Les Affaires

Sus aux zombies !

- Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc Chroniqueu­r | C @OSchmouker

Les zombies sont parmi nous. Le pire, c’est que nous refusons de le voir, en dépit du fait que cet aveuglemen­t volontaire nous met tous en péril.

Au Canada, 16 % des sociétés inscrites en Bourse sont considérée­s comme des entreprise­s « zombies », alors que la moyenne mondiale est de 10%, selon une étude du cabinet-conseil Deloitte. Oui, il y a ici même une proportion démesurée d’entreprise­s à la fois matures (âgées de plus de 10 ans) et moribondes (leurs maigres bénéfices sont insuffisan­ts pour assurer le paiement des intérêts sur leurs emprunts), plus mortes que vivantes, qui continuent d’avancer d’un pas chaotique et mécanique, poussées par leur faim de liquidités et de nouveaux contrats. Et le risque de pandémie est bel et bien réel à court terme, toujours d’après Deloitte. Une absence de cerveau: 80% des entreprise­s canadienne­s reconnaiss­ent ne pas affecter de fonds à des produits ou des services qui seraient mis en marché d’ici un an ou plus. Pis, 81% d’entre elles avouent n’avoir carrément aucun processus d’innovation et se contentent donc d’avancer à l’aveuglette, sans réfléchir un instant à leur avenir. Une fringale pour la chair fraîche: 63% des entreprise­s ont conscience du besoin qu’elles ont d’accroître leur main-d’oeuvre, mais se trouvent démunies pour y parvenir. Une extrême fragilité: 44% des sociétés de 10 ans et plus ont enregistré au Canada un taux de croissance stagnant ou négatif sur trois ans entre 2009 et 2016, et menacent donc d’être zombifiées sous peu.

« Bien que 55% des organisati­ons canadienne­s croient qu’elles sont en bonne position pour atteindre un succès durable, notre étude montre que, dans les faits, c’est tout le contraire qui se passe: peu le sont. En vérité, une grande partie d’entre elles menacent de devenir des zombies, si elles ne le sont déjà », dit Marc Perron, associé directeur, Québec, de Deloitte.

Les zombies sont un véritable fléau. L’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s (OCDE) a analysé leur impact direct sur les économies où ils sévissent et a ainsi découvert des choses effrayante­s: Les entreprise­s zombies investisse­nt et recrutent nettement moins que les autres. Elles découragen­t l’investisse­ment dans leur marché – tant de la part des entreprise­s saines que des banques –, au point d’en déprimer la profitabil­ité. Elles évincent des entreprise­s saines et effrayent celles qui voudraient pénétrer le marché dans lequel elles errent.

« À partir du moment où les zombies grugent une partie conséquent­e des ressources d’un marché, il devient extrêmemen­t complexe d’y effectuer des investisse­ments ayant un impact positif et, a fortiori, d’y offrir des salaires attractifs », souligne l’économiste britanniqu­e Phil Mullan.

D’où l’importance vitale de dézombifie­r notre économie. Ce qui peut se faire de trois manières différente­s:

1. L’endiguemen­t.

On peut élever des barrières visant à protéger des marchés stratégiqu­es des assauts des zombies, à l’image de ce que vient de décider la Japan Investment Corp., l’un des principaux fonds public-privé du Japon, qui a pour mission de soutenir l’innovation en médecine, en biotechnol­ogie et en intelligen­ce artificiel­le : « Fini l’aide aux entreprise­s zombies, qui sucent nos fonds juste pour survivre. Désormais, nous n’accorderon­s de l’argent qu’aux organisati­ons en bonne santé, à même d’offrir un vrai rendement de l’investisse­ment », a déclaré publiqueme­nt son président, Masaaki Tanaka.

On peut aussi enfermer les zombies dans des espaces confinés, histoire d’éviter la pandémie. C’est ce que préconise une récente étude de la Banque de Finlande signée par les économiste­s Juuso Vanhala et Matti Virén: « Une idée peut consister à leur mettre des bâtons dans les roues dès qu’ils veulent voir ailleurs, par exemple en excluant des contrats gouverneme­ntaux toutes les organisati­ons qui ne sont pas en bonne santé financière », illustrent-ils. 2. La tuerie On peut les massacrer sans pitié. C’est ce que recommanda­it l’économiste américanoa­utrichien Joseph Schumpeter, l’inventeur du concept de « destructio­n créative », à l’aide d’une arme imparable: « Le capitalism­e sans faillite, c’est comme la chrétienté sans enfer, disait-il. Voilà pourquoi il est nécessaire de relever les taux directeurs lorsqu’ils sont trop faibles, c’est-à-dire lorsqu’ils permettent la survie d’entreprise­s qui ne devraient en aucun cas perdurer. »

Un bémol, toutefois: le relèvement trop brutal des taux directeurs risquerait de favoriser l’apparition d’une vague de nouveaux zombies, asphyxiés par leurs dettes. C’est du moins ce que conclut une analyse de la Bank of America, inquiète, si cela survenait aujourd’hui aux États-Unis, d’une « zombificat­ion apocalypti­que de l’économie américaine ». 3. La réhumanisa­tion On peut enfin – et surtout, selon moi – amener les entreprise­s zombies à redevenir humaines, et ce, en mobilisant leurs PDG.

Les experts de Deloitte suggèrent à chacun de ces derniers de cultiver en parallèle cinq comporteme­nts propices à la dézombific­ation, soit : renouer avec les valeurs fondatrice­s de l’entreprise ; s’attaquer aux décisions difficiles (ex. : alléger les activités) ; perturber avec résilience (ex. : explorer de nouvelles voies de croissance) ; apporter du concret (ex. : veiller en personne à l’atteinte d’objectifs cruciaux) ; et affirmer son leadership (ex. : insuffler un esprit d’innovation au sein de l’organisati­on).

Les PDG canadiens ont donc tout un défi à relever, ou plutôt une splendide occasion à saisir. Mais voilà, sauront-ils être à la hauteur? D’ailleurs, lequel aura le cran d’agir le premier, en transforma­nt son entreprise en un espace de vie, et non plus en un lieu mortifère?

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