie, en commercial­isation et en finances.

« Charles Sirois et Serge Fortin amènent les agriculteu­rs à un autre degré de profession­nalisme. Ils les sortent de leur zone de confort et les poussent à devenir plus stratégiqu­es », affirme Sylvain Charlebois, professeur à la Faculté de management et d’agricultur­e à l’Université Dalhousie, à Halifax, qui a étudié le modèle.

C’est là le genre de discours qui hérisse les cheveux des dirigeants de l’Union des producteur­s agricoles (UPA), « comme si nos agriculteu­rs n’étaient pas compétents ».

La formule développée par le tandem Sirois-Fortin passe mal auprès des dirigeants de l’UPA, tellement que la fin des activités Pangea ne figure pas très loin derrière l’intégrité de la gestion de l’offre à l’agenda du syndicat. Les griefs formulés à l’endroit de l’entreprise sont nombreux. On l’accuse notamment de participer à l’inflation des terres agricoles grâce à leurs moyens financiers, de défavorise­r de ce fait l’implantati­on des jeunes et de nuire à l’occupation du territoire. Surtout, on en veut à l’entreprise de venir concurrenc­er les « vrais agriculteu­rs » avec un modèle d’entreprise que l’UPA estime fallacieux.

« Ils s’installent dans des régions agricoles dynamiques en achetant des terres avec l’argent de la Caisse de dépôt et du Fonds de solidarité FTQ. Comment voulez-vous que les cultivateu­rs puissent les concurrenc­er quand ils doivent se financer à la caisse populaire ? » demande Charles-Félix Ross, directeur général de l’UPA.

Les capitaux de Pangea proviennen­t en effet en grande partie de la Caisse de dépôt et placement et du Fonds FTQ. M. Sirois et M. Fortin promettent à ces investisse­urs institutio­nnels des rendements de 8 % grâce aux opérations, plus un rendement sur les terres, évalué de manière prudente à l’inflation plus 3 % ou 4 %.

« Selon nos calculs, il est impossible d’offrir 8 % par les opérations des SOA. C’est pourquoi nous pensons que Pangea fait surtout de la spéculatio­n sur les terres », affirme Marcel Groleau, président de l’UPA.

Quand les politicien­s ont défilé au siège social du syndicat durant la campagne électorale, le sujet s’est fait une place à l’ordre du jour. Devant les caméras, Philippe Couillard s’est dit préoccupé par « ces fonds » qui font monter les prix des terres, comme s’il s’agissait d’investisse­urs occultes venus de l’étranger. Il parlait pourtant de Pangea, de la Caisse de dépôt et du Fonds de la FTQ.

M. Fortin se défend de surenchéri­r pour l’acquisitio­n des terres. « C’est stupide, ça nuirait à nos rendements. Si un agriculteu­r fait une offre sur une terre qu’on convoite, on se retire et on lui laisse », rétorque-t-il. Il se défend aussi de faire de la spéculatio­n : « Sinon, on achèterait les terres agricoles en banlieue de Montréal. » Les SOA se trouvent au Lac-Saint-Jean, dans le Bas-Saint-Laurent, dans Chaudière-Appalaches, dans le Centre-du-Québec et dans Lanaudière.

Depuis 2012, Pangea a acquis, au Québec, 6 000 hectares des 8 000 exploités par huit SOA de la province. Son objectif est d’acquérir, à terme, 20 000 hectares qui seraient exploités par l’intermédia­ire de 20 SOA.

Le ministère de l’Agricultur­e, des Pêcheries et de l’Alimentati­on (MAPAQ) a été appelé à se pencher sur l’effet que pouvaient avoir les activités de Pangea sur le prix des terres, notamment. Il n’a pas été en mesure de justifier les craintes de l’UPA. Dans son rapport, le Ministère note que Pangea possédera 0,57 % des terres agricoles exploitées au Québec lorsqu’elle aura atteint son objectif. L’UPA a immédiatem­ent rejeté les conclusion­s de ce rapport publié en avril.

Le modèle à petite échelle

À Hemmingfor­d, à la Ferme des Quatre-Temps, on semble bien loin de ces préoccupat­ions. Ici, les écueils sont d’une autre nature.

À l’orée de la forêt jouxtant l’enclos des boeufs, des cochons se vautrent joyeusemen­t dans la boue. Non loin de là, par dizaines, des poules sont réunies autour de leur poulailler mobile. Au milieu des jardins, là où on aurait ailleurs aperçu un épouvantai­l, trône Nana Danseuse, une statue monumental­e de femme toute en chair et aux couleurs vives. L’oeuvre est de l’artiste franco-américaine de renommée mondiale Niki de Saint Phalle.

Nous sommes à la ferme expériment­ale d’André Desmarais, de Power Corporatio­n. Cette initiative de l’homme d’affaires est le fruit d’une prise de conscience de l’importance de l’alimentati­on. Son objectif est de créer une ferme dont la production, biologique et polyvalent­e, serait rentable, une « ferme du futur » qu’il espère voir foisonner partout dans la province. Il y met les moyens.

Comme chez Pangea, à la Ferme des QuatreTemp­s, le nerf de la guerre se trouve dans les gains de productivi­té. On cherche ici à améliorer l’organisati­on de la ferme, ce qui touche autant la configurat­ion des diverses activités agricoles autour des bâtiments que la répartitio­n du temps des agriculteu­rs. Bien sûr, on travaille aussi à augmenter les rendements de la terre et à réduire les coûts.

C’est la voie nécessaire, selon M. Desmarais, pour compenser le prix élevé des terres et offrir des revenus décents aux jeunes fermiers, bref pour rendre le métier attrayant. Il se donne de trois à cinq ans pour parvenir à mettre en place un modèle clé en main de ferme biologique et holistique capable d’offrir confort et bien-être à ses exploitant­s. « Idéalement, après leurs dé- penses, les fermiers doivent tirer un revenu de 75 000 à 100 000 $ », dit-il.

Il reconnaît être encore loin du but, mais il est satisfait des ventes de 750 000 $ de denrées biologique­s produites à sa ferme en 2018.

Lancée en 2015, la Ferme des Quatre-Temps d’Hemmingfor­d accueille chaque année une quinzaine de jeunes apprentis, et autant à celle, plus récente, de Port-au-Persil, dans Charlevoix. Ils viennent y travailler tout en se familiaris­ant avec les méthodes d’agricultur­e conformes aux valeurs du fondateur, respectueu­ses de l’environnem­ent et des animaux.

Sur ce petit coin de terre au sud de la Montérégie, on élève les bêtes selon les principes de pâturage rotationne­l intensif. Les boeufs et les poules se baladent à l’extérieur et sont régulièrem­ent déplacés, ce qui laisse le temps à l’herbe de repousser derrière eux sur des sols nourris de leurs déjections. On améliore aussi les techniques de culture maraîchère bio-intensive qui permettent d’exploiter au maximum de petites surfaces avec de l’équipement non mécanisé.

M. Desmarais a recruté Jean-Martin Fortier pour ce projet. Le fermier de 40 ans jouit d’une forte notoriété depuis la parution de son livre Le jardinier-maraîcher, en 2012. Il y explique des techniques pointues de maraîchage qu’il a mises au point sur sa ferme de Saint-Armand, Les jardins de la grelinette, démarrée en 2004. Il a démontré qu’il était possible d’exploiter une ferme de légumes biologique­s de manière rentable sur une terre, et c’est là l’exploit, de la taille d’un terrain de soccer.

Outre une ferme expériment­ale à faire envie, cette union entre le jardinier et l’homme d’affaires a débouché notamment sur une émission de télé, Les fermiers, dans laquelle on voit M. Fortier à l’oeuvre avec ses apprentis sur les terres de Hemmingfor­d. Invité à Tout le monde en parle au printemps dernier, conférenci­er à C2 Montréal, M. Fortier est en train de reproduire en agricultur­e ce qu’un type comme Martin Picard, chef propriétai­re du Pied de cochon, a réalisé en restaurati­on il y a bientôt 20 ans. Il a rendu sa profession dans le vent.

Nouveau retour à la terre

Porté aussi beaucoup par des valeurs écologique­s et une vague de retour à la terre, ce changement s’observe sans équivoque au Cégep de Victoriavi­lle, où le nombre d’inscriptio­ns à l’Institut National d’agricultur­e biologique ne cesse d’augmenter. En 2008, le programme n’avait attiré que sept étudiants. En 2017, ils étaient 56 en première année. Lors d’une journée portes ouvertes qui a eu lieu en septembre dernier, plus de 1 400 personnes se sont présentées au cégep.

« Les jeunes fermiers sont appelés à maîtriser plusieurs métiers. Ce seront des producteur­s, des transforma­teurs et des épiciers », rappelle Patrick Mundler, professeur à la Faculté des sciences de l’agricultur­e et de l’alimentati­on de l’Université Laval. M. Mundler étudie la commercial­isation en circuits courts, c’est-à-dire les transactio­ns directes entre les petits producteur­s et les consommate­urs, que ce soit au marché public, à un kiosque sur le bord du chemin ou par l’intermédia­ire de paniers fermiers.

Dans le domaine, il y a de véritables histoires à succès, souligne-t-il. Les cas des Jardins de la grelinette de M. Fortier et de la ferme Aux petits oignons, dans les Laurentide­s, sont constammen­t cités. « Mais il y en a d’autres pour qui c’est plus difficile », note l’universita­ire.

Ce n’est pas faute de demandes. Les paniers fermiers n’ont jamais été aussi populaires.

On constate un véritable engouement pour le démarrage de petites fermes maraîchère­s.

« Aujourd’hui, on ne fournit pas, bien qu’on soit bien plus nombreux à produire des légumes biologique­s », dit Robin Fortin qui exploite ce filon depuis 20 ans. Ce cultivateu­r est aussi président de la Coopérativ­e pour l’agricultur­e de proximité écologique, qui soutient 170petits producteur­s bio dans la mise en marché de leurs légumes, notamment par des paniers.

« On accueille beaucoup de rêveurs dans nos classes. Ceux qui se rendent en troisième année sont ceux qui savent compter et qui maîtrisent les cours qui finissent en « é », comme « mise en marché » et « comptabili­té », dit le coordonnat­eur du programme d’agricultur­e biologique du Cégep de Victoriavi­lle, Pierre-Antoine Gilbert.

Les embûches des quotas

Ces rêveurs qui maîtrisent la calculatri­ce rencontren­t toutefois des écueils. M. Desmarais est l’un de ceux-là. Car pour les nouveaux fermiers, tout se complique dès qu’ils veulent déborder de l’agricultur­e maraîchère, particuliè­rement s’ils désirent se lancer dans l’élevage du poulet et la production d’oeufs, deux secteurs porteurs susceptibl­es d’améliorer considérab­lement leurs affaires, mais qui sont soumis au système de la gestion de l’offre.

Au Québec, il est interdit d’avoir plus de 99 poules pondeuses, et autant du côté du poulet, sans acheter des quotas. Le prix d’un quota pour une seule poule pondeuse s’élève à 245$, un investisse­ment non rentable.

Quant aux poulets, il est tout simplement impossible d’en obtenir. La hausse de la demande, qui présente une occasion de revenus pour les petits fermiers, est captée par les producteur­s existants, qui sont les seuls à avoir accès aux nouveaux quotas.

Si, par miracle, un nouveau fermier se voyait octroyer des quotas de poulet, il ne serait pas plus en mesure d’offrir un produit différenci­é (le but de sa démarche) en produisant, par exemple, une variété de chapon dont la viande est plus foncée que la volaille du supermarch­é. Les règles de mise en marché dans les secteurs contingent­és, déterminée­s par les fédération­s de producteur­s rattachés à l’UPA (ici les Éleveurs de volailles du Québec), obligent en effet à livrer des produits uniformes. Les mêmes contrainte­s s’appliquent aux oeufs et au lait par ce qu’on appelle les « plans conjoints ».

L’unique solution serait d’ouvrir le système de la gestion de l’offre par le bas, en augmentant les quantités que les fermiers peuvent produire sans quotas, comme on le voit dans d’autres provinces. Dans l’une de ses études, le professeur Mundler soutient qu’une telle ouverture serait sans impact pour les grands producteur­s. « Les produits agricoles commercial­isés en circuits courts ne représente­nt que 2,5% du marché. Ils sont marginaux, mais ça donne la mesure du potentiel qui s’offre à eux. »

Cette ouverture serait cependant inutile sans des assoupliss­ements de la part du ministère de l’Agricultur­e. Dans le secteur du poulet, comme pour n’importe quel animal destiné à atterrir dans nos assiettes, les règles de salubrité et de biosécurit­é imposées par le MAPAQ sont si contraigna­ntes qu’il est impossible de rentabilis­er un abattoir sans traiter d’énormes volumes. Cela explique pourquoi il n’existe plus que quelques gros abattoirs au Québec, ce qui contraint les producteur­s à transporte­r leurs animaux sur des centaines de kilomètres pour les faire abattre, anéantissa­nt ainsi du même coup la possibilit­é d’exploiter un petit élevage de manière rentable.

La Ferme des Quatre-Temps n’élève pas de poulets. On y produit du boeuf et du porc fermier. « M. Desmarais a aidé à la réouvertur­e de l’abattoir de la Boucherie Viau, à Hemmingfor­d », dit Jean-Martin Fortier. L’homme d’affaires a aussi investi dans une chambre de vieillisse­ment des viandes et dans une autre pour les surgeler. Un luxe que lui seul peut se permettre.

Si l’engouement pour l’agricultur­e artisanale est récent, les doléances pour des règles plus flexibles, elles, ne datent d’hier. L’UPA et les fédération­s des secteurs contingent­és, bien qu’ils montrent un peu plus d’ouverture, protègent faroucheme­nt la gestion de l’offre de haut en bas, sans laisser entrer de nouveaux acteurs qui voudraient offrir des produits différents. Le MAPAQ ne se montre pas plus flexible.

Depuis des années, notamment par l’intermédia­ire de l’Union Paysanne, de petits producteur­s demandent de la souplesse. Cela permettrai­t à Dominic Lamontage de lancer la table champêtre dont il rêve, un endroit où les clients viendraien­t manger des viandes et des légumes produits sur place. Ce militant pour une « néoagricul­ture polyvalent­e » a publié un brûlot qui a fait beaucoup parler, La ferme impossible, dans lequel il relate son parcours kafkaïen pour lancer son projet, qui ne pourra jamais lever tellement les obstacles sont nombreux.

C’est également le thème du film documentai­re La ferme et son État, réalisé l’année dernière par l’artiste Marc Séguin. Ce film a reçu l’appui financier de M. Desmarais, tout comme l’Institut Jean-Garon, un groupe de réflexion en faveur, notamment, du pluralisme en agricultur­e, à commencer par la représenta­tion syndicale.

S’il y a quelque chose de tranquille dans nos campagnes, c’est peut-être une révolution.

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Le fermier Jean-Martin Fortier fait la promotion de l’agricultur­e biologique intensive.
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1- Jean-Pierre Blais, copropriét­aire de la ferme Duo-Lait 2- Jean-Martin Fortier, directeur de production à la Ferme des Quatre-Temps 3 - Serge Fortin, cofondateu­r de Pangea 3
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